Craignant une crise à la gabonaise ou un scénario à l'anglophone, plusieurs ambassades à Yaoundé ont encouragé la tentative d'accord de gouvernement
Par la rédaction
Derrière la proposition de Paul Biya d'offrir le poste de Premier ministre à Issa Tchiroma Bakary se cache une intense pression diplomatique occidentale. Jeune Afrique révèle que plusieurs chancelleries à Yaoundé ont été informées en temps réel de cette démarche et l'ont même encouragée, craignant que la crise post-électorale ne dégénère en conflit armé ouvert, comme dans les régions anglophones.
Une inquiétude diplomatique grandissante depuis le 12 octobre
Selon les informations exclusives obtenues par Jeune Afrique, la tentative d'accord de gouvernement orchestrée par le directeur du cabinet civil Samuel Mvondo Ayolo visait aussi à "apaiser les inquiétudes de certaines chancelleries occidentales à Yaoundé". Cette dimension internationale de la négociation avortée n'avait jusqu'ici jamais été révélée.
Plusieurs diplomates en poste dans la capitale camerounaise ont été tenus au courant, dès les premiers jours suivant le scrutin du 12 octobre, de la recherche par le président sortant d'une "solution politique" et de la "main tendue offerte à Issa Tchiroma Bakary". Cette transparence inhabituelle du palais d'Etoudi envers les ambassades occidentales témoigne de l'ampleur des préoccupations internationales.
Jeune Afrique a pu confirmer que "l'exemple des régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest est dans toutes les têtes" des diplomates et des autorités camerounaises. La crise anglophone, qui a débuté en 2016 par des revendications corporatistes avant de se transformer en insurrection armée ayant fait des milliers de morts, sert de repoussoir absolu dans les chancelleries.
Les diplomates redoutent également un scénario à la gabonaise : après l'élection contestée d'Ali Bongo en 2023, les tensions avaient facilité le coup d'État militaire d'août 2023. Au Cameroun, avec ses multiples crises sécuritaires (Boko Haram au nord, séparatistes anglophones à l'ouest), toute déstabilisation supplémentaire pourrait avoir des conséquences régionales imprévisibles.
Le choix de Samuel Mvondo Ayolo pour piloter cette opération de séduction n'est pas anodin. Jeune Afrique a appris que l'ancien ambassadeur du Cameroun en France a pris "les choses en main" au palais présidentiel d'Etoudi, alors même que d'autres cadres du gouvernement, notamment le ministre de l'Administration territoriale Paul Atanga Nji, prônaient "une ligne dure face à l'opposition".
Cette divergence au sein de l'appareil d'État reflète deux visions stratégiques opposées : celle de la répression, incarnée par Atanga Nji, et celle de la négociation politique, portée par Mvondo Ayolo. Les chancelleries occidentales, révèle Jeune Afrique, ont clairement manifesté leur préférence pour la seconde option.
Le profil de Mvondo Ayolo, fin connaisseur des codes diplomatiques occidentaux après son passage à Paris, en faisait l'interlocuteur idéal pour rassurer les ambassades. Sa mission : démontrer que le régime de Paul Biya cherchait une issue pacifique à la crise, tout en préservant les intérêts du pouvoir en place.
Jeune Afrique révèle un détail crucial du processus de négociation : la proposition de Paul Biya a d'abord été "transmise à un intermédiaire proche d'Issa Tchiroma Bakary à Paris, en France". Ce recours à un canal français illustre l'internationalisation de la crise camerounaise et le rôle central que Paris continue de jouer dans la politique intérieure de son ancienne colonie.
L'opposant, que "plusieurs ministres, dont le directeur du cabinet civil, tentent de contacter directement depuis le 12 octobre", est resté "injoignable à ses numéros de téléphone habituels". Cette stratégie d'évitement d'Issa Tchiroma Bakary visait probablement à éviter toute pression directe du pouvoir, tout en conservant un canal de communication indirect via Paris.
Le fait que la capitale française serve de relais entre Yaoundé et Garoua (fief de Tchiroma Bakary dans le Nord) témoigne de la permanence de l'influence française sur les affaires camerounaises, même dans les moments de tension politique aiguë.
Face à l'échec de la négociation, Jeune Afrique a appris que les équipes d'Issa Tchiroma Bakary préparent désormais "un plan de mobilisation" qui doit débuter dès l'annonce du verdict du Conseil constitutionnel, attendu le 27 octobre. Mais surtout, "des actions juridiques seraient également en gestation sur le plan international".
Cette mention, confirmée par un lieutenant de l'opposant interrogé par Jeune Afrique, suggère que le camp Tchiroma Bakary envisage de porter la contestation électorale devant des instances internationales. Plusieurs options sont sur la table : la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples, basée à Arusha en Tanzanie, ou des juridictions sous-régionales de la CEMAC ou de la CEEAC.
Cette stratégie d'internationalisation du contentieux électoral camerounais pourrait placer les chancelleries occidentales dans une position délicate : après avoir encouragé le dialogue entre Biya et Tchiroma, elles pourraient être amenées à prendre position publiquement sur la régularité du scrutin.
L'échec de la tentative de cohabitation laisse le pouvoir camerounais dans une posture inconfortable face à ses partenaires occidentaux. Jeune Afrique constate que Yaoundé a démontré sa bonne volonté en proposant la primature à son adversaire, une offre sans précédent dans l'histoire du Cameroun post-indépendance.
Si la répression s'intensifie dans les jours à venir, notamment autour de la proclamation des résultats définitifs le 27 octobre, Paul Biya ne pourra plus plaider l'absence de solution politique. Les chancelleries occidentales, informées de la tentative de dialogue, seront moins enclines à défendre le régime en cas de violences.
Dans ce contexte, le silence relatif de la communauté internationale depuis le 12 octobre pourrait rapidement se transformer en condamnations explicites, surtout si le sang coule dans les rues de Garoua, Douala ou Yaoundé. L'échec de la négociation secrète révélée par Jeune Afrique marque peut-être un tournant dans les relations entre le Cameroun de Paul Biya et ses partenaires occidentaux.