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Actualités of Samedi, 15 Janvier 2022

Source: Human Rights Watch

Homosexualité, crise anglophone, corruption : le rapport glaçant de Human Rights Watch sur le Cameroun

Un rapport qui dénude le Cameroun Un rapport qui dénude le Cameroun

Le rapport 2021 de l'Organisation non gouvernementale internationale Human Rights Watch denude le Cameroun sur les sujets assez sensibles.

Homosexualité, crise anglophone, répression de l'opposition, tout s'y retrouve.

La rédaction de CamerounWeb vous propose l’intégralité du rapport 2021 de HRW sur le Cameroun

La crise anglophone

D’après des études de terrain et des recherches effectuées dans la documentation librement disponible par Human Rights Watch, au moins 4 000 civils ont été tués aussi bien par les forces gouvernementales que par les combattants séparatistes armés depuis la fin 2016 dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, les séparatistes réclamant l’indépendance des régions anglophones minoritaires du pays.

Exactions perpétrées par les forces gouvernementales

Les forces de sécurité ont répondu par la manière forte aux attaques lancées par les séparatistes, ciblant souvent des civils à travers les régions anglophones.

Le 10 janvier, des soldats de l’armée ont tué au moins neuf civils, dont une femme et un enfant, dans le village de Mautu, dans la région du Sud-Ouest. Les soldats en cause ont aussi pillé des dizaines de foyers et menacé les habitants.

Le 8 juin, dans le village de Gom, dans la région du Nord-Ouest, deux soldats ont fait irruption au domicile d’un fon (figure d’autorité traditionnelle locale) et harcelé les huit personnes présentes, dont un homme âgé de 72 ans qu’ils ont passé à tabac. Ils ont également tué par balle Nwang Lydia, une femme âgée de 60 ans, qui n’avait pas pu fournir d’informations sur un combattant séparatiste.

Le 9 juin, des soldats de l’armée régulière et du Bataillon d’intervention rapide d’élite (BIR) ont tué un homme âgé de 58 ans et violé une femme de 53 ans lors d’une opération de sécurité menée dans et autour du village de Mbuluf, dans la région du Nord-Ouest. Ils ont également fait irruption dans au moins 33 magasins et maisons, qu’ils ont endommagés et pillés, dont la résidence du fon du village de Ndzeen.

Le 14 octobre, un gendarme a tué par balle Caroluise Enondiale, une fillette de quatre ans, alors qu’elle se rendait à l’école à Buea, dans la région du Sud-Ouest. Une foule en colère a réagi en lynchant le gendarme à mort.

Le 10 novembre, un engin explosif improvisé a été jeté sur le toit de l’amphithéâtre de l’université de Buea, dans la région du Sud-Ouest, blessant au moins 11 étudiants. Au moment de la rédaction des présentes, l’attaque n’avait pas été revendiquée, mais les autorités tenaient pour responsables les combattants séparatistes.

Exactions perpétrées par les séparatistes armés

Des combattants séparatistes ont continué de tuer, de torturer, d’attaquer et d’enlever des civils. Ils ont aussi poursuivi leurs attaques ciblant le système éducatif. D’après les Nations Unies, 700 000 élèves étaient déscolarisés en mars 2021 du fait de la crise. 

Le 9 janvier, des individus soupçonnés d’être des combattants séparatistes ont tué le proviseur d’un lycée à Eyumojock, dans la région du Sud-Ouest, et blessé le principal d’un autre lycée à Tinto, toujours dans la région du Sud-Ouest. Le 12 janvier, des combattants séparatistes ont blessé par balle une enseignante d’un établissement public à Bamenda, dans la région du Nord-Ouest.

Le 13 février, des combattants séparatistes ont tué trois chefs tribaux dans le village d’Essoh Attah, dans la région du Sud-Ouest. Le 27 février, des séparatistes armés ont enlevé un médecin à Bali, dans la région du Nord-Ouest, et menacé de le tuer, avant de le libérer le même jour après versement d’une rançon.

Le 6 juin, des combattants séparatistes ont attaqué un centre religieux à Mamfe, dans la région du Sud-Ouest, tuant un garçon de 12 ans et en blessant un autre de 16 ans. Le 1er juillet, des combattants séparatistes ont tué Fuh Max Dang, professeur de physique au lycée gouvernemental bilingue de Kumba, dans la région du Sud-Ouest. Le 29 août, des séparatistes armés ont enlevé Julius Agbortoko, un prêtre catholique du diocèse de Mamfe, dans la région du Sud-Ouest, et réclamé une rançon de 20 millions de CFA (34 336 dollars US) pour sa libération.

