L'analyste révèle les vraies raisons des défections de Bello Bouba Maïgari et Issa Tchiroma Bakary : « Des ombres noires qui prennent des décisions » à la place du président.
Les révélations de Dieudonné Essomba sur le plateau du Club d'Élites de Vision 4 jettent un éclairage inédit sur les récentes ruptures politiques qui secouent le régime camerounais. L'analyste politique, réputé pour ses analyses fouillées du pouvoir, livre une explication saisissante des motivations profondes qui ont poussé Bello Bouba Maïgari et Issa Tchiroma Bakary à claquer la porte du gouvernement.
« Bello Bouba et Issa Tchiroma ont décidé de soutenir quelqu'un qu'ils voyaient, quelqu'un qui assumait ses actes, avec qui ils pouvaient discuter », explique Dieudonné Essomba, établissant d'emblée le cadre de son analyse. Selon lui, ces deux figures historiques du Grand Nord avaient initialement accepté de rallier Paul Biya sur la base d'un contrat politique clair : celui d'un dialogue direct avec le chef de l'État.
Mais ce contrat semble avoir été rompu par une évolution que l'analyste décrit sans détour : « Cette personne, pour des raisons peut-être liées à l'âge ou à la maladie, est aujourd'hui très en retrait, et d'autres personnes gèrent en son nom à travers les hautes instructions. »
Cette révélation, si elle se confirme, éclaire d'un jour nouveau les tensions qui traversent actuellement l'appareil d'État camerounais et explique l'exaspération croissante de certains cadres du régime.
L'analyse de Dieudonné Essomba devient encore plus percutante quand il évoque la gestion opaque qui caractériserait désormais le sommet de l'État. « Comment voulez-vous que des hommes normaux acceptent ce genre de situation ? », s'interroge-t-il, avant de détailler ce qui constitue selon lui le cœur du problème.
« La continuité ne signifie pas que celui avec qui j'ai signé des accords se mette en retrait, pendant que je vois des ombres noires, obscures, qui circulent, qui prennent des décisions... Et je n'ai même pas la possibilité d'aller demander à mon partenaire ce qui se passe. »
Cette métaphore des « ombres noires » résonne particulièrement dans le contexte camerounais, où les rumeurs sur l'influence croissante de certains conseillers de l'ombre alimentent depuis longtemps les spéculations politiques.
L'éclairage d'Essomba permet de mieux comprendre la trajectoire de Bello Bouba Maïgari, ministre d'État chargé du Tourisme et président de l'UNDP. Cet homme politique de 77 ans, figure respectée du Grand Nord, avait accepté de soutenir Paul Biya dans le cadre d'une alliance stratégique scellée il y a plusieurs décennies.
Mais selon l'analyste, cette alliance reposait sur un principe fondamental : la possibilité d'un dialogue direct avec le président de la République. « Si les ministres Bello Bouba et Issa Tchiroma se plaignent, cela signifie qu'un élément de leur contrat a été rompu : la capacité d'aller réclamer », précise Essomba.
Cette impossibilité de dialogue direct aurait progressivement miné la confiance de Bello Bouba envers un système où il ne reconnaissait plus son interlocuteur initial. Sa rupture récente avec le RDPC et l'annonce de sa candidature présidentielle prendraient ainsi tout leur sens : celle d'un homme qui refuse de cautionner un pouvoir devenu illisible.
Le cas d'Issa Tchiroma Bakary illustre parfaitement cette théorie du « contrat rompu ». L'ancien ministre de l'Emploi, longtemps porte-voix du régime en sa qualité d'ancien ministre de la Communication, avait bâti sa carrière politique sur sa proximité avec Paul Biya.
Mais selon l'analyse d'Essomba, cette proximité s'est progressivement étiolée au profit d'intermédiaires dont l'identité et les motivations échappent aux principaux intéressés. « Quand vous ne pouvez plus parler directement à celui avec qui vous avez passé un accord, le contrat n'existe plus », résume l'analyste.
Cette situation expliquerait la virulence du manifeste publié par Issa Tchiroma lors de l'annonce de sa candidature, où il dénonçait un système « à bout de souffle » et réclamait une « refondation démocratique ». Derrière ces formules politiques se cacherait une frustration plus personnelle : celle de ne plus pouvoir dialoguer avec son ancien mentor.
L'analyse de Dieudonné Essomba révèle une crise qui dépasse les cas individuels de Bello Bouba et Issa Tchiroma. Elle met en lumière un dysfonctionnement plus profond dans le système de gouvernance camerounais, où les circuits de décision semblent s'être opacifiés au point de rendre impossible tout dialogue politique constructif.
« Cette situation ne peut que générer d'autres ruptures », prédit un observateur politique basé à Yaoundé. « Si les plus fidèles collaborateurs du président ne peuvent plus l'approcher, comment les autres cadres du régime peuvent-ils encore faire confiance au système ? »
Ces révélations soulèvent des questions cruciales sur la stabilité du régime à l'approche de la présidentielle d'octobre 2025. Si la théorie d'Essomba se vérifie, d'autres défections pourraient suivre, particulièrement parmi les cadres du Grand Nord qui partagent les mêmes codes politiques que Bello Bouba et Issa Tchiroma.
« Le problème n'est plus seulement électoral, il devient institutionnel », analyse un constitutionnaliste camerounais. « Quand les ministres ne peuvent plus parler au président, c'est tout le système de gouvernement qui est remis en question. »
L'analyse de Dieudonné Essomba trouve un écho particulier dans les déclarations récentes d'autres personnalités politiques. Hassan Fouapon, qui critiquait récemment les « transfuges » du régime, pourrait être amené à réviser son jugement à la lumière de ces révélations sur les vraies motivations des ruptures.
Car si les explications d'Essomba se confirment, Bello Bouba et Issa Tchiroma ne seraient pas des opportunistes cherchant à sauver leur carrière, mais plutôt des hommes politiques cohérents refusant de cautionner un système devenu opaque et ingouvernable.
Cette grille de lecture pourrait accélérer la recomposition du paysage politique camerounais. D'autres figures du régime, confrontées aux mêmes difficultés de dialogue avec le pouvoir central, pourraient être tentées de suivre l'exemple de leurs homologues du Grand Nord.