Les pratiques ésotériques sont courantes dans le régime de Biya. Le zèle de certains collaborateurs de Paul Biya en la matière inquiète parfois le locataire du Palais de l’Unité. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il a ordonné en 2008, l’arrestation du ministre Jean Marie Gankou pour s’être attaché les services d’un puissant sorcier. L’écrivaine française Fanny Pigaud, revient sur cet épisode.
Les stratégies de Biya pour se maintenir au pouvoir n’ont pas seulement accentué les fractures au sein du régime : elles ont aussi encouragé le développement de nombreuses pratiques occultes. Une grande partie de l’élite politique et administrative se livre en effet à des rites magiques censés les aider à conquérir ou à garder un poste, mais aussi à mettre à mal leurs concurrents. En 2006, l’opposant et historien Abel Eyinga a ainsi raconté que, peu après avoir annoncé son projet de se présenter à la mairie d’Ébolowa (sud) pour les municipales de 1996, il lui avait été « rapporté que des séances de sorcellerie et de magie noire se tenaient chaque semaine (dans le camp du pouvoir, ndlr) pour décider du genre de sort à (lui) jeter. » Eyinga précisait que le ministre Fame Ndongo avait « la réputation d’être le principal conseiller du président Biya en matière de sorcellerie, de sectes secrètes étrangères et des autres pratiques occultes utilisées en haut lieu.
Il nous a avoué, un jour à Ébolowa, publiquement, que sans les sectes Biya ne serait plus au pouvoir depuis belle lurette ». L’ancien ministre délégué auprès du ministre de l’Économie et des Finances (1996-2002), Jean Marie Gankou, a pour sa part été arrêté et détenu en mai 2008 pendant plusieurs jours, soupçonné d’avoir commandé auprès d’un sorcier un fétiche contre une forte somme d’argent. Selon la presse, il cherchait par ce procédé à retrouver un poste gouvernemental.
Depuis que Paul Biya a relancé les nominations, il y a des gens qui viennent chez moi. Il y a un ancien commandant, qui est venu aujourd’hui, ainsi que deux colonels. Un ministre était ici il y a trois ou quatre jours. Il y a des gens qui veulent avoir des postes, et qui veulent aussi empêcher les autres d’avoir des postes. Donc, ça se situe autour de l’amour de l’argent. Il y en a même qui le font ouvertement. Une dame a ainsi dit à son mari : “Tu es un médecin, donc un scientifique, et tu immoles des moutons aux esprits !” Et le monsieur a répondu : “Toi et les enfants, vous n’êtes pas des millions, moi je veux des millions”. Elle a demandé : “Tu peux répéter ça devant la famille ?” ; il a répondu “oui” et il l’a répété devant les deux familles, et même devant un commissaire de police, que si les esprits lui demandent de tuer sa femme, il la tue. »
L’importance de l’ésotérisme dans les arcanes du pouvoir s’explique en partie par les croyances populaires qui lient sou vent pouvoir et sorcellerie. Dans plusieurs ethnies camerounaises existent des sociétés secrètes qui sont en relation avec les ancêtres et le monde invisible de la sorcellerie. Puissantes, elles jouaient et jouent encore un rôle important de régulation sociale. Richesse et ascension sociale sont aussi associées à la sorcellerie. Il arrive par exemple que les habitants des grandes villes craignent de retourner dans leur village d’origine : ils redoutent d’y être victimes d’actes de sorcellerie hostiles de la part de villageois jaloux de leur réussite « à la ville ».
À l’inverse, ceux qui deviennent rapidement riches sont soupçonnés par les autres d’avoir eu recours à des pratiques magiques, comme celle du kong (chez les Beti), appelé famla (Bamiléké), ekong (Duala) ou djambe (Maka). Cette pratique de sorcellerie consiste, selon la pensée populaire, à tuer des gens pour faire ensuite travailler leur corps ranimés sous forme de zombis, ou leur âme comme esclaves dans la vie réelle pour le corps et dans l’au-delà pour l’âme. C’est cette mise en esclavage qui permettrait de s’enrichir. « Prendre quelqu’un dans le kong signifie le faire mourir après une maladie plus ou moins longue. Après sa mort, la victime est supposée aller travailler dans un pays lointain au service d’un patron à qui il a été vendu par son meurtrier, lequel perçoit pour cela une certaine somme d’argent. Une personne qui s’enrichit trop vite est accusée de vendre les siens de cette manière, surtout si le taux de mortalité semble anormalement élevé dans son entourage », ont expliqué l’anthropologue
Séverin Cécile Abéga et le sociologue Claude Abé