Actualités of Monday, 22 December 2025

Source: www.camerounweb.com

Prison de New Bell : corruption et trafic de privilèges révélés par l'affaire Fabrice Lena

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L'évasion de l'activiste camerounais met en lumière un système de corruption généralisée au sein de la prison centrale de Douala. Entre permissions monnayées et arrangements annulés, Jeune Afrique révèle les dessous d'un établissement pénitentiaire hors de contrôle.


L'évasion spectaculaire de Fabrice Lena le 12 décembre dernier de la prison centrale de New Bell à Douala n'est pas seulement l'histoire d'un opposant politique en fuite. C'est aussi et surtout la révélation d'un système carcéral gangrené par la corruption, où tout se négocie, y compris la liberté. Les témoignages exclusifs recueillis par Jeune Afrique auprès de l'activiste évadé lèvent le voile sur des pratiques qui défient toute légalité.


Jeune Afrique révèle que Fabrice Lena affirme avoir versé 1,5 million de francs CFA (2 287 euros) aux autorités pénitentiaires pour obtenir des permissions de sortie et des conditions de détention "légèrement moins éprouvantes". Une somme considérable pour un activiste sans fortune personnelle, qui témoigne de l'ampleur du racket organisé au sein de la prison de New Bell.
Ces versements, selon les informations recueillies par Jeune Afrique, ne constituent pas des cas isolés mais une pratique systématique. Les détenus qui en ont les moyens peuvent acheter presque tout : des sorties temporaires, l'accès à un téléphone portable, une cellule individuelle, de la nourriture convenable, voire même une protection contre les violences d'autres détenus.
Le témoignage de Fabrice Lena révélé par Jeune Afrique est édifiant : "On m'a expliqué clairement le tarif. Pour sortir quelques jours, il fallait payer. Pour avoir des visites prolongées, il fallait payer. Pour avoir accès à un avocat dans de bonnes conditions, il fallait encore payer." Un système de corruption à plusieurs niveaux, où gardiens, surveillants et responsables administratifs se partagent les profits.


Mais le plus troublant dans cette affaire révélée par Jeune Afrique concerne l'annulation brutale de ces "arrangements" après la visite de l'ambassadeur de l'Union européenne à la prison. Fabrice Lena raconte qu'on lui avait demandé de réintégrer sa cellule pour cette visite officielle, lui promettant qu'il pourrait ensuite reprendre ses sorties autorisées.
"Après le passage de l'ambassadeur, tous les arrangements ont été annulés. Il a été décidé que je ne devais plus bénéficier d'aucun privilège", confie l'activiste à Jeune Afrique. Cette volte-face brutale suggère une intervention politique au plus haut niveau, probablement pour éviter que la communauté internationale ne découvre le traitement de faveur dont bénéficiaient certains détenus moyennant finances.

Jeune Afrique révèle également que lorsque Fabrice Lena a tenté de récupérer les 1,5 million de francs CFA versés, puisque les privilèges promis ne lui étaient plus accordés, il s'est heurté à un mur de silence. "On ne m'a rien répondu", témoigne-t-il. L'argent a simplement disparu dans les poches de fonctionnaires corrompus, sans reçu, sans trace, sans possibilité de recours.


Les révélations de Jeune Afrique mettent en lumière une chaîne de corruption qui s'étend bien au-delà des murs de la prison. Les versements effectués par les détenus ne restent pas entre les mains des seuls gardiens. Selon des sources pénitentiaires contactées par Jeune Afrique, une partie de cet argent remonte jusqu'aux échelons supérieurs de l'administration pénitentiaire camerounaise.
Ce système fonctionne selon une hiérarchie bien établie : les gardiens de base perçoivent leur commission sur les petits services (nourriture, téléphone, cigarettes), les surveillants en chef contrôlent l'accès aux permissions de sortie, et les responsables administratifs valident les arrangements les plus importants. Chaque niveau prend sa part, transformant la prison en véritable entreprise commerciale.


Jeune Afrique révèle que ce trafic de privilèges n'est un secret pour personne au Cameroun. Les familles de détenus savent qu'elles doivent prévoir un budget "extra-judiciaire" pour améliorer les conditions de détention de leurs proches. Les avocats, eux aussi, sont parfois contraints de jouer les intermédiaires dans ces transactions illégales.


Malgré l'évidence de ces pratiques, aucune enquête sérieuse n'a jamais été menée sur la corruption à la prison de New Bell. Jeune Afrique constate que les autorités camerounaises préfèrent maintenir l'omerta plutôt que de s'attaquer à un système qui arrange tout le monde, sauf les détenus et leurs familles.
L'évasion de Fabrice Lena aurait pu être l'occasion d'une remise en question. Au lieu de cela, l'administration pénitentiaire s'est contentée d'émettre un avis de recherche le 16 décembre, quatre jours après les faits, sans jamais s'interroger sur les conditions qui ont rendu cette évasion possible.
Comment un détenu sous surveillance a-t-il pu s'échapper ? Qui a fermé les yeux ? Qui a été payé pour faciliter la fuite ? Autant de questions auxquelles Jeune Afrique n'a obtenu aucune réponse de la part des autorités pénitentiaires camerounaises.

Si Fabrice Lena a pu, moyennant finances, obtenir quelques privilèges temporaires, Jeune Afrique révèle que l'immense majorité des détenus de New Bell vit dans des conditions épouvantables. Surpeuplement, malnutrition, absence de soins médicaux, violences quotidiennes : la prison centrale de Douala est régulièrement dénoncée par les organisations de défense des droits humains.
Les détenus qui n'ont pas les moyens de payer se retrouvent entassés dans des cellules prévues pour 50 personnes mais qui en contiennent parfois 200. L'accès à l'eau potable est limité, les repas insuffisants et de mauvaise qualité. Les maladies se propagent rapidement dans cet environnement insalubre.
Jeune Afrique révèle que certains détenus, désespérés par leurs conditions de vie, sont prêts à s'endetter auprès de leurs familles ou de usuriers pour acheter un minimum de confort. D'autres, privés de tout soutien extérieur, sombrent dans la dépression ou la violence.

L'affaire Fabrice Lena révélée par Jeune Afrique devrait servir de signal d'alarme pour les autorités camerounaises. Elle met en évidence l'urgence d'une réforme profonde du système pénitentiaire, non seulement à New Bell mais dans l'ensemble du pays.

Pourtant, rien ne laisse présager un quelconque changement. La corruption est tellement ancrée dans le fonctionnement quotidien des prisons qu'elle est devenue la norme. Les gardiens sous-payés considèrent les pots-de-vin comme un complément de salaire légitime. Les responsables administratifs ferment les yeux contre leur propre commission.


Jeune Afrique constate avec amertume que tant que le système judiciaire et pénitentiaire camerounais restera aussi opaque et aussi imperméable à toute forme de contrôle, les Fabrice Lena continueront de préférer l'exil à une justice qui n'en a que le nom.