Dans une enquête exclusive publiée ce lundi , Jeune Afrique révèle les contours de la stratégie que Paul Biya et son entourage élaborent pour faire face aux défis majeurs de ce neuvième mandat arraché dans la douleur. Le président nonagénaire, qui n'a jamais été autant contesté, doit composer avec l'émergence d'Issa Tchiroma Bakary et une opposition fragmentée mais potentiellement dangereuse.
Défi n°1 : Étouffer Tchiroma, la menace qui monte
Selon les révélations de Jeune Afrique, le pouvoir camerounais a pris tardivement, "trop peut-être", la mesure de la menace que représente Issa Tchiroma Bakary. "En peu de temps, Issa Tchiroma Bakary est parvenu à s'imposer comme son principal concurrent et à marginaliser les autres compétiteurs de l'opposition", souligne le magazine panafricain.
Jeune Afrique dévoile que l'exil de Tchiroma au Nigeria, puis en Gambie, s'inscrit dans une stratégie calculée du pouvoir. Le magazine révèle qu'une demande d'extradition avait été préparée par Yaoundé, "prête à être activée dès lors que Tchiroma Bakary franchirait certaines lignes rouges fixées par Paul Biya, telles qu'un appel à l'insurrection armée".
L'arrivée de l'opposant en Gambie le 7 novembre, officialisée par Banjul le 23 novembre, constitue selon Jeune Afrique "une bonne nouvelle pour Yaoundé, mais une stratégie inchangée". Une source à la présidence citée par le magazine est claire : "L'objectif est de l'asphyxier et de l'empêcher de peser sur les prochaines échéances, notamment sur les législatives de 2026."
Cette révélation confirme que Paul Biya a évité d'assumer une arrestation qui aurait pu embraser le Septentrion, tout en maintenant une surveillance à distance de son principal opposant. Le cas de Tchiroma, "un Peul qui a tissé d'étroites relations avec les élites nigérianes", était délicat, note Jeune Afrique, rappelant les précédents d'extradition vers le Cameroun de leaders séparatistes de l'Ambazonie par le Nigeria.
Une tactique éprouvée depuis 1992
Jeune Afrique rappelle que cette stratégie d'étouffement n'est pas nouvelle. Lorsqu'en 1992 John Fru Ndi avait contesté la victoire de Paul Biya à la présidentielle, ce dernier "s'était rapproché de Bello Bouba Maïgari, avec qui il avait signé un accord de gouvernement". Une manœuvre de division de l'opposition qui a fait ses preuves.
Défi n°2 : Amadouer les opposants moins radicaux
La deuxième facette de la stratégie révélée par Jeune Afrique consiste à séduire les opposants plus malléables. "C'est l'une des spécialités du président", note le magazine. Les cibles prioritaires sont identifiées : Cabral Libii, arrivé quatrième en 2025 comme troisième en 2018, et Joshua Osih, patron du Social Democratic Front (SDF).
Jeune Afrique dévoile que "des contacts ont déjà eu lieu" entre le pouvoir et ces figures de l'opposition. Le magazine révèle que "les stratèges de Paul Biya ont une carte majeure à jouer : la réforme du code électoral". Cette réforme, réclamée depuis des années et considérée comme un préalable à toute élection libre, avait été proposée à Issa Tchiroma Bakary avec un poste de Premier ministre pour qu'il "accepte de rentrer dans le rang". L'intéressé a refusé, mais qu'en sera-t-il des autres ?
Le levier des législatives de 2026
Jeune Afrique révèle un élément capital de la stratégie présidentielle : "Pour séduire certains opposants, Biya peut actionner un levier de poids : les prochaines législatives." Le magazine explique que Paul Biya "peut à loisir accorder aux opposants les moins récalcitrants certaines facilités dans des circonscriptions en demandant à son parti, le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), de ne pas jeter toutes ses forces dans la bataille."
Cette manœuvre est rendue possible par la domination écrasante du parti présidentiel : "Le RDPC compte à lui seul 152 députés sur 180 au total", révèle Jeune Afrique. "Lâcher du lest est donc possible, en se gardant toutefois de perdre le contrôle de la chambre basse."
Cette révélation éclaire d'un jour nouveau les négociations en cours avec l'opposition. En offrant des sièges de députés à certains leaders opposants, Paul Biya espère briser l'unité qui pourrait se former autour de la contestation portée par Tchiroma Bakary.
Jeune Afrique recueille toutefois les doutes d'un leader de l'opposition : "Certains pourraient choisir de croire à la promesse de réforme d'un code qui n'a jusqu'à présent existé que pour garantir la réélection de Biya." Cette citation révèle la méfiance qui entoure les promesses présidentielles, même parmi ceux qui pourraient être tentés de les accepter.
Le magazine rappelle que lors de la présidentielle du 12 octobre, "Bello Bouba Maïgari, comme Cabral Libii, Joshua Osih et les divers 'petits' candidats, a été inexistant" face à la percée de Tchiroma. Cette marginalisation pourrait paradoxalement les rendre plus sensibles aux avances du pouvoir, désireux de retrouver une visibilité et une influence perdues.
Les révélations de Jeune Afrique montrent que Paul Biya joue sur deux tableaux simultanément : étouffer Tchiroma à l'extérieur tout en fragmentant l'opposition à l'intérieur. Cette stratégie, si elle réussit, pourrait lui permettre de traverser ce mandat difficile en isolant son principal adversaire et en neutralisant les autres.
Cependant, le magazine souligne les risques de cette approche. "Jamais Paul Biya n'a semblé aussi contesté", note Jeune Afrique, en particulier "dans le Septentrion, l'Ouest et le Littoral". Le sentiment de rejet du président et de son entourage, apparu durant la campagne, pourrait ne pas être apaisé par de simples manœuvres tactiques.
La question reste posée : ces stratégies d'étouffement et de séduction suffiront-elles à éviter une "fin de règne chaotique" au président nonagénaire ? Jeune Afrique en doute, notant que "ses proches lui avaient promis une élection sans encombre. Ils n'ont eu raison qu'en un sens : Paul Biya est bien parvenu à obtenir un nouveau mandat. Mais sa victoire s'arrête sans doute là."
Les prochains mois diront si le maître de Yaoundé, fort de quarante-trois ans d'expérience au pouvoir, parviendra une fois de plus à déjouer les pièges d'une situation politique explosive.









