L'opposant publie massivement des procès-verbaux sur les réseaux sociaux et revendique 60% des voix dans six départements clés
Alors que Paul Biya s'apprête à être proclamé vainqueur de la présidentielle camerounaise avec 53 à 54% des voix selon la Commission nationale de décompte, son principal adversaire Issa Tchiroma Bakary lance une bataille des chiffres inédite. Selon des informations exclusives obtenues par Jeune Afrique, l'opposant a déployé depuis le 19 octobre une stratégie de contre-offensive numérique en publiant massivement sur Facebook les procès-verbaux des bureaux de vote qu'il détient.
Jeune Afrique a pu constater que le compte Facebook du leader du Front pour le salut national du Cameroun (FSNC) diffuse méthodiquement des liens donnant accès à des bases de données complètes de procès-verbaux. Six départements sont déjà documentés : Wouri, Vina, Menoua, Mayo Rey, Mfoundi et Moungo.
"Nous concentrons nos calculs sur 18 départements stratégiques qui, à eux seuls, représentent près de 80% de l'électorat national sur les 8 millions d'inscrits", explique l'équipe de communication de Tchiroma Bakary. Selon les révélations de Jeune Afrique, dans ces six premières circonscriptions publiées, l'opposant revendiquerait en moyenne 60% des suffrages, soit un écart considérable avec les chiffres officiels qui le créditent de seulement 35 à 36% au niveau national.
La rupture entre l'opposition et le processus électoral officiel s'est matérialisée de manière spectaculaire lors des travaux de compilation. Jeune Afrique révèle que le mandataire du FSNC, Parfait Mbvoum, a quitté la salle des délibérations pour protester contre des incohérences flagrantes dans les résultats du Nord-Ouest anglophone.
"Comment le taux de participation peut osciller autour de 50% dans les zones où règne la paix, et être de près de 90% dans une région où les populations ont fui la guerre. Et c'est dans cette région que les suffrages en faveur de Paul Biya approchent les 100%", s'est insurgé le représentant de Tchiroma Bakary, selon nos informations.
Les données exclusives recueillies par Jeune Afrique mettent en lumière des anomalies troublantes dans plusieurs départements. Dans le Ndian (Sud-Ouest), le taux de participation atteindrait 92,1% avec un score de 98,9% pour Paul Biya, contre seulement 0,03% pour Issa Tchiroma Bakary. Ces résultats interviennent dans une région dévastée par le conflit anglophone depuis 2016.
Le département du Logone-et-Chari s'est révélé si controversé qu'Émile Essombé, qui dirigeait les travaux de la commission, a dû constituer un groupe de travail spécial pour procéder à un recomptage des procès-verbaux de cette zone, ainsi que ceux de la diaspora qui ne disposait pas de commission départementale dédiée.
Malgré la virulence de ses dénonciations de fraude, Jeune Afrique a appris qu'Issa Tchiroma Bakary a fait le choix stratégique de ne pas se pourvoir devant le Conseil constitutionnel. Les audiences de contentieux post-électoral doivent pourtant débuter ce 22 octobre.
Ce retrait du processus judiciaire marque une rupture totale avec les instances officielles. L'opposant semble préférer mener sa bataille sur le terrain de l'opinion publique et des réseaux sociaux, plutôt que dans l'arène juridique où, selon la loi camerounaise, seuls les procès-verbaux d'Elecam font foi en cas de litige.
Face à cette escalade, les autorités multiplient les appels à la patience. Le gouvernement exhorte les différents acteurs à attendre la proclamation officielle des résultats par le Conseil constitutionnel, prévue au plus tard le 26 octobre prochain.
La bataille des chiffres ne fait cependant que commencer. Avec douze départements supplémentaires encore à publier par l'équipe de Tchiroma Bakary, les prochains jours s'annoncent décisifs pour la crédibilité du processus électoral camerounais et la stabilité du pays.