Les dessous des tractations entre opposition et séparatistes avant le scrutin
Un accord inédit pour suspendre les "villes mortes" dans les zones anglophones
À quelques jours du scrutin présidentiel du 12 octobre, des négociations secrètes bouleversent la donne électorale dans les régions anglophones du Cameroun. Jeune Afrique révèle qu'un accord provisoire historique a été conclu le 27 septembre à Bamenda entre l'Union pour le changement, qui soutient Issa Tchiroma Bakary, et plusieurs leaders séparatistes ambazoniens.
Selon les informations exclusives obtenues par Jeune Afrique, ce texte prévoit une mesure spectaculaire : la suspension partielle des "villes mortes" les 11, 12 et 13 octobre dans la zone anglophone. L'objectif affiché est de permettre aux populations de se rendre aux urnes pour voter en faveur du candidat du Front pour un salut national au Cameroun (FSNC).
Le document, dont Jeune Afrique a pu consulter des extraits, stipule que "les villes mortes actuellement en vigueur dans la zone anglophone seront partiellement suspendues afin de permettre aux Anglophones d'aller voter pour Issa Tchiroma Bakary". Plus surprenant encore, les habitants devront déclarer en pidgin un mot de passe révélateur : "We di go for vote for Paa Issa Tchiroma Bakary".
En contrepartie, Jeune Afrique apprend qu'Issa Tchiroma Bakary s'est engagé à libérer les prisonniers liés à la crise anglophone et à engager des négociations directes avec les leaders séparatistes en cas de victoire. Un pari risqué pour l'ancien ministre de la Communication, longtemps considéré comme l'un des symboles du pouvoir francophone.
Lors de sa tournée dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest les 4 et 5 octobre, le candidat n'a pas caché ses contacts avec la mouvance séparatiste. Jeune Afrique révèle qu'il a notamment évoqué publiquement ses "échanges réguliers" avec Chris Anu, figure influente exilée aux États-Unis et frère du général ambazonien Field Marshall. Des propos qui ont été chaleureusement applaudis à Buea et Limbe, selon nos observations sur place.
Dans un moment hautement symbolique, Issa Tchiroma Bakary a présenté des excuses publiques pour son rôle passé au gouvernement. "Aujourd'hui, je vous demande pardon. S'il vous plaît, acceptez mes excuses !", a-t-il lancé devant des foules venues l'écouter, reconnaissant avoir minimisé les problèmes des Camerounais anglophones durant son passage au ministère de la Communication.
Difficile d'évaluer l'impact réel de ces tractations dans des régions marquées par des années de violence et de méfiance. Les zones anglophones, qui représentent plus de 10 % du corps électoral national avec environ 621 000 inscrits au Nord-Ouest et 408 000 au Sud-Ouest, pourraient être surtout caractérisées par une forte abstention.
Jeune Afrique a interrogé plusieurs observateurs de la scène politique camerounaise, qui restent sceptiques quant à la capacité des leaders séparatistes à mobiliser effectivement leurs zones d'influence en faveur d'un candidat. "Ces accords sont fragiles et leur mise en œuvre reste incertaine", confie une source proche des négociations.
La question demeure : les "Amba boys" suivront-ils les consignes de vote ? Et surtout, cet accord controversé sera-t-il suffisant pour donner à Tchiroma Bakary l'avantage décisif face à ses concurrents dans la course au vote anglophone ? Réponse dans quelques jours.