Obstacles à l’accès humanitaire et exactions à l’encontre de travailleurs humanitaires

L’accès humanitaire est sérieusement restreint et les travailleurs humanitaires ont été victimes d’attaques perpétrées aussi bien par les forces gouvernementales que par des groupes armés séparatistes. En décembre 2020, les autorités camerounaises ont suspendu toutes les activités de Médecins sans frontières (MSF) dans la région du Nord-Ouest, accusant l’organisation d’être trop proche des séparatistes anglophones. Cette décision a contraint MSF à se retirer de la région, privant des dizaines de milliers de personnes d’un accès à des soins de santé vitaux.
Les combattants séparatistes ont aussi entravé l’accès des agences humanitaires aux zones placées sous leur contrôle. Le 4 février, une infirmière qui travaillait pour une organisation non gouvernementale (ONG) internationale a été blessé par balle quand son ambulance s’est retrouvée prise entre les tirs lors d’une attaque lancée par des séparatistes dans le village de Mbalangi, dans la région du Sud-Ouest. Le 25 juin, des combattants du groupe armé séparatiste des Forces de défense d’Ambazonie (Ambazonia Defense Forces, ADF) ont stoppé un véhicule humanitaire à Guzang, dans la région du Nord-Ouest, enlevé les quatre employés, dont un a été passé à tabac, et les ont libérés le même jour.

Attaques perpétrées par Boko Haram dans l’Extrême-Nord

Au premier semestre 2021, les attaques et les descentes menées par le groupe armé islamiste Boko Haram se sont intensifiées dans la région de l’Extrême-Nord, faisant au moins 80 morts parmi les civils. Le 8 janvier, un attentat-suicide de Boko Haram a tué au moins 14 civils, dont 8 enfants, et a blessé trois autres civils, dont deux enfants. La mort présumée, en mai, d’Abubakar Shekau, le chef de Boko Haram, lors d’un affrontement au Nigeria avec une faction dissidente dénommée Province de l’État islamique d’Afrique de l’Ouest (ISWAP), a contribué à consolider le pouvoir d’ISWAP et accru le niveau d’insécurité dans la région camerounaise de l’Extrême-Nord.

Mesures répressives contre l’opposition politique et les dissidents

Le gouvernement a limité la capacité des opposants politiques à opérer librement. Les autorités ont interdit une manifestation organisée par le principal parti d’opposition du pays, le Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC), prévue pour le 25 juillet à Yaoundé, la capitale, pour « risque de propagation du Covid-19 et menace de trouble à l’ordre public ». Le même jour, une manifestation organisée par des partisans du parti dirigeant a eu lieu à Bertoua, dans la région de l’Est.
Le 9 août, des gendarmes ont arrêté à Douala, de manière arbitraire, Rebecca Enonchong, femme d’affaires de premier plan dans le secteur technologique, défenseure des droits humains et détractrice déclarée du Président Paul Biya. Elle a été maintenue en garde à vue pour « outrage à magistrat » jusqu’au 13 août, date à laquelle elle a été libérée et où toutes les charges retenues contre elles ont été abandonnées.

Au moins 124 membres et sympathisants de partis d’opposition arrêtés en septembre 2020 lors de manifestations pacifiques se trouvaient toujours en détention pour des chefs d’accusation motivés par des critères politiques, dont Olivier Bibou Nissack et Alain Fogué Tedom, deux membres importants du MRC.

Orientation sexuelle et identité de genre

Le code pénal camerounais prévoit une peine pouvant aller jusqu’à cinq années de prison en cas de « rapports sexuels avec une personne de son sexe ». Les forces de sécurité ont arrêté arbitrairement, battu ou menacé au moins 24 personnes, dont un adolescent âgé de 17 ans, pour des prétendus rapports sexuels consensuels entre personnes de même sexe ou pour non-conformité de genre. Certains ont été soumis à des examens anaux forcés. Le 11 mai, un tribunal camerounais a condamné Shakiro et Patricia, deux femmes transgenres, à cinq ans de prison et à des amendes de 200 000 CFA (370 dollars US) pour de soi-disant rapports sexuels avec une personne de leur sexe. 

Justice et obligation de rendre des comptes

Depuis janvier, sept audiences ont eu lieu dans le cadre du procès de trois membres des forces de sécurité accusés d’avoir été impliqués dans le meurtre de 21 civils dans le village de Ngarbuh, dans la région du Nord-Ouest. Le procès se tient devant un tribunal militaire à Yaoundé, à environ 380 kilomètres de Ngarbuh, compliquant la venue des familles des victimes. Les prévenus sont accusés de meurtre, d’incendie criminel, d’actes de destruction, de violence à l’encontre d’une femme enceinte et de violation de consignes. Dix-sept membres d’un groupe d’autodéfense et un ancien combattant séparatiste ont également été inculpés, mais ils se trouvent toujours en liberté. 

En juin 2020, l’ambassadeur de France au Cameroun a déclaré aux médias que le Président Biya l’avait assuré qu’une enquête serait ouverte sur la mort en détention du journaliste Samuel Wazizi survenue en août 2019. Cependant, l’enquête n’a aucunement avancé.

