Depuis 2016, j’ai alerté avec constance la communauté éducative du Cameroun sur les dangers inhérents à une réforme curriculaire mimétique, notamment celle inspirée par l’Approche par compétences (APC).
Aujourd’hui, il est douloureusement évident que le système éducatif camerounais subit de plein fouet les contrecoups de cette réforme importée sans adaptation rigoureuse à notre contexte socioculturel et institutionnel. La fraude généralisée, les polémiques incessantes sur la nature et la structure des sujets d’examen, la dégradation qualitative des enseignements, la déconnexion croissante des enseignants et la désorientation profonde des apprenants ne sont que les symptômes visibles d’un mal bien plus profond. Ce mal ronge les fondements mêmes de notre avenir collectif. Cette situation alarmante ne saurait être imputée à une cause isolée. Elle résulte, en réalité, d’une conjonction pernicieuse de facteurs systémiques.
L’interventionnisme d’une bureaucratie pédagogique souvent incompétente, qui impose des directives sans concertation ni expertise locale, a fragilisé les bases de notre système éducatif. La négligence chronique de la formation initiale et continue des formateurs a laissé ces derniers démunis face aux exigences nouvelles. Par ailleurs, l’impréparation et l’exclusion des enseignants des processus décisionnels ont creusé un fossé entre les politiques éducatives et la réalité du terrain. À cela s’ajoutent des errements pédagogiques qui désorientent élèves et enseignants, ainsi qu’un profil inadéquat des inspecteurs pédagogiques, incapables d’accompagner efficacement la réforme.
Le tribut que cette désorganisation fait payer à notre jeunesse est exorbitant. Chaque élève désorienté, chaque enseignant démotivé, chaque fraudeur encouragé par un système défaillant, c’est une génération sacrifiée, une promesse d’avenir brisée. Le capital humain, ressource la plus précieuse de notre nation, est ainsi compromis, compromettant à son tour le développement économique, social et culturel du Cameroun. Ignorer cette réalité, c’est hypothéquer la souveraineté même de notre pays, en laissant les orientations éducatives être dictées par des modèles étrangers inadaptés et déconnectés de notre réalité.
Il est également crucial de dénoncer l’attitude carriériste et cynique de certains fonctionnaires enseignants, inspecteurs pédagogiques et bureaucrates qui, au lieu de faire preuve d’intégrité et de responsabilité, ont choisi de travestir la vérité sur la situation préoccupante de cette réforme avortée. Par des rapports biaisés, des communications partiales et une complaisance coupable, ces acteurs ont contribué à masquer l’ampleur des dysfonctionnements, retardant ainsi les mesures correctives nécessaires. Ce comportement opportuniste, motivé par des intérêts personnels et la peur de perdre des privilèges, a gravement compromis la transparence et l’efficacité du système éducatif, au détriment des générations actuelles et futures.
Il est donc impératif, et ce de toute urgence, que les pouvoirs publics reprennent la main sur la gouvernance du système éducatif. Cette reprise ne doit pas être un simple contrôle administratif, mais une véritable refondation stratégique, pilotée par des Camerounais qui possèdent une connaissance intime de notre société, de nos valeurs, de nos défis et de nos aspirations. La reconstruction du système éducatif doit s’appuyer sur une vision endogène, adaptée aux spécificités culturelles, économiques et sociales du pays, afin de garantir une éducation qui forme des citoyens compétents, critiques et engagés. Pour faire cela, il est nécessaire de réhabiliter la formation des formateurs et des enseignants, en leur offrant des programmes rigoureux, contextualisés et continus. Il faut également instaurer un dialogue constructif et permanent entre tous les acteurs éducatifs, afin de restaurer la confiance et l’adhésion collective aux réformes. Par ailleurs, la sélection et la formation des inspecteurs pédagogiques doivent être revues pour garantir qu’ils soient des acteurs de terrain compétents et bienveillants, capables d’accompagner efficacement les enseignants dans leur mission.
Enfin, la lutte contre la fraude et les dysfonctionnements doit devenir une priorité nationale, avec des mécanismes transparents, rigoureux et équitables. Ce combat ne peut être gagné que si l’ensemble de la société, des familles aux institutions, s’engage dans une dynamique de responsabilisation et d’exigence. Le système éducatif camerounais, en tant que pilier fondamental de notre avenir, mérite une mobilisation sans précédent, une volonté politique ferme et une vision claire, afin que les générations futures ne paient pas un tribut injuste à nos erreurs présentes. Il va commencer à se faire tard si les pouvoirs publics prennent conscience maintenant de l’ampleur de la crise éducative que traverse notre pays et agissent avec détermination. La reconstruction d’un système éducatif solide, adapté et souverain est une nécessité impérieuse pour assurer à notre jeunesse un avenir digne et prometteur. Confier cette mission à des Camerounais engagés, compétents et visionnaires est la seule voie possible pour redonner à notre nation la maîtrise de son destin éducatif et, par extension, de son développement global. Le temps de l’action est venu, et il ne saurait être différé davantage.
Par le Pr Jacques Evouna, normalien et universitaire, militant pédagogique.