Dans les couloirs du pouvoir camerounais, peu d'histoires illustrent mieux les jeux d'alliances et de trahisons que celle d'Issa Tchiroma Bakary. À trois semaines de la présidentielle du 12 octobre, Jeune Afrique révèle les dessous des manœuvres politiques qui ont jalonné le parcours de l'ancien ministre de la Communication, aujourd'hui candidat d'opposition.
L'histoire commence en novembre 1992, dans les bureaux présidentiels de Yaoundé. Paul Biya vient de remporter la première élection pluraliste du pays face à John Fru Ndi et Bello Bouba Maïgari. Ce dernier, arrivé troisième avec 19% des voix, négocie sa participation au gouvernement d'union nationale. Selon nos sources exclusives, Bouba Maïgari avait obtenu l'accord de principe pour six portefeuilles ministériels pour son parti, l'UNDP.
Mais Jeune Afrique a appris que Paul Biya avait orchestré une manœuvre secrète. Pendant que Bouba Maïgari préparait sa liste de ministres, le président menait des négociations parallèles avec deux jeunes loups de l'UNDP : Hamadou Moustapha et Issa Tchiroma Bakary. "Moustapha et Tchiroma n'étaient pas censés entrer au gouvernement, alors ils ont saisi l'opportunité", confie à Jeune Afrique un proche de l'UNDP de l'époque.
Nos investigations révèlent que la trahison ne s'est pas arrêtée là. Une fois nommés au gouvernement - Moustapha comme vice-Premier ministre, Tchiroma comme ministre des Transports - les deux hommes ont tenté un coup de force interne. Jeune Afrique a pu reconstituer les détails de cette tentative de putsch pour prendre le contrôle de l'UNDP.
"En coulisses, Moustapha et Tchiroma fomentent un putsch pour prendre le contrôle de l'UNDP", nous confie une source ayant assisté aux réunions secrètes de l'époque. Face à la résistance de Bello Bouba Maïgari, qui exigeait leur démission, les deux dissidents créent l'Alliance nationale pour la démocratie et le progrès, formation qui ne survivra pas.
Jeune Afrique révèle que cette stratégie de division s'inscrivait dans une logique plus large orchestrée par Paul Biya. Nos sources au palais présidentiel indiquent que le chef de l'État avait sciemment organisé cette trahison pour affaiblir l'UNDP, principal parti d'opposition nordiste.
La méthode sera répétée à plusieurs reprises. En 2004, c'est de nouveau Hamadou Moustapha qui est rappelé au gouvernement, puis Issa Tchiroma Bakary en 2009. "Paul Biya a d'abord maintenu en vie l'UNDP de Bello Bouba Maïgari [...] Mais le président ne souhaite pas non plus voir son vieux rival reprendre trop de poids politique", analyse un fin connaisseur du système Biya joint par Jeune Afrique.
La rupture définitive entre Tchiroma et Paul Biya s'est jouée début 2025, dans des circonstances que Jeune Afrique révèle en exclusivité. Alors qu'approchait la présidentielle, l'ancien ministre de la Communication a tenté une dernière réconciliation en demandant une audience au président. "Il demande à être reçu par Paul Biya, qui l'ignore", nous confie un proche du candidat.
Le 28 février 2025, aux obsèques de Martine Meba, belle-sœur de Paul Biya, Tchiroma fait une ultime tentative. Selon nos informations exclusives, il parvient à croiser et saluer le chef de l'État lors de la cérémonie dans la région du Sud. Mais celui-ci refuse de lui accorder l'audience demandée. C'est ce refus qui pousse définitivement Tchiroma vers l'opposition.
Ces révélations de Jeune Afrique éclairent d'un jour nouveau le fonctionnement du système politique camerounais. Pour les observateurs, ces trahisons successives illustrent les limites d'une stratégie de cooptation qui a longtemps assuré la stabilité du régime Biya.
"Le divorce avec le pouvoir a commencé", résume un opposant interrogé par Jeune Afrique. "Tchiroma a perdu le contact avec le président dans les années qui ont suivi, pendant qu'il sentait la grogne monter dans le septentrion."
Aujourd'hui candidat d'opposition, Issa Tchiroma Bakary tente de faire de son passé de "traître" un atout électoral. Reste à savoir si les Camerounais croiront en cette conversion tardive d'un homme qui aura passé 20 ans au gouvernement sur les 33 dernières années.