Réélu avec 53,66 % des suffrages valablement exprimés contre 35,19 % pour son challenger, le chef de l’État en appelle à l’union sacrée lors de son discours d’investiture.
Paul Biya a soufflé le chaud et l’effroi. C’est un inoxydable jeune homme de 92 ans qui n’a rien perdu de sa verve d’antan. Son discours d’investiture du 06 novembre dernier, jour de grâce de son accession à la magistrature suprême, un certain 06 novembre 1982, s’est voulu à la fois rassembleur, martial et percutant.
C’est un Paul Biya qui n’a rien perdu du sens achevé de l’aphorisme : « Je peux vous l'assurer, l'ordre règnera » ; « Le Cameroun n'a pas besoin d'une crise postélectorale dont les conséquences pourraient être dramatiques » ; « Les joutes de l’élection présidentielle sont derrière nous. L’heure est désormais au rassemblement. Ce pays est notre patrimoine commun. C’est notre bien le plus précieux. Nous devons le construire, le solidifier, le moderniser et non le détruire ».
Au passage, le président distribue des bons points à Elecam, tout en saluant le professionnalisme des forces de défense et de sécurité, non sans une pensée pour les victimes des tensions post-électorales. En annonçant la poursuite de la lutte contre la corruption, Paul Biya n’a pas manqué de faire sourire plus d’un observateur lucide. Dans un contexte où ce vœu présidentiel s’assimile en un aveu d’impuissance, sorte d’incantation païenne, et de blanc-seing à ces détournements massifs et compulsifs.
C’est un président réélu qui manie à l’envi le bâton et la carotte. En remettant à Paul Biya le stylo à bille avec lequel il a paraphé son serment, le président de l’Assemblée nationale fait montre d’une impatience perceptible même dans le sérail. Le dernier remaniement ministériel date du 04 janvier 2019. Malgré le décès d’une demi-douzaine des membres du gouvernement et l’amoncellement des scandales (Cangate, Covidgate, Glencoregate), le chef de l’État est demeuré impassible.
Ce qui a fini par plonger le gouvernement dans une longue léthargie, donnant l’image d’une société bloquée, d’un président otage d’un cercle de ripoux et de profiteurs qui s’en mettent plein les poches. Ce qui a fini par exacerber la majorité silencieuse. Le chef de l’État dispose-t-il encore d’une marge de manœuvre suffisante pour faire le ménage par un grand chambardement ? Rien n’est moins sûr. En 43 ans, Paul Biya n’est pas coutumier de ces mouvements de grande amplitude. Même la lutte contre la corruption évoquée d’un trait dans son discours d’investiture a fini par se muer en une justice sélective.
Le président de la République est face à la quadrature du cercle. Il doit trancher dans le vif. Entre les alliés du G20 (Jean de dieu Momo, Bapooh Lipot) qui de toute évidence ne lui ont été d’aucun apport dans sa réélection, il y a la montée de jeunes loups dans les trois régions septentrionales qui aspirent légitimement au renouvellement d’une élite aux affaires depuis des lustres. Les candidats à la présidentielle du 12 octobre dernier ne sont pas en reste.
Entre les tenants de la ligne dure à l’instar de Tomaïno Ndam Njoya, Hiram Iodi, Ateki Seta Caxton, Akere Muna, qui réfutent la victoire de Paul Biya, il y a le revirement spectaculaire de Cabral Libii et de Joshua Osih sur fond de lourds soupçons de prébendes. Le premier et ses lieutenants se disent ouvertement disposés à travailler avec le chef de l’État dans un gouvernement de large consensus. Mais il y a également en arrière-plan le jeu trouble de certains sous-marins et autres troublions du pouvoir : Célestin Bedzigui, Dénis Emilien Atangana, Nkou Mvondo, Elimbi Lobe, Eric Mathias Owona Nguini. Ils bouffent à tous les festins.
Paul Biya demeure fidèle aux équilibres sociologiques et numériques. Il écartèle les élites pour mieux les tenir. Il redistribue les strapontins au gré des tendances politiques non sans un grand ancrage sur son cercle affectif. Au moment où des brocanteurs politiques et des politiciens en mal de reconnaissance et autres opportunistes se bousculent au portillon gouvernemental, Paul Biya va-t-il privilégier les positionnements clientélistes aux urgences d’un septennat aux enjeux multiformes ? Just wait an see.









