La poussière rouge s'est mêlée aux gaz lacrymogènes en fin d'après-midi à Garoua. Ce qui devait être une simple journée électorale s'est transformé en bras de fer entre les partisans d'Issa Tchiroma Bakary et les forces de sécurité dans la capitale de la région du Nord.
Dès le milieu d'après-midi, l'atmosphère était électrique aux abords de la résidence de l'ancien ministre devenu opposant. Des centaines de personnes, répondant à son appel à surveiller le processus électoral, convergent vers les bureaux de vote pour assister aux opérations de dépouillement. "Nous ne laisserons personne voler notre victoire", lance un jeune homme d'une vingtaine d'années, brandissant son téléphone pour filmer la scène.
L'incident éclate lorsque Tchiroma Bakary, après avoir voté et visité plusieurs bureaux, retourne vers son domicile. Les gendarmes lui ordonnent de descendre de son véhicule et de poursuivre à pied. Il refuse. La foule s'enflamme. Les forces de l'ordre, déployées en nombre depuis le matin, tentent d'abord de contenir la situation. En vain.
Les tirs de gaz lacrymogène fusent, suivis de tirs de sommation. Mais face à la détermination de la foule, les gendarmes finissent par se replier. La situation reste "extrêmement tendue" alors que les derniers bureaux de vote s'apprêtent à fermer à 20 heures.
À quelques rues de là, dans un bureau de vote du quartier Roumde Adjia, les opérations de dépouillement débutent sous la surveillance de dizaines de citoyens. Chaque bulletin est scruté, photographié, partagé sur WhatsApp. "Cette fois, ils ne pourront pas tricher", affirme une femme d'une cinquantaine d'années, représentante locale du parti de Tchiroma.
À Yaoundé, Paul Biya a voté "comme à son habitude" avant de regagner sa résidence. Mais c'est son ministre de l'Administration territoriale, Paul Atanga Nji, qui monopolise l'attention médiatique. Offensif, il met en garde contre toute tentative de publier des "faux résultats" via des "plateformes illégales". "C'est la ligne rouge à ne pas franchir", menace-t-il, promettant "la rigueur de la loi sans la moindre complaisance".
La bataille se déplace sur le terrain numérique. Procès-verbaux, photos de décomptes et revendications de victoire inondent les réseaux sociaux. Issa Tchiroma Bakary a mis en place des canaux sur WhatsApp pour collecter les résultats favorables. En face, les officines du RDPC, le parti au pouvoir, publient leurs propres chiffres.
À Garoua, la nuit s'annonce longue. Issa Tchiroma Bakary demeure sous étroite surveillance dans sa résidence. Ses partisans, eux, refusent de se disperser. Certains parlent déjà de "révolution", d'autres de "libération". Les autorités, de leur côté, maintiennent la pression.
Les heures et les jours qui viennent diront si le Cameroun bascule dans une nouvelle ère politique ou si Paul Biya, au pouvoir depuis des décennies, parvient une fois de plus à conserver le fauteuil présidentiel. En 2018, Elecam avait mis une semaine avant de publier les résultats provisoires. Cette fois, l'opposition promet de ne pas laisser faire.