Une enquête journalistique révèle que le comité exécutif de la FECAFOOT a accordé une dérogation spéciale à Samuel Eto'o pour gérer les fonds russes via son compte personnel. Cette révélation jette un éclairage nouveau sur l'affaire des virements suspects qui secoue le football camerounais. C'est ce que Annette Keysha Ikono journaliste à Africa Vision Sport indique.
Alors que Samuel Eto'o fait face à des accusations de détournement de fonds publics liés aux matchs internationaux des Lions Indomptables, une enquête menée auprès de sources bien introduites à la FECAFOOT révèle un élément crucial : le comité exécutif (COMEX) a bel et bien accordé une dérogation spéciale au président pour que l'argent octroyé par la fédération russe transite par son compte personnel.
Cette information, obtenue grâce à des sources internes à la fédération, transforme radicalement la perception de cette affaire qui agite le football camerounais depuis plusieurs semaines. Loin d'être une initiative personnelle du président de la FECAFOOT, l'utilisation de son compte bancaire qatari aurait été une décision collégiale prise par les instances dirigeantes de la fédération.
L'enquête permet de distinguer deux cas de figure distincts dans cette controverse financière. Le premier concerne le match Cameroun-Mexique disputé aux États-Unis le 10 juin 2023, pour lequel 500 000 dollars auraient transité par le compte personnel d'Eto'o. Le second implique la rencontre face à la Russie à Moscou le 12 octobre 2023, avec un virement de 455 056 euros.
Dans le cas américain, la justification technique avancée par l'entourage d'Eto'o repose sur l'absence de numéro fiscal américain (TIN) de la FECAFOOT. Sans ce précieux sésame délivré par l'administration fiscale américaine, aucune transaction financière légale ne peut être effectuée sur le sol américain par une entité étrangère.
Pour le match russe, la problématique est différente mais tout aussi contraignante. Les sanctions internationales imposées à la Russie depuis 2022 ont considérablement compliqué les transactions financières internationales. Moscou ne peut plus effectuer de paiements en dollars ou en euros, privilégiant désormais les devises de pays partenaires comme le yuan chinois ou le riyal qatari.
Selon nos informations, le comité d'urgence de la FECAFOOT se serait réuni le 29 septembre 2023 pour examiner spécifiquement la question du paiement russe. Face à l'impossibilité technique de recevoir les fonds sur les comptes traditionnels de la fédération, libellés uniquement en francs CFA, les dirigeants auraient mandaté "à titre exceptionnel" leur président.
Cette décision, présentée comme "une réponse pragmatique à une situation exceptionnelle", aurait été formalisée par un document interne signé par le coordinateur général Benoît Angbwa, alors encore en poste. Ce document, daté du 2 octobre 2023, confirmerait l'autorisation d'utiliser les coordonnées bancaires personnelles d'Eto'o pour faciliter la transaction.
Malgré ces éléments de justification, plusieurs questions demeurent en suspens. Pourquoi la FECAFOOT ne dispose-t-elle pas de comptes bancaires diversifiés dans les principales devises internationales ? Comment expliquer qu'une fédération de football d'envergure internationale n'ait pas anticipé ces contraintes techniques ?
Plus troublant encore, pourquoi ces dérogations n'ont-elles pas été rendues publiques dès l'origine ? La transparence dans la gestion des fonds publics aurait-elle permis d'éviter cette polémique qui ternit l'image du football camerounais ?
Samuel Eto'o fait désormais face à une plainte déposée par Guibai Gatama, ex-membre du Comité exécutif de la FECAFOOT, pour "corruption, détournement de fonds et complicité de détournement". Cette action judiciaire survient dans un contexte de tensions croissantes au sein de la fédération.
L'ancien attaquant international, qui a renoncé à l'intégralité de ses indemnités présidentielles en mai 2025, dénonce "une campagne de désinformation" orchestrée par ses détracteurs. Ses avocats affirment qu'il n'y a eu aucun enrichissement personnel et que tous les fonds ont été utilisés conformément à leur destination initiale.
Les implications pour la gouvernance du football camerounais
Cette affaire révèle les fragilités structurelles de la FECAFOOT en matière de gestion financière internationale. L'absence de comptes en devises étrangères, le manque d'anticipation des contraintes réglementaires américaines et russes, et la nécessité de recourir à des solutions d'urgence questionnent la professionnalisation de la fédération.
Au-delà du cas personnel d'Eto'o, c'est tout le système de gouvernance du football camerounais qui est interrogé. Comment une fédération peut-elle prétendre à l'excellence sportive sans disposer des outils financiers appropriés pour ses transactions internationales ?
Les révélations de cette enquête soulignent l'urgence d'une modernisation des structures financières de la FECAFOOT. La création de comptes bancaires multiples dans les principales devises internationales, l'obtention des autorisations fiscales nécessaires, et la mise en place de procédures transparentes de gestion des fonds deviennent des impératifs.
Cette modernisation permettrait d'éviter à l'avenir le recours à des dérogations exceptionnelles qui, même légales, créent des zones d'ombre préjudiciables à l'image de l'institution.
Avec le dépôt de plainte de Guibai Gatama, l'affaire entre désormais dans une phase judiciaire qui pourrait permettre de faire toute la lumière sur ces transactions controversées. Les enquêteurs devront notamment vérifier la réalité des autorisations accordées par le COMEX et s'assurer que les fonds ont bien été utilisés conformément à leur destination.
Cette clarification judiciaire s'avère indispensable pour restaurer la confiance des partenaires internationaux et des supporters camerounais envers leur fédération de football.
Pour Samuel Eto'o, cette affaire constitue un test majeur de sa crédibilité en tant que dirigeant. L'ancien buteur prolifique, habitué aux performances sur le terrain, doit désormais faire ses preuves dans l'arène administrative et judiciaire.
Sa capacité à démontrer la transparence de sa gestion et à moderniser les structures de la FECAFOOT déterminera en grande partie l'avenir de son mandat présidentiel. Car au-delà des explications techniques, c'est la confiance du public camerounais qui est en jeu dans cette affaire qui continue de faire les gros titres de l'actualité sportive nationale.