Actualités of Sunday, 19 October 2025

Source: www.camerounweb.com

Élection présidentielle 2025 : décorticage de la stratégie parallèle de comptage d'Issa Tchiroma

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Le communiqué publié par Issa Tchiroma après le scrutin du 12 octobre révèle une stratégie électorale bien pensée, mais soulève des questions fondamentales sur la légitimité et la faisabilité d'un système de comptage parallèle au Cameroun.


La proposition de Tchiroma repose sur un principe simple : 18 départements sur 58 représentent 80 % de l'électorat national. En contrôlant ces territoires, affirme-t-il, la victoire est garantie. C'est une approche géopolitique classique, souvent utilisée dans les pays où le poids démographique se concentre dans certaines régions.


Cependant, cette affirmation mérite un examen critique. Le Cameroun, malgré la concentration urbaine dans le Littoral et le Centre, reste un pays où l'équilibre électoral dépend aussi de la participation rurale et de la mobilisation des régions moins peuplées. Réduire le scrutin à 18 départements, c'est implicitement accepter que près de 20 % de l'électorat ne compte pas vraiment — une logique qui pourrait aliéner les électeurs des régions marginalisées.


Tchiroma promet des tendances « basées sur les procès-verbaux signés » et « vérifiables ». Un argument séduisant en théorie. Mais en pratique, plusieurs défis se posent :

Le problème de la transparence institutionnelle : les procès-verbaux officiels relèvent de l'autorité électorale indépendante (ELECAM). Un candidat qui publie ses propres données, même vérifiables, crée une narration parallèle. Si ses chiffres divergent des résultats officiels, cela ravivera immédiatement les accusations de manipulation — d'où qu'elle vienne.

La question des scrutateurs : Tchiroma affirme que ses scrutateurs collecteront les PV dans les bureaux de vote. Mais tous les candidats n'ont pas le même accès aux bureaux, ni la même capacité logistique à déployer des observateurs partout.

L'absence de cadre institutionnel : contrairement aux observateurs accrédités par ELECAM, l'équipe de campagne de Tchiroma n'a pas de statut officiel pour certifier les documents. Ses « preuves documentées » pourraient être contestées comme étant de simples déclarations d'une partie prenante, non des faits établis.

Au-delà de la méthodologie, ce communiqué révèle une stratégie politique plus large. En annonçant à l'avance qu'il publiera ses propres résultats, Tchiroma fait plusieurs choses simultanément :

Il délégitimise potentiellement les résultats officiels en suggérant qu'ELECAM pourrait manipuler les chiffres.
Il mobilise sa base électorale autour d'une cause commune : la défense de « la vérité des urnes ».

Il internationalise le scrutin en appelant « la communauté internationale et les observateurs » à suivre ses tendances.
Il se positionne comme champion de la transparence, même s'il demeure un candidat avec des intérêts partisans évidents.

Le Cameroun a connu des crises post-électorales. La publication de comptages parallèles, si elle diverge significativement des résultats officiels, pourrait :
Alimenter les soupçons de fraude et polariser davantage le pays.
Créer une situation où deux « vérités » électorales coexistent, compliquant la légitimité du processus démocratique.

Exposer Tchiroma lui-même à des accusations s'il ne publie pas les données promises, ou si elles contredisent manifestement la réalité.

L'ironie est que le Cameroun dispose déjà de mécanismes de contrôle : ELECAM, les observateurs nationaux et internationaux accrédités, et les représentants des candidats dans les bureaux de vote. Si ces instances remplissent correctement leurs fonctions, aucun comptage parallèle ne devrait être nécessaire.
La persistance de telles initiatives suggère que la confiance envers les institutions électorales camerounaises reste profondément fragile. Que ce soit justifié ou non, c'est un signal d'alarme pour la démocratie du pays.


La méthodologie proposée par Issa Tchiroma n'est ni illogique ni malhonnête sur le papier. Mais elle expose les tensions fondamentales du processus électoral camerounais : l'absence de confiance institutionnelle, l'asymétrie entre les candidats, et la permanence des questions sur la transparence.

Pour que cette initiative renforce effectivement la confiance — plutôt que de la miner davantage — il faudrait que les résultats de Tchiroma convergent clairement avec ceux d'ELECAM, et que les observateurs internationaux valident la méthodologie utilisée.