Dans un contexte politique camerounais de plus en plus tendu par les questions de succession présidentielle et les crises multiformes, l'économiste et analyste politique Dieudonné Essomba a livré un diagnostic sans concession de l'état de la nation lors de sa dernière apparition dans l'émission "CLUB D'ÉLITES" sur Vision 4. Ses propos, d'une rare virulence pour une émission de grande écoute, ont provoqué une onde de choc dans les cercles intellectuels et politiques du pays.
"Il faudrait reprendre l'unité nationale à zéro ! Repenser des institutions conformes à une véritable perception de l'unité nationale. La construction de ce modèle nous a conduits dans une série d'impasses : impasses économiques, impasses politiques, impasses sociales… On ne sait même pas où l'on va. La question de la succession de Biya est une impasse. Les impasses sont partout", a déclaré Dieudonné Essomba avec la verve qui le caractérise.
L'économiste ne s'est pas contenté de dresser un constat d'échec. Il a également explicité les raisons profondes qui, selon lui, expliquent cette situation : "Parce qu'on a bâti un modèle artificiel, qui ne s'appuie sur rien. On a continué avec des concepts artificiels, mal définis, indéfinis, impossibles à mesurer, mais dont on parle comme s'ils étaient réels. Or, même les concepts abstraits doivent être mesurés à travers des indicateurs."
Cette critique fondamentale de la construction nationale camerounaise intervient à un moment particulièrement sensible, alors que le pays est confronté à des défis majeurs, tant sur le plan sécuritaire avec la crise anglophone et la menace terroriste dans l'Extrême-Nord, que sur le plan économique avec une croissance en berne et une dette publique préoccupante.
La mention explicite de "la question de la succession de Biya" comme étant une "impasse" a particulièrement retenu l'attention des observateurs. Dans un pays où évoquer l'après-Biya reste largement tabou dans les médias officiels, cette formulation directe témoigne d'une liberté de ton qui se fait de plus en plus rare sur les plateaux télévisés camerounais.
"Dieudonné Essomba met le doigt sur des problèmes structurels que beaucoup refusent d'aborder frontalement", analyse Marie-Claire Edzoa, politologue à l'Université de Yaoundé II. "Quand il parle d'impasses économiques, politiques et sociales, il exprime une préoccupation largement partagée par de nombreux Camerounais qui ont le sentiment d'un pays à la dérive."
L'économiste Jean-Marc Bikele abonde dans ce sens : "Les indicateurs économiques du Cameroun sont effectivement préoccupants, avec une croissance qui peine à dépasser 3% depuis plusieurs années, bien en-deçà des objectifs fixés dans la Vision 2035. Le taux de chômage des jeunes reste alarmant, et les inégalités se creusent. Ce sont bien des impasses qui nécessitent une refonte profonde de notre modèle de développement."
L'un des aspects les plus incisifs de l'intervention d'Essomba concerne sa critique de l'absence d'indicateurs permettant de mesurer des concepts pourtant centraux dans le discours politique camerounais, à commencer par celui d'unité nationale.
"C'est une critique méthodologique fondamentale", estime Richard Mendouga, sociologue spécialiste des questions identitaires au Cameroun. "Comment prétendre construire l'unité nationale si l'on est incapable de définir précisément ce concept et, surtout, d'en mesurer l'évolution dans le temps ? Cette exigence de mesurabilité que pose Essomba est essentielle pour toute politique publique sérieuse."
Cette approche scientifique tranche avec le traitement habituellement plus émotionnel et incantatoire de la question de l'unité nationale dans le débat public camerounais.
Les propos de Dieudonné Essomba ont suscité des réactions contrastées dans la classe politique camerounaise. Certains responsables du parti au pouvoir y voient une "remise en cause dangereuse des acquis" et une "tentative de déstabilisation" du pays.
"Parler de reprendre l'unité nationale à zéro, c'est nier tous les efforts consentis depuis l'indépendance pour bâtir une nation unie et indivisible", s'insurge un député du RDPC qui a requis l'anonymat. "Ce genre de discours peut encourager les velléités sécessionnistes et communautaristes qui menacent notre pays."
À l'inverse, dans les rangs de l'opposition, l'analyse d'Essomba trouve un écho favorable. "Enfin quelqu'un qui ose dire tout haut ce que beaucoup pensent tout bas", se réjouit Joseph Mbah Ndam, figure de l'opposition camerounaise. "Le modèle actuel est effectivement à bout de souffle, et nous payons le prix d'années d'immobilisme et de fuite en avant."