Vous-êtes ici: AccueilActualités2018 05 25Article 439886

Opinions of Vendredi, 25 Mai 2018

Auteur: Luc Sindjoun

Un conseiller spécial de Biya réagit aux propos de l'Ambassadeur des USA

L’amitié entre Etats, comme l’amitié entre les êtres humains, est nourrie par les mamelles de la franchise et la sincérité. L’amitié sans franchise est hypocrisie ; l’amitié sans sincérité est simulation et dissimulation. L’amitié durable est celle dans le cadre de laquelle les partenaires échangent et discutent librement, reçoivent mutuellement l’un de l’autre.

Mais, l’amitié n’est pas fusion de l’un dans l’autre, encore moins confusion des deux partenaires. Dans une relation d’amitié entre Etats, chaque Etat conserve son identité et assume son droit à la différence, sans préjudice du partage des valeurs communes. Il en découle une dialectique qui fait la richesse de ladite relation.

Ce sont ces considérations générales qui président à la réception in limine litis de la récente déclaration de l’Ambassadeur des Etats-Unis d’Amérique au Cameroun ; déclaration dans laquelle il est proposé au Président de la République de penser à son héritage, à sa place dans l’histoire en s’inspirant notamment des modèles de Nelson MANDELA et de George WASHINGTON.

LIRE AUSSI: Peter Barlerin, l’ambassadeur américain qui donne des insomnies au régime Biya

C’est une déclaration qui, bien qu’ayant surpris certains qui y voient une ingérence manifeste dans les affaires internes, doit être considérée comme participant de la dynamique des relations amicales entre les Etats-Unis et le Cameroun. Il ne s’agit que d’une suggestion de la part d’un ami qui ne saurait se substituer à l’auto-détermination du Président de la République et du peuple camerounais. Parce qu’il s’agit de la suggestion du représentant d’un Etat ami, d’un Etat allié dans la lutte contre le terrorisme et la piraterie maritime, dans la lutte contre le SIDA et dans la promotion du développement, c’est une déclaration qui mérite attention et réflexion.

Première Considération : Prendre la déclaration de l’Ambassadeur des Etats-Unis pour ce qu’elle est:

La déclaration de l’Ambassadeur des Etats-Unis d’Amérique, pour aussi médiatisée et instrumentalisée qu’elle a été, doit être prise pour ce qu’elle est, c’est-à-dire l’expression d’un point de vue.

- Il s’agit d’un point de vue qui ne saurait être considéré comme un dogme. C’est un point de vue relatif, discutable et déjà discuté sur les plans de la forme et du fond ; c’est un point de vue contredit par la fréquence et la pluralité des motions de soutien appelant à la candidature du Président de la République, M. Paul Biya, à l’occasion de la prochaine élection présidentielle. En tant que représentant d’une société ouverte et démocratique, exerçant ses fonctions dans une démocratie en voie de consolidation, l’Ambassadeur des Etats-Unis ne revendique certainement pas un quelconque monopole de la vérité. D’ailleurs, en rendant publique son opinion, il savait d’avance que l’espace public est le lieu par excellence de la contradiction et de la discussion. Et, de nombreux arguments liés aux enjeux et défis de l’heure permettent de réfuter le point de vue de l’Ambassadeur des Etats-Unis au Cameroun.

- Le point de vue exprimé par l’Ambassadeur des Etats-Unis ne saurait être considéré comme une injonction adressée au Président de la République. D’abord, parce qu’en tant que garant de la souveraineté et de l’indépendance nationales, le Président de la République ne saurait accepter la moindre pression extérieure ; ensuite, parce qu’en tant que citoyen jouissant de ses droits civils et politiques, comme de nombreux autres camerounais, M. Paul Biya est libre de présenter ou non sa candidature à l’élection présidentielle ; Enfin, parce que, comme tout être doué de raison, M. Paul Biya est le législateur de sa propre conduite.

- Le point de vue exprimé par l’Ambassadeur des Etats-Unis au Cameroun ne saurait être présenté comme un nouveau paramètre de la vie politique nationale. Au plan juridique, il est constant que le choix des dirigeants relève du domaine réservé des Etats et du droit à l’autodétermination de chaque peuple. Au plan politique, c’est au peuple souverain de choisir, en toute liberté et transparence, ceux et celles qui doivent le diriger.

- La déclaration de l’Ambassadeur des Etats-Unis au Cameroun est une contribution à la réflexion du Président de la République. En fait, le Président de la République, en tant qu’il se distingue notamment par l’écoute, l’ouverture et la tolérance, reçoit constamment de nombreux messages de provenance, d’origine et de nature diverses. On peut légitimement penser que le moment venu, le Président de la République pèsera et soupèsera sur la balance de son jugement, puis décidera en privilégiant les intérêts supérieurs de la nation dont il est le garant et en tenant compte des attentes, des enjeux et des défis dont il est à la hauteur.
Au total, la déclaration de l’Ambassadeur des Etats-Unis au Cameroun doit être prise pour ce qu’elle est, comme la contribution du représentant d’un Etat ami à un débat démocratique qu’il revient exclusivement au peuple camerounais de trancher, en toute liberté, dans le cadre de l’exercice de sa souveraineté.

