Dans un contexte pré-électoral déjà bouillonnant, le président de l'Assemblée nationale camerounaise vient de marquer les esprits. Ce qui devait être une simple cérémonie de baptême s'est transformé en un véritable rassemblement politique aux allures de pré-campagne présidentielle.
La cérémonie initialement prévue pour dévoiler officiellement le nom du nouvel édifice de l'Assemblée nationale - désormais baptisé "Assemblée nationale Paul Biya" - s'est métamorphosée en une impressionnante démonstration de force orchestrée par Cavayé Yéguié Djibril. L'événement, supervisé par le cabinet civil de la présidence de la République, a rassemblé près de 7 500 personnes dans les locaux flambant neufs du Parlement.
En l'absence du chef de l'État, c'est le Premier ministre Joseph Dion Ngute qui l'a représenté. Toutefois, sa présence a été quelque peu éclipsée par celle du maître de cérémonie, Cavayé Yéguié Djibril, qui s'est imposé comme la figure centrale de l'événement. À noter que Joseph Dion Ngute est pressenti comme futur directeur de campagne du président Biya pour l'élection présidentielle à venir.
Dans le jeu d'échecs politique qui se dessine à l'approche de la présidentielle camerounaise, cette cérémonie a permis à Cavayé Yéguié Djibril de s'affirmer comme le chef de file des "conservateurs" - ces partisans inconditionnels d'une nouvelle candidature de Paul Biya, qui s'opposent en coulisses à certaines voix favorables à un renouvellement au sein du RDPC (Rassemblement démocratique du peuple camerounais), le parti au pouvoir.
Le discours du président de l'Assemblée nationale a été sans équivoque : il s'est dit prêt à "s'engager tant que ses forces le lui permettront" aux côtés de Paul Biya. Cette profession de foi a été renforcée par les propos du député Théodore Datouo, vice-président de l'Assemblée nationale et président du comité d'organisation : "Nous célébrons quelqu'un qui a très bien travaillé et nous pensons qu'il peut continuer à faire davantage. C'est à lui de décider, mais nous lui demandons de continuer."
Pour s'assurer que son message parvienne jusqu'au chef de l'État, Cavayé Yéguié Djibril a saisi l'occasion pour décorer discrètement le député Bonaventure Mvondo Assam, surnommé "Bonivan". Ce n'est pas un choix anodin : élu de la circonscription du Dja et Lobo, il est surtout le neveu et conseiller officieux de Paul Biya sur les questions parlementaires. Bien qu'impliqué dans l'organisation de l'événement aux côtés de Théodore Datouo et Mary Muyali Boya, cette distinction a soulevé des interrogations parmi les observateurs.
La cérémonie a pris des airs de lancement de campagne électorale. Parmi les personnalités présentes figuraient le lamido de Garoua, Ibrahim El Rachidine, et le sultan des Bamouns, Nabil Njoya - deux dignitaires récemment intégrés au comité central du RDPC. Une parade de moto-taximen, groupe particulièrement courtisé par la classe politique camerounaise, a également manifesté son soutien à Paul Biya.
L'assistance comptait aussi des représentants de partis alliés au RDPC, des associations de personnes en situation de handicap et des membres du clergé, notamment Jean Mbarga, évêque de Yaoundé.
Point d'orgue de la cérémonie : le dévoilement d'une stèle en marbre portant en lettres dorées "Assemblée nationale Paul Biya". Ce baptême rappelle un précédent historique : en 1982, Ahmadou Ahidjo inaugurait le palais de l'Unité, quatre mois seulement avant sa démission. Quarante-trois ans plus tard, Paul Biya voit son nom orner un édifice qui pourrait bientôt accueillir la cérémonie de prestation de serment pour un éventuel neuvième mandat.
Cette inauguration s'inscrit dans une série d'actions politiques marquant la préparation de la prochaine échéance électorale : multiplication des appels à candidature en faveur du président sortant, tournée politique du secrétaire général de la présidence Ferdinand Ngoh Ngoh, et remaniement des instances du RDPC.
À travers cette cérémonie savamment orchestrée, Cavayé Yéguié Djibril affirme sa position dans la dernière ligne droite avant la présidentielle. En transformant un événement protocolaire en démonstration de force politique, le président de l'Assemblée nationale s'impose comme l'un des plus fidèles lieutenants du président Biya.
Alors que le pays entre progressivement en période pré-électorale, cet épisode illustre la subtile partie de positionnement qui se joue au sein de l'appareil d'État camerounais. Entre continuité et renouvellement, la question de la succession au sommet de l'État reste en filigrane, même si les partisans d'une nouvelle candidature de Paul Biya semblent pour l'heure tenir la corde.