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Infos Business of Sunday, 6 December 2015

Source: carmer.be

Agriculture : Le gain de l'or rouge

Photo utilisée juste à titre d'illustration Photo utilisée juste à titre d'illustration

Le coq chante, le jour paraît dans le village Bantoum II situé dans le département du Nde à l’Ouest Cameroun. Blerio Ledoux Mbiabeut, 36 ans, se précipite d’enfiler sa tenue de champ. Le jeune homme est vêtu d’un ensemble jean bleu et des bottes en caoutchouc. Tagni (père des jumeaux en pays bamiléké, ndlr) est un jardinier. Il cultive la tomate depuis qu’il est au collège. Ce dimanche, il ne se rend pas au champ pour travailler à son propre compte. Il y va plutôt pour prêter main forte à Alain Patrick Youmi, son ami, pour la cueillette de la tomate. Blerio avance à petits pas en boitant.

Il se demande chaque fois à qui emprunter une moto pour ses déplacements. « Ma moto est au garage depuis quelques jours. Je ne peux aller au champ à pied. La distance est trop longue et en plus, j’ai le pied qui fait encore mal», se dit-il à haute voix. Il trouve enfin une moto. Direction le champ de tomates situé au lieu-dit Fahgoua. « Cela signifie ‘’travailler et jeter’’. Le champ est tellement loin que tu cultive et tu es obligé d’abandonner là-bas », explique Blerio. Le conducteur emprunte aussitôt la route non bitumée parsemée de nids d’éléphants. L’engin à deux roues fait des slaloms. La menace de se retrouver dans un trou est pressante. Après avoir parcouru près de 5 kilomètres (km), un vaste espace de plantes vertes et de fruits rouges s’offrent à nous.

Ni le responsable, ni les ouvriers ne sont présents. Sur le site, on aperçoit un puits d’eau destiné surement à l’irrigation du champ. Un monsieur sur une moto arrive aussitôt avec près de 100 cageots vides attachés à l’arrière. « J’ai l’impression que certains cageots sont tombés en route », s’exclame-t-il, en précisant à Blerio qu’il les ramènera lorsqu’il ira chercher les feuilles mortes de bananiers qui vont servir à recouvrir les paniers plus tard.

6 millions de F. Cfa par récolte

Par petites vagues, les ouvriers arrivent peu à peu. Ils sont constitués des hommes, des femmes et des enfants. Ils se mettent tout de suite à l’oeuvre. Chacun prend un panier et se place au bout d’un billon d’environ 50 mètres (m) de longueur et un mètre (1 m) d’épaisseur. La cueillette commence. Les femmes discutent entre elles de leur foyer, tandis que les plus jeunes échangent sur les différents cours dispensés à l’école. Lorsqu’un panier est plein, un autre ouvrier le transporte pour le déposer à un endroit aménagé pour le calibrage des tomates et l’emballage des cageots. Après avoir rempli les paniers de tomates, les attacheurs les recouvre des feuilles mortes de bananiers et les attachent avec la liane. Le fagot de liane coûte 500 F., tandis que les prix des cageots vides varient entre 200 et 250 F. Cfa l’unité.

Après la récolte, il faut trouver un moyen de transport au cas où la marchandise n’est pas écoulée sur place. Lorsque les paniers sont peu nombreux, les jardiniers ont recours à la moto pour les transporter du champ pour la maison. Une moto peut transporter jusqu’à six paniers nous renseigne-t-on. C’est d’ailleurs le moyen le plus prisé. « Les paniers ne sont pas endommagés avec ce moyen de transport », justifie Blério.

Pour le transport des six paniers, il faut débourser 2 000 F. Cfa. Lorsqu’ils sont transportés par un Pick-up, 60 paniers coûtent 12 000 F. Au cas où le véhicule transporte la marchandise directement pour la ville de Douala, le jardinier paye 600 F par panier. Sur place à Douala, la vente est faite par une tierce personne. Elle est payée 100 F. Cfa par panier vendu et 500 F. de ration alimentaire. D’après Alain, la culture de la tomate nécessite trois employés payés à 50 000 F. Cfa chacun. Et aussi des ouvriers. Ils sont constitués de ceux qui s’occupent de la cueillette, ceux qui calibrent les fruits et ceux qui attachent les paniers. Le payement varie en fonction des tâches. Les cueilleurs sont payés 2 000 F la journée, les calibreurs 4 000 F et les attacheurs 2 500 F. Cfa.

Ils peuvent aussi être payés par panier chargé. L’exercice coûte alors 50 F. Cfa le panier. La cueillette peut se faire en trois jours. Pour un jardin bien entretenu, on peut avoir six à sept tours de cueillette. Il faut alors compter 1500 à 2000 paniers de tomates pour toute la récolte sur une surface d’1 hectare (ha). Mais cependant, il faut traiter le champ à nouveau et laisser passer une semaine pour les prochaines cueillettes, apprend-on. Pour un investissement de 1 400 000 F. Cfa sur une superficie d’1 ha, le jardinier peut gagner jusqu’à 6 millions de F. Cfa pour une récolte réussie, nous confie un jardinier. Le prix d’un cageot de tomate varie en fonction des saisons.