Deuxième considération :

Les modèles ne sont pas un lit de Procuste
Dans sa déclaration, l’Ambassadeur des Etats-Unis au Cameroun propose au Président de la République, George WASHINGTON et Nelson MANDELA comme modèles. C’est une proposition fort intéressante notamment parce qu’elle montre sur quel piédestal l’Ambassadeur des Etats-Unis place le Président Paul Biya, au risque de froisser sa modestie. Toutefois, de manière générale, il convient de relever que le recours aux modèles ne doit pas consister uniquement à inciter à l’imitation, sous peine de faire de l’histoire, un éternel recommencement ou une simple reproduction à l’identique. Les modèles ne peuvent pas être érigés en lit de Procuste sur lequel l’histoire doit être couchée et taillée. De manière particulière, il y a lieu de procéder à une relecture des modèles, pour mieux se les approprier de manière dynamique.

- George WASHINGTON n’est pas un modèle politique parce qu’il avait choisi, en 1797, de se retirer de la vie publique. Il est célébré dans l’histoire des Etats-Unis en raison de sa riche carrière militaire et politique : il a été chef d’état-major des troupes américaines pendant la guerre d’indépendance de 1775 à 1783 ; il a été l’un des rédacteurs de la Constitution américaine ; il a été le premier Président des Etats-Unis de 1789 à 1797. C’est ce qui en fait un héros de l’histoire américaine.

- Nelson MANDELA est un modèle politique parce qu’il a lutté durant toute sa vie pour le triomphe de l’égalité entre noirs et blancs ainsi pour l’acceptation du principe « un homme, une voix ». C’est sa contribution au démantèlement du régime d’apartheid et à la fondation d’une démocratie multiraciale qui en fait un héros.

George WASHINGTON et Nelson MANDELA ne sont pas des modèles politiques, uniquement parce qu’ils ont, l’un et l’autre, pris la décision de se retirer de la vie publique. Ils sont des modèles sur la base de leur œuvre. Ainsi, ne semble pas pertinent, le fait de proposer le retrait de la vie publique comme critère de succès d’une carrière politique. Ils sont nombreux, les cas de retrait de vie publique qui sanctionnent plutôt un échec. Ceci étant, George WASHINGTON et Nelson MANDELA sont utiles à la réflexion.

LIRE AUSSI: Brouille USA-Cameroun: l'intégralité du communiqué de Mbella Mbella

- George WAHINGTON a su conquérir et affermir l’indépendance des Etats-Unis face à la grande puissance britannique ; il a œuvré pour rendre solides, le pouvoir exécutif et l’administration fédérale. Il a montré qu’un Président doit aussi être un bon soldat, commandant des troupes.
- Nelson MANDELA a compris l’importance de la lutte contre les divisions ethniques et régionales, en s’opposant au projet de constitution fédérale pour l’Afrique du Sud. Il a milité pour un Etat unitaire décentralisé et pour une nation arc-en-ciel affirmant et intégrant toutes les différences.

Troisième considération :

La question de l’entrée dans l’histoire ne se pose pas

Dans sa déclaration, l’Ambassadeur des Etats-Unis au Cameroun marque son souci pour l’héritage du Président Paul BIYA ainsi que pour sa place dans l’histoire. C’est un souci louable de la part du représentant d’un Etat ami. Son souci respectable n’a pas lieu d’être parce que le Président Paul BIYA est déjà dans l’Histoire. Il aurait été plus convenable de laisser le soin à la postérité de juger de la place du Président Paul BIYA.

Toutefois, étant donné que dans notre civilisation, la compression du temps est constante et nous somme de discuter dès aujourd’hui sur ce qui était réservé à demain, il peut être rappelé, sans prétention à l’exhaustivité, que le Président Paul Biya est déjà entré dans l’Histoire comme le Président qui a assuré la sécurité juridique de la frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria, le Président qui a réconcilié les camerounais avec leur histoire en réhabilitant les héros de l’indépendance et de la lutte contre la colonisation, le Président qui a assuré la démocratisation de la société camerounaise, le Président qui agit pour l’accélération de l’industrialisation et envisage l’émergence à l’horizon 2035. Il s’agit là d’une entrée dans l’histoire par les actes posés et non d’un narcissisme prospectif.

LIRE AUSSI: Les Etats-Unis offrent deux avions de surveillance à l’armée camerounaise

La question de l’entrée dans l’histoire ne se pose pas. Gouverner la multitude, c’est entrer dans l’histoire en étant, d’abord, héritier d’un passé dont il faut préserver et consolider les acquis, ensuite, acteur décisif d’un présent qu’il faut transformer à la hauteur des attentes du peuple et en domestiquant la pression des contraintes, enfin, inventeur d’un futur conciliant le possible et le souhaitable pour le bonheur des générations futures. En s’inscrivant, par la volonté du peuple camerounais, dans le triptyque passé-présent-futur, le Président Paul Biya est déjà entré dans l’histoire.

Il est aussi interpellé par l’actualité : l’actualité de la tentative de remise en cause de l’intégrité territoriale et de l’unité nationale dont il est le garant ; l’actualité de l’attachement de son peuple à l’indivisibilité de la République dont il est le gardien ; l’actualité de la quête de l’émergence du Cameroun dont il a tracé les contours. Cette actualité souligne son indéniable utilité et fait de lui L’HOMME DE LA SITUATION.