Débat sur l'autosuffisance alimentaire : Boutchouang Nghomsi C., président du Cameroon Youth Economic Forum, conteste fermement les propos de Martial Bissog qui affirmait dimanche sur le plateau de BNews1 que "le Cameroun jouit d'une autosuffisance alimentaire". Chiffres à l'appui, l'économiste démontre au contraire une dépendance structurelle croissante aux importations et une insécurité alimentaire persistante qui toucherait plus de 3 millions de Camerounais. Entre importations record de céréales atteignant 543,7 milliards de FCFA en 2024 et millions de personnes en situation de crise alimentaire, la réalité économique semble bien éloignée du tableau optimiste dressé par l'intervenant de BNews1. Une polémique qui révèle les divergences d'analyse sur l'état réel de la sécurité alimentaire au Cameroun.
[POINT DE VUE] Boutchouang Nghomsi C. répond à Martial Bissog après sa sortie polémique sur Bnews1 ce dimanche
Boutchouang Nghomsi C. est le président du Cameroon Youth Economic Forum
"En défilant le fil d’actualité de compte Facebook ce dimanche après-midi, je suis tombé sur un extrait vidéo d'un débat télévisé sur la page de Médiatude dans lequel M. Martial Bissog pour le nommer, affirmait pour le paraphraser que ‘’ le Cameroun jouit d’une autosuffisance alimentaire...’’
Une analyse rigoureuse des données économiques et statistiques des cinq dernières années infirme catégoriquement cette affirmation. Loin d’avoir atteint l’autosuffisance, le Cameroun est confronté à une dépendance croissante vis-à-vis des importations et à une insécurité alimentaire persistante pour une part significative de sa population.
Avant de présenter les données qui étayent mon propos, définissons d’abord les termes souveraineté alimentaire et autosuffisance alimentaire pour planter le décor.
Il est primordial de distinguer ces deux concepts clés qui sont souvent confondus dans l'espace public.
L’autosuffisance alimentaire est la capacité d’un pays à satisfaire l’intégralité des besoins alimentaires de sa population grâce à sa propre production et agricole, sans recours aux importations. C’est un indicateur de l’autonomie d'un pays face aux chocs des marchés mondiaux.
La souveraineté alimentaire quant à elle, est un concept plus large, qui postule le droit des peuples et des États de définir leurs propres politiques agricoles et alimentaires, en privilégiant la production locale pour la consommation domestique.
Sécurité alimentaire du Cameroun, une dépendance structurelle aux importations : un panorama statistique
L’analyse des flux d’importations révèle une dépendance alarmante du Cameroun pour des denrées de base.
- Céréales : En 2024, les importations de céréales ont atteint un niveau record de 543,7 milliards de FCFA, marquant une augmentation de 36 % en volume.
- Pour le blé, de 2021 à 2024, les importations de farine de blé ont cumulé près de 800 milliards de FCFA soit environ 4 millions de tonnes).
- Le Riz : Principal aliment de base, il a vu ses importations bondir de 59 %, atteignant 320 milliards de FCFA en 2024. Sur la période 2019-2024, la facture totale s’élève à 1 384,5 milliards de FCFA pour près de 4 millions de tonnes.
- Le Maïs : Malgré un potentiel de production locale, les importations de maïs ont atteint 11 milliards de FCFA en 2024 (81.000 tonnes). Le volume importé a connu une augmentation spectaculaire de 229 % en 2023 (39.000 tonnes) par rapport à 2022. De façon cumulée, 120.000 tonnes importées en 2 ans témoignant d’une vulnérabilité croissante.
- Huile de palme et Soja : Confronté à des pénuries il y a quelques années, le, le Cameroun a dû importer de l'huile de palme du Gabon (tiens ! Tiens!). 225 000 tonnes d’huile de palme en 2024, une première en six ans. De 2020 à 2024, près de 100 000 tonnes de soja ont également été importées.
- Le Poisson : De 2019 à 2024, les importations de poisson ont coûté près de 800 milliards de FCFA, soit plus de 1,2 million de tonnes.
Ces chiffres démontrent une dépendance structurelle vis-à-vis de l’extérieur, contredisant toute notion d’autosuffisance et de sécurité alimentaire.
Mesure de l’insécurité alimentaire : l’impact sur la population
Au-delà des données commerciales, l’état de la sécurité alimentaire se mesure par la capacité des ménages à accéder à une nourriture suffisante et saine. Les chiffres des institutions nationales et internationales sont alarmants.
Une étude du Programme National de Veille et de Renforcement de la Sécurité Alimentaire (MINADER) post-campagne agricole 2020 a révélé que :
- Plus de 17,4 millions de personnes vivaient en situation minimale de sécurité alimentaire.
- Plus de 5,8 millions de personnes étaient sous pression alimentaire.
- Plus de 2,36 millions de personnes étaient en situation de crise alimentaire, avec certaines régions et départements comme le Mbam-Inoubou, le Nord-Ouest, le Sud-Ouest et l’Extrême Nord particulièrement touchées.
- Selon l’UNICEF et le Bureau de la Coordination des Affaires Humanitaires des Nations Unies, plus de 3 millions de Camerounais étaient en situation d’insécurité alimentaire en 2023.
- Action contre la Faim a estimé à 3,4 millions le nombre de personnes ayant besoin d’aide humanitaire en 2024.
Ces indicateurs d’insécurité alimentaire, loin d’être anecdotiques, témoignent de la fragilité de la situation alimentaire.
Le Cameroun est loin d’avoir atteint l’autosuffisance et la souveraineté alimentaire, et les données montrent qu’un effort considérable reste à fournir pour garantir la sécurité alimentaire de l’ensemble de sa population."
#Médiatude