Derrière la victoire de Paul Biya, réélu pour un huitième mandat à la tête de la magistrature suprême avec 53,66% des voix, les chiffres de la présidentielle du 12 octobre 2025 révèlent une carte électorale en pleine mutation.
Le Conseil constitutionnel du Cameroun a rendu son verdict, ce 27 octobre. Le président Paul Biya a été réélu pour un nouveau mandat à la tête de l’État. Selon les chiffres communiqués par la haute cour de justice, le candidat du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC) a obtenu 53,66 % des suffrages valablement exprimés, contre 35,19 % pour son principal challenger, Issa Tchiroma Bakary. Mais derrière ces chiffres officiels, contestés par une partie de l’opposition, se dessine une géographie électorale inédite, où le président sortant conserve une partie de son socle traditionnel, mais perd du terrain dans plusieurs bastions symboliques.
Biya perd le Nord, Tchiroma conquiert 4 régions
Sur les 8,08 millions d’électeurs inscrits, 4,61 millions de suffrages ont été valablement exprimés, soit un taux de participation de 57,76%. L’abstention, à 42,24%, démontre, à en croise des analystes, la lassitude d’une partie de l’électorat après plus de quatre décennies sous le règne de Paul Biya. Si le chef de l’État conserve la majorité absolue sur le plan national avec 2 474 179 voix, l’analyse régionale montre que la carte politique du Cameroun s’est nettement recomposée.
L’ancien ministre de l’Emploi et de la formation professionnelle, Issa Tchiroma Bakary, réalise la percée la plus spectaculaire de ce scrutin. Il s’impose dans quatre régions : l’Adamaoua, le Nord, le Littoral et l’Ouest, totalisant localement des scores inédits pour un opposant. Dans l’Adamaoua, il récolte 115 258 voix (50,33 %) contre 79 256 (34,61 %) pour Paul Biya. Dans le Nord, son fief, il dépasse le chef de l’État avec 173 837 voix (43,51 %) contre 154 926 (38,78 %). Là où Bello Bouba de l’UNDP n’a obtenu que 33 976 voix (8,48 %) contre 4 451 voix (1,11 %) pour Cabral Libii du PCRN, 5 145 voix (1,54 %) pour Tomaino Ndam Njoya de l’UDC et 2 237 voix (0,56 %) pour Joshua Osih du SDF, les grands habitués de scrutins présidentiels au Cameroun.
Mais c’est dans le Littoral, cœur économique du pays et bastion de l’opposition urbaine, que le basculement est le plus marqué : 64,59 % pour Tchiroma contre 20,99 % pour Biya. L’ancien ministre séduit également l’Ouest, où il obtient 46,76 % des suffrages, loin devant Biya (38,61 %). Ces quatre victoires régionales traduisent un rejet croissant du régime dans les zones les plus dynamiques du pays.
Le président conserve ses bastions, mais recule
Paul Biya reste dominant dans six régions – le Centre, le Sud, l’Est, l’Extrême-Nord, le Sud-Ouest et le Nord-Ouest – mais souvent avec des marges plus étroites qu’en 2018. Dans le Centre, son bastion historique, il recueille 722 153 voix (70,14%), un score en baisse selon les comparaisons avec la dernière présidentielle. Le Sud, sa région d’origine, lui accorde encore 90,86% des voix, mais la participation y est restée faible. À l’Extrême-Nord, longtemps pilier du RDPC, il est talonné par Tchiroma (45,93% contre 42,34%). Même constat dans le Sud-Ouest, où les tensions liées au conflit anglophone ont réduit son avance (68,79% contre 22,79% pour Tchiroma). L’érosion du vote pro-Biya dans ces régions témoigne d’un essoufflement du système, notamment chez les jeunes électeurs.
Les résultats à l’étranger constituent l’autre fait marquant du scrutin. Dans les quatre zones de vote hors Cameroun, Issa Tchiroma écrase la concurrence. Il obtient 54,99% des voix en Afrique, 66,75 % en Amérique, 68,21% en Asie et 62,79% en Europe, contre des scores oscillant entre 22% et 34 % pour Paul Biya.
Cette tendance confirme la rupture d’une diaspora de plus en plus critique vis-à-vis du régime de Yaoundé, notamment en Europe. Et met aussi en exergue un contraste entre l’enthousiasme des électeurs de l’étranger et la relative apathie domestique qui donne à voir une forme de fracture générationnelle et géographique profonde : ceux qui vivent hors du pays semblent plus enclins au changement que ceux restés dans l’orbite du pouvoir.
Une opposition fragmentée
Derrière ce duel, les autres candidats ont joué les figurants. Cabral Libii Ngue arrive troisième au classement général avec 3,41 %, suivi de Bello Bouba Maïgari (2,45 %), Tomaïno Ndam Njoya (1,66 %) et Joshua Osih (1,21 %). Aucun n’a franchi la barre des 5 %, preuve que l’électorat s’est cristallisé autour du tandem Biya-Tchiroma. Mais alors que le Conseil constitutionnel proclamait les résultats, des manifestations ont éclaté à Douala et une fusillade a été signalée devant la résidence d’Issa Tchiroma à Garoua, son fief du Nord. L’opposant, qui dénonce « une mascarade électorale », affirme avoir remporté « de manière indubitable » la présidentielle. Pour autant, Paul Biya, proclamé élu, entame un huitième mandat qui devrait le conduire jusqu’en 2032.









