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Actualités of Jeudi, 28 Décembre 2017

Source: camer.be

Ce que cache réellement la libération de Patrice Nganang

La libération de Patrice Nganang ne doit pas être perçue comme une victoire politique La libération de Patrice Nganang ne doit pas être perçue comme une victoire politique

Lorsque nous observons ce que les générations camerounaises actuelles assimilent à des victoires politiques, force est de constater que les leaders de l’UPC historique ont définitivement placé la barre très haut.

Um Nyobè, sans avoir tous nos diplômes, a été à l’ONU défendre la cause de son pays. Il l’a fait dans une conjoncture politique où il pouvait être éliminé à tout moment sans qu’aucun média national ou international ne se penche sur son sort. Il a continué son combat sans le bouclier d’une prestigieuse nationalité acquise dans une grande puissance étrangère.

Il n’a jamais choisi la stratégie du « one man show », mais a joué collectif via l’Union des Populations du Cameroun. Mort les armes à la main en refusant toute compromission sur son Cameroun idéal, il ne pouvait que récolter une victoire historique sur le régime colonial. Sa victoire a été si grande qu’elle structure encore de nos jours l’imaginaire politique camerounais et panafricain.

De nos jours, quel contraste entre la victoire historique d’Um Nyobè et ce qui en tient lieu pour nous ! Nous avons, pour peu que l’un d’entre nous soit connu, tous les médias du monde pour ameuter la planète sur son sort.

Plusieurs d’entre nous ont des nationalités prestigieuses dont la seule évocation fait trembler les régimes africains. Nous avons une diaspora organisée, libre, fortement diplômée et militante pour la démocratie en Afrique.

Une société civile active et de puissantes corporations nous viennent en aide dès la moindre incartade du régime en place. Avec de tels instruments à notre crédit, la privation temporaire de liberté à l’un des nôtres pour avoir traité le président camerounais de « sans couilles », est ce que nous appelons une victoire politique. Il faut donc l’avouer, arriver à considérer la libération de Nganang comme une victoire politique en dit long sur le désespoir de l’opposition camerounaise, de sa diaspora et de sa société civile.

Voire une victoire politique dans cette libération est la preuve d’une carence drastique de réelles victoires décisives sur le régime de Yaoundé. Lorsqu’on n’a rien à se mettre sous la dent, on se contente de cacahouètes même avariées.

Ayons donc le triomphe modeste car, dehors de la joie sporadique que le peuple, les faibles, les pauvres et les laissés-pour-compte éprouvent lorsque quelqu’un ne respecte pas et insulte le plus puissant et le plus riche du village, le Cameroun est resté le Cameroun après le « one man Show » de Nganang. Rien n’a bougé d’un iota dans le berceau de nos ancêtres.

Paul Biya et ses ministres sont toujours en place. Les Camerounais miséreux, pauvres et largués par le système le sont toujours. La crise anglophone est toujours intacte, la répression toujours au zénith et l’absence de dialogue toujours assourdissante. Si, via un risque bien calculé, Nganang a gagné en renommée, le peuple camerounais lui connait toujours le statuquo. Une action qui laisse la situation dans le même état après qu’avant est une stratégie complètement ratée.

Là où Um Nyobè a rêvé d’une utopie collective avec le peuple comme force active de son combat, Patrice Nganang a rêvé d’une utopie individualiste avec le peuple comme l’entité qui l’encenserait et le porterait sur le trône du Cameroun. Dès lors, sans être un contempteur de Nganang, la joie que nous éprouvons tous qu’il ait été libéré, ne devrait pas nous empêcher de garder un regard critique sur une stratégie manifestement égocentrée et sans lendemains, parce que sans portée historique.

De là, ces quelques interrogations :

Quel type de pouvoir pensons-nous mettre en place au Cameroun post-Biya via des stratégies de combat individualistes et sans portée historique ?
Quelle est la portée de notre courage par rapport à Um Nyobè qui n’avait ni nationalité de substitution, ni institutions internationales, ni corporation en sa faveur ?

Comment voulons-nous changer les mœurs au sein du Cameroun de demain si nous n’inculquons pas à la jeunesse camerounaise la différence entre l’injure, la critique et la liberté d’expression ?

Voulons-nous uniquement une ligne en plus dans notre CV politique personnel ou cherchons-nous à instaurer une dynamique collective d’émancipation d’un peuple par lui-même ?

Il nous semble, à moins que nous nous trompions, que Patrice Nganang a porté son soutien aux compatriotes anglophones via la signature de son carnet de route. Il nous semble aussi, qu’en agissant tel qu’il l’a fait, il espérait la mobilisation des masses populaires camerounaises pour dégager le Renouveau National. C’est l’occasion ici, alors que nous partageons la majeure partie des préoccupations de gouvernance émises par nos compatriotes anglophones, de signaler que nous devons aussi être fermes et sans ambigüités dans la condamnation des sécessionnistes.

La sécession n’est pas la bonne stratégie de revendication car elle n’est pas au service de l’amélioration de la vie des Camerounais, mais de la guerre où ce sont encore et toujours les pauvres qui vont souffrir le plus.

