Actualités of Friday, 13 June 2025
Source: www.camerounweb.com
À huit mois de la présidentielle, l'avocat Désiré Sikati interpelle Maurice Kamto et Paul Biya sur leurs responsabilités respectives dans l'hypothèse de violences lors de manifestations. Une réflexion qui ravive les tensions politiques.
Le débat politique camerounais s'enflamme à nouveau. Cette fois-ci, c'est l'avocat Me Désiré Sikati qui jette un pavé dans la mare en questionnant directement la responsabilité des leaders politiques en cas de violences lors de manifestations publiques. Une intervention qui fait écho aux récentes déclarations de Maurice Kamto à Paris et qui soulève des questions cruciales à l'approche de l'élection présidentielle d'octobre prochain.
Tout part d'une déclaration du leader de l'opposition camerounaise lors de son meeting parisien du 31 mai dernier. Maurice Kamto avait alors fait allusion aux "50 morts" du Sénégal dans leur lutte pour la "liberté", affirmant que si "rien ne change au Cameroun en 2025", la responsabilité incomberait aux Camerounais eux-mêmes, qui devraient "manifester pour revendiquer leurs droits".
Ces propos, tenus dans un contexte de tensions politiques croissantes et de revendications d'alternance démocratique, ont immédiatement suscité des réactions. C'est dans ce climat que Me Sikati a décidé de poser publiquement six questions qui interpellent directement les consciences politiques du pays.
L'avocat rappelle d'emblée le cadre légal existant. Depuis 1990, le Cameroun s'est doté d'un arsenal juridique instaurant un "État démocratique" et a ratifié plusieurs conventions internationales reconnaissant le droit de manifester publiquement. La loi n° 90-055 du 19 décembre 1990 portant régime des réunions et des manifestations publiques encadre ce droit, exigeant une simple déclaration préalable tout en garantissant la liberté de ces rassemblements.
Cependant, la réalité sur le terrain contraste souvent avec ces dispositions légales. Les manifestations de l'opposition se heurtent régulièrement à une répression sévère des forces de l'ordre, soulevant des interrogations sur l'effectivité de ces droits démocratiques.
Me Sikati structure sa réflexion autour d'un scénario hypothétique mais plausible : si Maurice Kamto appelait à une manifestation publique et pacifique, et que le régime du RDPC "ordonnait de tirer sur les manifestants dont 50 meurent sur le champ", qui en serait responsable ?
Les six questions qu'il pose, se voulant objectives et apolitiques, visent à démêler les responsabilités :
Est-il légitime d'appeler à manifester dans un pays démocratique ? Cette première interrogation établit le principe de base du droit démocratique à la protestation pacifique.
Doit-on tirer à balles réelles sur des manifestants pacifiques ? Interrogation qui pointe directement les méthodes de maintien de l'ordre.
Sans tirs, y aurait-il eu des morts ? Question de causalité directe qui établit la chaîne des responsabilités.
Qui a autorisé de tirer ? Interrogation sur la chaîne de commandement et les donneurs d'ordre.
Qui serait responsable des morts ? Question finale qui synthétise le débat sur les responsabilités respectives.
L'avocat insiste sur le caractère non partisan de sa démarche, s'adressant à "tous les Camerounais indépendamment des obédiences politiques" pour favoriser "l'objectivité de la pensée politique". Cette approche vise à élever le débat au-dessus des considérations partisanes pour toucher aux fondements même de l'exercice démocratique.
Les questions posées par Me Sikati résonnent particulièrement dans un pays où le souvenir de manifestations violentes reste vivace. Les événements survenus lors de précédentes mobilisations de l'opposition, notamment en 2008 avec les "émeutes de la faim" ou plus récemment lors des manifestations post-électorales de 2018, ont laissé des traces profondes dans la mémoire collective.
L'exemple sénégalais comme référence
La référence aux "50 morts" du Sénégal dans les propos de Maurice Kamto n'est pas anodine. Entre 2021 et 2024, le Sénégal a connu plusieurs vagues de manifestations politiques qui ont effectivement fait de nombreux morts selon les rapports d'organisations de défense des droits humains. Cette situation a finalement contribué aux changements politiques dans ce pays voisin.
Cette comparaison implicite soulève des questions sur les méthodes de changement politique en Afrique subsaharienne et sur le prix à payer pour la démocratie.
Vers une élection présidentielle sous haute tension
À moins de quatre mois de l'élection présidentielle d'octobre 2025, ce débat lancé par Me Sikati tombe à un moment particulièrement sensible. Les tensions politiques s'exacerbent, l'opposition multiplie les appels au changement, tandis que le pouvoir en place durcit sa position.
La gestion des manifestations par les forces de l'ordre, ainsi que les discours des leaders politiques, font l'objet d'une surveillance accrue. Dans ce contexte, la question de la responsabilité en cas de dérapage devient centrale, d'autant plus que les précédents électoraux camerounais ont souvent été marqués par des violences.
Au-delà du débat juridique et politique, l'intervention de Me Sikati constitue un appel à la responsabilité collective. Elle invite chaque acteur - dirigeants politiques, forces de l'ordre, citoyens - à mesurer la portée de ses actes et de ses paroles dans un contexte démocratique fragile.
Cette réflexion souligne la complexité de la situation politique camerounaise, prise entre les aspirations démocratiques légitimes de la population et les réalités d'un système politique marqué par des décennies d'autoritarisme. Elle pose également la question fondamentale de savoir comment concilier l'exercice des droits démocratiques avec la préservation de la paix sociale.
Le débat lancé par Me Sikati dépasse ainsi le simple cadre juridique pour toucher aux fondements mêmes de la démocratie camerounaise et aux défis de sa consolidation. Dans un pays où la jeunesse représente la majorité de la population et aspire au changement, ces questions revêtent une importance capitale pour l'avenir du pays.