Le 26 juillet, le Tribunal pénal spécial, chargé de surveiller les dossiers relatifs au détournement de fonds publics, a reporté pour la 74ème fois le procès du journaliste Amadou Vamoulké, arrêté en 2016 pour détournement de fonds publics présumé. En 2020, le Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire a conclu que sa détention était arbitraire.


Le 7 septembre, un tribunal militaire à Buea, dans la région du Sud-Ouest, a condamné quatre personnes à être fusillées par un peloton d’exécution pour avoir tué sept enfants et en avoir blessé au moins 13 autres l’année dernière dans une école de Kumba, dans la région du Sud-Ouest. Les avocats de la défense ont déclaré que le procès avait été entaché d’irrégularités procédurales graves, d’abord du fait du recours à des tribunaux militaires pour juger des civils, et l’intégralité du réquisitoire s’appuyant sur des dépositions de témoins allégués, dont aucun n’était passé au tribunal pour que ces déclarations y soient examinées.

Outre ces obstacles qui ont empêché les accusés de présenter leur défense, aucune traduction de l’anglais ou du français vers l’anglais pidgin camerounais, langue parlée par la majorité des accusés, n’avait été prévue.

Dans un communiqué de presse publié le 14 octobre, le porte-parole de l’armée a reconnu la « réaction disproportionnée » d’un gendarme qui a tué par balle une fillette de quatre ans alors qu’elle se rendait à l’école à Buea, dans la région du Sud-Ouest, et précisé qu’une enquête avait été ouverte.


Droits des femmes

La discrimination contre les femmes est un phénomène courant au sein de la société camerounaise et elle est inscrite dans la législation qui subordonne le statut des femmes aux hommes. Le Code civil, en vigueur dans les régions francophones, stipule que l’homme est le chef de la famille (article 213), que le choix de la résidence de la famille appartient au mari (article 215), que les hommes et les femmes ne bénéficient pas de droits égaux en matière de biens immobiliers (article 1428) et que dans le cadre du mariage, les deux époux ne jouissent pas d’une autorité administrative égale concernant leurs biens (articles 1421 et 1428). 

Corruption

Le gouvernement n’a pas publié d’informations utiles sur les dépenses octroyées au titre du Covid-19, et de nombreux membres du personnel de santé ont signalé n’avoir reçu que peu de soutien, voire aucun, pour appuyer leur réponse à la pandémie. Le Fonds monétaire international (FMI) a accordé au Cameroun deux prêts d’urgence ainsi qu’un programme pluriannuel d’un montant total dépassant le milliard de dollars US, et ce, alors que le gouvernement n’a pas rempli plusieurs des engagements en matière de transparence s’appliquant à ces prêts. Le 19 mai, un organe médiatique camerounais a publié une synthèse du rapport d’audit de la Chambre des comptes, organe d’enquête de la cour suprême, qui révélait en détail une corruption de grande ampleur et une mégestion impliquant 180 milliards de CFA (333 millions de dollars US) dans le cadre de la riposte au Covid-19.

Elle recommandait « l’ouverture de dix procédures concernant des faits susceptibles de constituer des infractions à la loi pénale ». Les autorités camerounaises n’ont pas encore commandité ou publié d’audit indépendant des dépenses liées au Covid-19, bien qu’ayant promis au FMI de le faire avant le 31 décembre 2020.

Principaux acteurs internationaux

En janvier, le secrétaire d’État du Vatican s’est rendu au Cameroun et a fait part de la volonté de l’Église catholique romaine de faciliter un dialogue entre le gouvernement et les séparatistes.
Le 7 juin, le secrétaire d’État américain Antony Blinken a annoncé des restrictions relatives à l’obtention de visas « pour les individus dont on estime qu’ils sont responsables ou complices d’actes qui nuisent à la résolution pacifique de la crise dans les régions anglophones du Cameroun » et condamné « les atteintes aux droits humains et les exactions, ainsi que les menaces à l’encontre des défenseurs de la paix ou des travailleurs humanitaires ».

Bien que le Cameroun ne soit pas formellement à l’ordre du jour du Conseil de sécurité de l’ONU, des membres du Conseil s’entretiennent sur ce pays lors de sessions périodiques consacrées au travail du Bureau régional des Nations Unies pour l’Afrique centrale (UNOCA). Human Rights Watch et d’autres organisations ont exhorté le Conseil à formellement afficher à son ordre du jour la crise qui sévit dans les régions anglophones du Cameroun.

En novembre, le Parlement européen a adopté une résolution qui déplore les atteintes aux droits humains au Cameroun et appelle l’UE à redoubler d’efforts pour y répondre. L’UE a à maintes reprises fait part de ses préoccupations au sujet du Cameroun auprès du Conseil des droits de l’homme de l’ONU.