Aucun Etat au monde, dictature ou démocratie, ne tolère une sécession. Un Etat est le détenteur du monopole de la violence légitime et on ne peut réussir une sécession que si on est plus violent que lui. Regarder la Corse en France, la Catalogne en Espagne, la Flandre en Belgique, le Tibet en Chine, ou, dans l’histoire, le nord et le sud des Etats-Unis.

L’Espagne est une démocratie mais le leader de l’indépendance de la Catalogne est réfugié en Belgique et frappé d’un mandat d’arrêt européen. Si des extrémistes se trouvent du côté du régime camerounais, nous ne pouvons appeler à la démocratie et au dialogue inclusif qu’en condamnant clairement ceux qui, du côté anglophone, veulent le démembrement du pays. Là aussi nous devons nous poser certaines questions.

Nos compatriotes anglophones non-sécessionnistes défendent-ils le libéralisme politique ou le communautarisme politique ?

Peut-on à la fois être libéral et communautarien sur le plan politique ?
Ceux qui financent les sécessionnistes anglophones sont-ils dans un nationaliste libérateur des Anglophones ou dans un nationalisme intéressé où ils veulent être l’élite dominante anglophone de demain ?

Les Anglophones sécessionnistes se montrent-ils solidaires du sort de tous les Camerounais sous le Renouveau National en prônant la naissance d’un nouvel Etat différent du Cameroun ?

Nous l’avons toujours dit, seule une décentralisation démocratique, solidaire et concurrentielle est susceptible d’assurer une redistribution du pouvoir entre les Camerounais de sensibilités et de cultures différentes, de façons à en faire des richesses nationales.

Si notre compatriote Nganang a espéré le soulèvement de la rue, et, via celui-ci, l’évacuation du régime, alors il va sans dire qu’il n’a pas pris en compte la psychologie, la sociologie et l’anthropologie du peuple camerounais.

En dehors du cas Um Nyobè et l’UPC, le peuple camerounais post-1960 est caractérisé par quelques traits identitaires majeurs : l’acceptation générale des inégalités et de la structure autoritaire de ses régimes ; l’axe nord/Sud qui pense que la basculement à autre chose dépend de ses arrangements internes ; l’ouest où le respect du chef est sacré et où l’ambition est d’acheter des choses et de les vendre en restant en bons termes avec le régime ; les masses paysannes le plus souvent dans la botte d’une élite liée au régime ; des étudiants qui lorgnent l’ENAM et des anglophones héritiers de la culture de rupture des peuples anglo-américains. Nos compatriotes anglophones sont moins les héritiers d’Um Nyobè que ceux des fondateurs de la nouvelle Angleterre, de la rupture d’Henri VIII avec Rome pour fonder l’Eglise anglicane, et récemment du Brexit.

Trouver une cause qui mobilise toutes ces sensibilités politiques camerounaises est un vrai mythe de Sisyphe, une gageure. Mieux, on ne peut la trouver que si la stratégie est historique comme celle d’Um Nyobè en ce sens qu’elle définit un principe supérieur qui transcende ces traits caractéristiques et en fait des appendices face à l’essentiel qui devient « the glue that links us together ».

Le but des militants pour la démocratie au Cameroun n’est pas de devenir célèbres parce qu’ils auront passé quelques jours dans une cellule camerounaise. Plusieurs innocents le font tous les ans et tous les mois au Cameroun sans que personne n’en parle. Ce sont ceux-là les vrais courageux car ils y meurent parfois. Notre travail à tous est de continuer à alimenter la masse critique, à éduquer et à militer en remettant sans cesse notre travail à l’ouvrage afin que les anonymes aient pour défenseur un Etat de droit.

C’est celui-ci qui défend les faibles, les inconnus, les hommes de rien et de peu. Nous sommes, ainsi que nous l’avons dit, soulagé que Nganang soit libéré. Mais, avouons-le aussi, nous savions tous qu’il allait l’être, étant donné que le président camerounais libère toujours, à plus ou brève échéance, ceux que son régime a coffré. Yondo Black, Célestin Monga, Edzoa Titus, Thierry Atangana, Enoh Meyomesse et bien d’autres ont été libérés.

En conséquence, en prenant cette voie-là, nous risquons de faire gagner des points au régime de Yaoundé qui pourrait dire que sa justice est juste et le président généreux. Parlons de justice, si le fait que celle de notre pays soit un instrument privé du régime nous révulse, il serait paradoxal que nous jubilions lorsque les Etats-Unis donnent des ordres à la justice camerounaise et que celle-ci s’exécute à la minute qui suit. Combattons aussi l’impérialisme occidental car nous ne savons pas ce que Donald Trump a promis à Biya pour libérer Nganang.

Les Occidentaux ne peuvent être nos libérateurs à notre place et encore moins leurs nationalités de prestige.

Merci à tous les Camerounais et camerounaises qui ont travaillé pour cette libération, bon retour à la maison à Patrice Nganang et méditons aux questions ci-dessus posées.