Dans quelques heures, les Camerounais passeront aux urnes. Ils éliront leur président de la République qui aura droit à un mandat de sept jusqu'en 2032. Ekanga Ekanga Claude Wilfried, un homme connu pour ses analyses justes, n'a aucune confiance que tout se passera bien. Au contraire, il annonce l'apocalypse.
Vous le persuadez qu'il ne commet aucune erreur, que vous auriez fait la même chose à sa place, qu'il a raison de parler comme il parle, en l'occurrence de considérer subitement son aîné politique comme un « poids extrêmement léger ». Il se voit déjà trop beau trop tôt ! Et vous, sans vous en rendre compte, vous déroulez peu à peu le tapis de l'autoritarisme à un homme qui, il y a encore deux mois, n'était visible qu'au microscope. Vous êtes bel et bien en train de fabriquer le monstre de Frankenstein.
L'histoire politique du monde - tout autant que celle de votre pays - devrait pourtant vous enseigner qu'il est facile d'invoquer les démons, mais plus difficile de les exorciser ensuite.
J'ai une précision à vous faire : quelle que soit la manière dont ce scrutin se termine, sachez que les nouvelles seront mauvaises. Car si (scénario 1) Paul Biya est déclaré vainqueur (ce sera évidemment le cas, puisque Clément ne pourra jamais lire un autre nom) et que Tchiroma revendique sa victoire, vous serez obligés de descendre dans la rue pour arracher cette victoire des mains du gang de Yaoundé. Vous comprenez alors que ce n'est pas moi qui envoie « les enfants des gens se faire tuer » ; c'est juste un passage inévitable, imposé par le destin. Pire encore, après m'avoir critiqué parce que je réclamais de faire la révolution pour celui que nous aimons (Maurice Kamto), il vous faudra trouver en vous la motivation pour faire la même révolution, mais pour celui que nous n'aimons pas (Tchiroma). Et à votre avis, qu'est-ce qui était plus facile ?
Et ce n'est même pas tout. En effet, puisque vous considérez Tchiroma comme une simple « transition », c'est-à-dire une passerelle vers « le vrai changement », j'ose espérer que vous avez déjà compris que cela signifie que vous devrez faire deux révolutions. Car même si Biya est renversé par la rue, le clan Tchiroma à son tour ne vous cédera jamais le pouvoir de son plein gré. Ni après 3 ans, ni après 30 ans. Le pouvoir ne se partage pas, jamais ! Et quiconque vous parle de transition n'est qu'un mythomane compulsif, à l'image de Mobutu, Kaka Deby ou Oligui Nguema.
Personne n'arrive au pouvoir par les urnes et accepte d'être considéré comme un « faux régime » ou une banale « transition », au point de céder carrément le pouvoir après 2 ou 3 ans à quelqu'un d'autre. Ça n'a jamais existé et ça n'existera jamais.
Voilà pourquoi je suis très intrigué que des gens qui me reprochent de prôner la révolution choisissent carrément le chemin qui les conduit à deux révolutions, alors que dans ma démarche, une seule (une vraie) aurait suffi. C'est comme si tu reprochais à quelqu'un de fumer une cigarette parce que « c'est mauvais pour la santé », mais que toi, en réaction, tu en fumais deux.
Et enfin, l'autre mauvaise nouvelle, c'est le scénario 2 (de très loin le plus probable) : Biya est proclamé vainqueur et Bakary vous demande de « prendre acte de la décision du Conseil constitutionnel » et de « mettre le camp sur les régionales, les législatives et les municipales ».
À ce niveau, le retour à la Kamto-House sera bien difficile. Sérieusement, avez-vous envisagé l'après-scrutin ? Ceux qui se seront contentés de voter Tchiroma sans trop en faire parce qu'ils souhaitaient simplement faire partir Biya pourront sans problème expliquer leur posture (même si on aura perdu beaucoup de temps dans un long rêve et qu'on se retrouvera à la case départ). Par contre, ceux qui se seront distingués par une gesticulation exagérée, des alléluias et des hourras envers un individu qui ne mérite aucun de ces compliments, ceux qui auront manifesté pour Issa un amour supérieur à celui de sa propre femme, auront je pense un peu plus de mal à justifier ces manières dangereusement biyayistes. Mais quel est donc ce virus malicieux qui pousse les Camerounais à toujours se faire plus royalistes que le roi ; à toujours vouloir danser plus vite que la musique ?
Il n'y a pas pire effet que l'effet d'entraînement, l'effet de masse. Il peut pousser le scientifique le plus rigoureux à douter de ses opérations, l'astronome le plus strict à penser que la terre est plate, juste parce que la quantité, sans aucune opération, sans aucune rigueur, se met à le penser.