Sur place, il est livréà 2 500 F. Ce prix est souvent revu soit à la hausse, soit au rabais. A Douala, le cageot de tomate est souvent taxé à 6 500 F. Cfa. « Ça dépend. La tomate c’est comme le dollar américain. Il change tout le temps sans qu’on ne sache pourquoi. Nous même on ne comprend pas ce marché », s’offusque Blerio qui précise que les acheteurs sur place sont pour la plupart des Nigérians et des Gabonais. Il ajoute que lorsque la tomate n’est pas vendue sur place, elle est déportée dans les villes de Douala et Yaoundé. Pour augmenter leurs recettes, les jardiniers insèrent dans leur agriculture la culture du gombo, du poivron… Toutefois, chacun travaille à titre individuel. Un des jardiniers nous avoue qu’avant, ils s’associaient par groupe de quatre personnes, mais ça n’a pas marché.

« La mort subite »

Alain explique que la culture de la tomate dure environ trois mois. Tout commence par le défrichage du champ. Ensuite la formation des billons. Pour rendre la terre plus fertile, les jardiniers y rependent de la fiente de poules. Après avoir retourné la terre, on l’arrose avec le ‘’nématicide’’ pour tuer les insectes et les microbes du sol. La pépinière est aussitôt lancée. Lorsque la plante a quatre feuilles, le traitement à faibles doses à base de Fongicide commence. Au bout de trois semaines, on y ajoute de l’insecticide. A un mois, la plante est prête pour le repiquage. Les engrais utilisés pour la culture sont les Urées, le 20-10-10, le Nitrate de calcium, le Sulfate de potassium, le DAP, le Chlorure de potasse. Ensuite, il faut la traiter chaque semaine en procédant de temps à temps à l’arrosage.

Les jardiniers nous confient que lorsque la plante est attaquée par des maladies comme le Mildiou, il faut traiter au moins deux fois par semaine. Le Mildiou est une maladie qui apparaît souvent en fin de saison. Elle provoque des taches brunes irrégulières sur les feuilles qui sèchent et les fruits pourrissent. La ‘’Mort subite’’ quant à elle, est plus dangereuse. Cette affection fait chauffer le sol et tue entièrement la plante. Cependant, tout ce dur labeur, de la culture à la cueillette de la tomate se fait à la main et de façon hasardeuse. « Nous n’avons pas suivi de formation dans le domaine.

Le peu de connaissance que nous avons, nous l’avons acquise dans les magasins phytosanitaires où nous demandons conseil à chaque fois », regrette Blerio qui lance un cri de détresse à l’endroit des chefs de postes agricoles afin qu’ils puissent organiser des séminaires de formation dans le domaine. Le jeune homme raconte que c’est dans des champs situés aux environs de leur domicile qu’il fait ses premiers pas en 1995. Par manque de moyens financiers, il est obligé d’arrêter la culture de la tomate en 2010 et de se consacrer uniquement à d’autres travaux champêtres.

Acte qu’il regrette amèrement. « Pourtant, c’est l’argent économisé grâce à la culture de la tomate qui m’a permis de construire ma petite maison et de m’acheter une moto », se souvient- il nostalgique. Pire encore, en 2014, Tagni est frappé par un accident de moto qui lui brise la jambe droite. Il est alors obligé de tout laisser tomber. S’occuper de sa femme et de ses quatre enfants devient difficile. Mais quelques mois plus tard, grâce aux soins qui lui sont administrés, il récupère peu à peu et se remet à travailler. « Si on a des moyens, on produirait plus. L’offre est inférieure à la demande. Notre tomate est très prisée sur le marché. La particularité de nos fruits est qu’on n’utilise pas beaucoup d’engrais. Nous avons une terre naturellement fertile », vante le jardinier, déterminé à se lancer dans la culture de la tomate l’année prochaine. A tout ceci, s’ajoute le problème d’adduction en eau, le manque de machine, mais surtout des routes pour acheminer les produits vers les grandes métropoles. L’absence de financement n’est pas en reste. Les jardiniers sont obligés de compter sur leurs propres moyens pour s’en sortir. Ils appellent à un élan de coeur des autorités pour leur soutenir dans cette initiative. D’après Blerio, ce sont les Bamouns qui ont introduit la culture de la tomate dans le village en 1993. Au départ, ils cultivent une variété appelé ‘’Olivettes’’. Les jeunes du village travaillent alors avec eux en tant que employés.

Intéressés par cette nouvelle activité, ils décident de se mettre à leur propre compte. En 1997, ces jeunes découvrent une autre variété de tomates : ‘’la Rio grande’’. Celle qui est resté jusqu’à nos jours.