Actualités of Friday, 19 December 2025

Source: www.camerounweb.com

Coup d'Etat: Le régime Biya place sous surveillance des généraux du Grand Nord, dont le coordonnateur du BIR

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Selon une révélation du magazine Africa Intelligence publiée cette semaine, plusieurs généraux et officiers supérieurs originaires du Grand Nord du Cameroun ont été placés sous écoute et surveillance étroite. Parmi eux figure le général François Pelene, coordonnateur du Bataillon d'intervention rapide (BIR), l'unité d'élite de l'armée camerounaise.


Cette information, si elle se confirme, réactive une méfiance historique entre le pouvoir central et cette région stratégique qui regroupe l'Extrême-Nord, le Nord et l'Adamaoua. Le Grand Nord a toujours représenté un casse-tête pour le régime de Paul Biya, oscillant entre bastion électoral indispensable et source potentielle d'instabilité.

François Pelene, promu général de brigade en juillet 2025, incarne pourtant la fidélité au régime. À la tête du BIR depuis plusieurs années, il a supervisé des opérations majeures contre Boko Haram dans l'Extrême-Nord et contre les séparatistes dans les régions anglophones. Son unité est considérée comme le bras armé le plus efficace du pouvoir de Yaoundé.

Pour comprendre cette surveillance, il faut remonter aux origines du régime Biya. En avril 1984, moins de deux ans après son arrivée au pouvoir, Paul Biya échappe de justesse à un coup d'État mené par des éléments de la Garde républicaine et de la Gendarmerie. La répression qui s'ensuit vise particulièrement les officiers originaires du Nord.

L'ancien président Ahmadou Ahidjo, originaire de Garoua et musulman peul, est alors accusé d'être le commanditaire du putsch. S'ensuit une purge impitoyable : plusieurs centaines de personnalités politiques et surtout militaires nordistes sont exécutées ou bannies. Cette blessure historique n'a jamais vraiment cicatrisé.

Le paradoxe du Grand Nord réside dans son importance électorale : ces trois régions représentent près de 30% de l'électorat national. Historiquement, elles ont constitué un réservoir de voix pour le RDPC, le parti au pouvoir.
Pourtant, la présidentielle d'octobre 2025 a marqué une rupture spectaculaire. Malgré la victoire officielle de Paul Biya, le vote massif en faveur de son principal adversaire, Issa Tchiroma Bakary – originaire du Nord – dans ces régions a envoyé un signal d'alarme au régime. Les "villes mortes" qui ont suivi dans le Grand Nord témoignent d'une désaffection profonde.
Des tensions multiples

L'abandon économique : L'Extrême-Nord fait face à une insécurité alimentaire touchant 734 000 habitants, selon l'ONU. Les inondations récurrentes, le manque d'eau potable et la faiblesse des infrastructures alimentent un sentiment d'abandon.

L'insécurité permanente : Depuis plus d'une décennie, la menace Boko Haram pèse sur la région. Si le BIR a obtenu des résultats significatifs, les populations civiles paient un lourd tribut, prises entre les exactions des terroristes et les méthodes parfois brutales de l'armée.

Le sentiment d'humiliation : En février 2025, Ferdinand Ngoh Ngoh, secrétaire général de la présidence et émissaire de Paul Biya, a été retenu plusieurs heures à Maroua par des habitants et élus locaux excédés. Une scène inimaginable qui révèle l'ampleur du ressentiment.

La mise sous surveillance du général Pelene et d'autres officiers nordistes interroge. Ces hommes ont fait leurs preuves sur le terrain. Pelene a notamment inauguré plusieurs bases du BIR dans les zones les plus dangereuses du pays, démontrant son engagement dans la défense de l'intégrité territoriale.
Mais dans la logique du régime Biya, forgée par le traumatisme de 1984, l'origine régionale reste un facteur de suspicion. Cette méfiance structurelle explique pourquoi, malgré leurs états de service, ces officiers se retrouvent surveillés.


Le BIR occupe une place particulière dans l'architecture sécuritaire camerounaise. Créé discrètement à la fin des années 1990, placé sous le commandement direct du président Biya, formé par des conseillers israéliens, américains et français, ce bataillon est le garant ultime du régime.
Avec plus d'une dizaine d'unités opérationnelles et des équipements supérieurs au reste de l'armée, le BIR est à la fois l'instrument le plus efficace et le plus redouté du pouvoir. Sa présence dans les régions anglophones et au Nord a souvent été accompagnée d'accusations de violations des droits humains.
Placer son coordonnateur sous surveillance révèle la paranoïa qui habite le sommet de l'État : même les fidèles serviteurs du régime ne sont jamais totalement au-dessus de tout soupçon.


Cette affaire illustre l'impasse dans laquelle se trouve le pouvoir camerounais vis-à-vis du Grand Nord. D'un côté, il ne peut se passer de cette région sur le plan électoral. De l'autre, il ne peut s'empêcher de la considérer comme une menace potentielle.

L'appel lancé en mars 2025 par les "partisans du changement du Grand Nord pour un sursaut républicain" en vue de la présidentielle avait déjà mis le pouvoir en alerte. Le vote massif d'octobre 2025 en faveur de l'opposition a confirmé que le Grand Nord pourrait bien "tourner la page Biya".


Dans ce contexte de défiance mutuelle croissante, la surveillance des officiers originaires de cette région apparaît comme le symptôme d'un régime vieillissant qui ne trouve plus d'autre réponse que la suspicion et le contrôle.
Un régime assiégé

Au-delà du cas spécifique du Grand Nord, cette information révèle l'état d'esprit d'un pouvoir qui, après plus de 42 ans d'exercice, voit des menaces partout. Les tensions post-électorales qui persistent depuis octobre, les opérations "villes mortes" dans plusieurs régions, et maintenant la surveillance de ses propres généraux dessinent le portrait d'un régime sur la défensive.
Le général François Pelene et ses collègues sous surveillance symbolisent ce paradoxe camerounais : servir loyalement un État qui ne vous fait pas totalement confiance, combattre pour défendre un régime qui vous surveille, incarner la force d'un pouvoir qui doute de vous en raison de vos origines.