C'est une enquête exclusive, révélant comment le président de la République sortant, Paul Biya, a ordonné de voler la victoire d'Issa Tchiroma Bakary. C'est « une scène secrète au cœur du pouvoir », confie Paul Chouta qui entre dans le fond des détails.
C'était à Yaoundé le 13 octobre dernier. Le pays sort à peine d'un scrutin tendu. Les bureaux de vote ont fermé la veille, les procès-verbaux commencent à remonter. Dans les couloirs du palais de l'unité, une réunion confidentielle s'improvise. Autour de la table : Paul Biya, président sortant depuis plus de quatre décennies, le président du Conseil électoral et le directeur général d'Elecam, l'organe chargé d'organiser les élections au Cameroun.
Selon plusieurs sources proches du dossier, les deux responsables d’ELECAM viennent y présenter les résultats provisoires issus du dépouillement interne. Le constat est sans appel : Paul Biya a perdu l'élection, avec plus de 70 % des voix en faveur d'Issa Tchiroma Bakary.
Pris de court, les deux représentants d'Elecam demandent la conduite à tenir. Le président, imperturbable, leur répond calmement : « Ajustez les résultats. Il me reste encore un peu de temps avant de partir ». Cette phrase, prononcée dans le huis clos du palais, résonne comme un aveu d'État. Un ordre, à la fois banal et lourd de sens, qui scelle le sort du scrutin avant même sa proclamation officielle.
D'après plusieurs observateurs et acteurs électoraux interrogés, cette instruction n'a rien d'exceptionnel. Depuis des décennies, le système électoral camerounais fonctionne selon une logique opaque, où Elecam, censé être indépendant, agit en réalité sous tutelle politique directe.
Les « ajustements » évoqués par le président recouvrent des pratiques connues : modification des procès-verbaux locaux, manipulation des chiffres lors de la centralisation, pressions hiérarchiques sur les agents de terrain. Au bout de la chaîne, le Conseil constitutionnel valide ce qui est devenu une fiction électorale parfaitement huilée.
Ce que révèle surtout cet épisode, c'est la pleine conscience qu'a Paul Biya de ces manipulations. Contrairement au récit officiel, qui présente souvent le chef de l'État comme distant ou mal informé, il orchestre lui-même la fraude électorale et la justifie par la volonté de « gagner du temps ».
Cette lucidité cynique traduit un système à bout de souffle, où le pouvoir ne se conquiert plus dans les urnes, mais se conserve dans les bureaux fermés. La phrase « il me reste encore un peu de temps avant de partir » sonne comme un aveu crépusculaire : celui d'un dirigeant conscient de la fin, mais décidé à la retarder par tous les moyens.
Dans les milieux politiques camerounais, ce type de manipulation n'est un secret pour personne. Les observateurs internationaux s'en doutent, les citoyens le murmurent, les fonctionnaires d'Elecam le subissent. Mais rares sont ceux qui en parlent ouvertement, par peur ou par résignation.
Ce nouvel épisode, s'il venait à être confirmé, viendrait documenter la chaîne exacte de la fraude, du sommet de l'État jusqu'aux bureaux de vote. Il illustrerait ce que beaucoup dénoncent depuis des années : un régime qui a institutionnalisé la tricherie électorale comme mode de gouvernance.
En ordonnant d'ajuster les résultats, Paul Biya ne fait pas que manipuler une élection, il met en scène sa propre survie politique. Dans un pays où l'alternance n'a jamais existé, la démocratie reste un décor, soigneusement entretenu, derrière lequel se perpétue un pouvoir sans partage.
Ce 13 octobre-là, au palais de l'Unité, l'histoire du Cameroun n'a pas changé de main. Mais elle a, une fois encore, montré son visage le plus nu : celui d'un État où la vérité du vote s'arrête là où commence la volonté du chef.