Le "mandat des jeunes et des femmes" attendra. En reconduisant ses caciques à la tête des régions, le parti au pouvoir sème la déception dans ses propres rangs et enterre les espoirs de renouvellement générationnel. L'affaire Meba'a dans le Sud cristallise la frustration d'une base militante qui espérait enfin voir la parole présidentielle se concrétiser.
Le "mandat des jeunes et des femmes" attendra. Ce 16 décembre 2025, le RDPC a scellé le sort des régions en reconduisant ses figures historiques, de Gilbert Tsimi Evouna dans le Centre à Jules Hilaire Focka Focka à l'Ouest. En dépit des orientations d'Etoudi et des menaces de scission dans le Sud, la vieille garde maintient son verrouillage sur les conseils régionaux, au moment même où le Cameroun s'enfonce dans une crise diplomatique sans précédent à l'Union africaine.
Les résultats des élections des exécutifs régionaux de ce 16 décembre 2025 confirment une hégémonie des figures historiques du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC). Dans la région du Centre, Gilbert Tsimi Evouna rempile pour un mandat de cinq ans. Il a obtenu la confiance de 87 conseillers sur 90, avec deux bulletins nuls et une abstention. À l'Ouest, Jules Hilaire Focka Focka conserve également son fauteuil au terme d'un vote supervisé par le Gouverneur Awa Fonka Augustine.
Cette vague de reconductions interroge sur la mise en œuvre de la promesse phare de Paul Biya pour son huitième mandat. Le Chef de l'État avait pourtant solennellement annoncé que ce septennat serait prioritairement consacré aux jeunes et aux femmes. Or, les nouveaux présidents installés ce jour appartiennent tous à la "vieille garde" du parti au pouvoir, symboles d'une continuité qui déçoit profondément les militants aspirant au changement.
Même dans la région du Sud, où Cathy Meba'a, nièce du président, briguait la présidence avec le soutien affiché de sa famille, le conseil a préféré porter Antoine Bikoro Alo'o au sommet de l'institution. Inspecteur des régies financières et ancien cadre à la SNH, ce dernier a déjoué les pronostics alors que la famille présidentielle espérait une percée féminine symbolique.
Le climat entourant ces nominations a été marqué par de vives tensions. Evrard Eyinga Meba'a, neveu du Chef de l'État, a dénoncé publiquement des comportements "hostiles et injustes" dirigés contre sa famille par "certains responsables du parti", allant jusqu'à menacer de rejoindre l'opposition si sa sœur n'était pas élue présidente. Cathy Meba'a doit finalement se contenter du poste de secrétaire du bureau exécutif, une consolation qui a le goût amer de l'humiliation.
Cette défaite familiale dans un fief traditionnellement acquis au président constitue un camouflet sans précédent. Elle révèle que même la parenté directe avec le Chef de l'État ne suffit plus à garantir l'accession aux postes de responsabilité, du moins pas face aux barons régionaux solidement implantés.
Au-delà du cas emblématique du Sud, c'est toute une génération de jeunes cadres et de femmes militants du RDPC qui voit ses espoirs s'envoler. Nombreux sont ceux qui avaient pris au sérieux la promesse présidentielle d'un "mandat des jeunes et des femmes", y voyant enfin l'opportunité d'accéder aux responsabilités après des années de militantisme dans l'ombre des "grands frères".
"On nous a fait miroiter le changement, on nous a dit que c'était notre tour. Et au final, ce sont toujours les mêmes têtes blanches qui s'accrochent aux fauteuils", confie sous anonymat un jeune cadre du parti dans la région de l'Ouest. "Comment voulez-vous qu'on mobilise la jeunesse pour les élections de 2026 avec ce genre de signaux ?"
Cette désillusion se double d'une incompréhension : comment le parti peut-il ignorer aussi ostensiblement les orientations du Chef de l'État lui-même ? La réponse réside probablement dans la force des réseaux établis, des équilibres ethniques et des rapports de force internes qui échappent aux injonctions venues d'en haut.
Si les jeunes sont déçus, les femmes du parti le sont encore davantage. Aucune femme n'a été portée à la présidence d'un conseil régional lors de ce scrutin. Pire, le cas Cathy Meba'a, qui bénéficiait pourtant du soutien de la famille présidentielle, montre que même les candidates les mieux positionnées se heurtent au plafond de verre du patriarcat politique camerounais.
"On parle beaucoup de parité, on fait des discours sur l'émancipation de la femme, mais quand vient le moment de voter, les hommes se serrent les coudes pour maintenir leur monopole", déplore une militante de la région du Centre qui avait espéré voir émerger des profils féminins à la tête des exécutifs régionaux.
Cette absence totale de femmes aux commandes des régions contraste cruellement avec les engagements internationaux du Cameroun en matière d'égalité des genres et avec les discours officiels sur la place des femmes dans la gouvernance locale.
Ce verrouillage politique intervient alors que le Cameroun subit une "humiliation" diplomatique d'une autre nature. Pour la première fois, le pays est suspendu de parole à l'Union africaine en raison d'arriérés de cotisations s'élevant à deux milliards de francs CFA. Cette défaillance administrative a empêché Yaoundé d'assurer la présidence du Conseil de paix et de sécurité en novembre dernier.
L'image est désastreuse : un pays qui ne paie pas ses cotisations internationales mais dont les caciques se cramponnent à leurs postes et privilèges au niveau local. Cette contradiction renforce le sentiment d'un système à bout de souffle, incapable de se réformer et déconnecté des aspirations de sa population.
L'absence de renouvellement générationnel et de parité à la tête des conseils régionaux semble contredire frontalement les orientations de l'exécutif national. Les observateurs attendent désormais de voir si ces nouveaux bureaux parviendront à apaiser les tensions internes alors que les élections couplées de mai 2026 se profilent à l'horizon.
Mais la question se pose déjà : comment le RDPC pourra-t-il mobiliser efficacement sa base militante, notamment les jeunes et les femmes, lors du prochain scrutin, après leur avoir ainsi signifié qu'ils n'ont pas leur place aux commandes ? La déception d'aujourd'hui pourrait bien se transformer en démobilisation demain, voire en défection vers d'autres formations politiques pour les plus déçus.
Comme le résume un observateur de la vie politique camerounaise : "Le RDPC vient de gâcher une belle occasion de prouver qu'il était capable d'évoluer. En choisissant la continuité à tout prix, il prend le risque de l'immobilisme dans un monde qui change."









