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Actualités of Friday, 25 August 2017

Source: hurinews.com

Un Etat ne peut prendre la place des terroristes - Maximilienne Ngo Mbe

Maximilienne NGO MBE, Directrice Exécutive du REDHAC Maximilienne NGO MBE, Directrice Exécutive du REDHAC

Militante des droits de l’homme, la directrice exécutive du Réseau des défenseurs des droits humains en Afrique centrale (REDHAC) parle du respect des droits humains dans le cadre de la lutte contre le terrorisme au Cameroun et revient sur la réaction du gouvernement camerounais suite au récent rapport d’Amnesty international sur les violations des droits de l’homme dans le cadre de la lutte contre Boko Haram au Cameroun.

Comment comprenez-vous la réaction du gouvernement camerounais suite au récent rapport d’Amnesty International sur l’état des droits de l’homme dans le cadre de la lutte contre le terrorisme ?

Je crois que vous connaissez la légende du fou et de la personne qui se baignait. J’ai beaucoup de considération et de respect pour le gouvernement de mon pays. Mais c’est décevant d’avoir des gouvernants qui font dans la gesticulation et la manipulation. La personne qui essaye de nier les exactions que déplore Amnesty International me semble avoir la mémoire courte si elle n’est pas amnésique. Et quelqu’un comme lui qui a souffert de ce genre de situation devrait prendre un peu de recul et faire preuve de retenue pour parler d’un sujet aussi sensible. Au lendemain des tragiques évènements d’Avril 1984 qui ont endeuillé de nombreuses familles camerounaises dont certaines n’ont pas encore fait le deuil de leurs maris, pères et fils, le porte-parole (porte-parole du gouvernement, Issa Tchiroma Bakary, ndlr) aurait pu subir le même sort que ceux qui sont passés devant les pelotons d’exécution après une justice militaire sommaire. Il le doit à la pression des organisations de la société civile dont Amnesty International. Il a quand même connu quelques années de prison à Yoko (est du Cameroun, ndlr). Était-il vraiment putschiste ? Posez-lui la question. S’il répond par l’affirmative, alors tous ceux qui sont aujourd’hui arrêtés, jugés sommairement et condamnés pour être des terroristes le seraient. Si lui ne se reconnait pas félons parmi les félons, alors certains d’entre eux ne seraient pas Boko Haram. J’espère que je me fais comprendre.

D’après Issa Tchiroma Bakary, le porte-parole du gouvernement, Amnesty international est au service de la cause des terroristes

Savez-vous ? C’est très facile de dire qu’Amnesty où le REDHAC sont au service des terroristes. Ce n’est pas de gaieté de cœur qu’on voit tous les jours des gens mourir sous l’effet de bombes humaines. Mais cela ne suffit pas pour voir en tout suspect un terroriste qu’il faut éliminer à tout prix. Si on peut comprendre cela, on gagnera cette guerre dans l’unité, sinon, ceux qui ont pour rôle premier de protéger les populations et qui ont fait dans le populisme, paieront. De toutes les façons, ceux qui n’ont pas intérêt à ce que le Cameroun sorte grandi dans cette difficulté sont des antipatriotes car la différence entre la secte terroriste Boko Haram et la République du Cameroun est fondamentale. Une secte terroriste ne peut s’ériger en Etat, un Etat ne peut prendre la place d’une secte terroriste en conséquence, les reproches qui sont formulés à tort à Amnesty international et au REDHAC de ne pas rencontrer les dirigeants de cette secte et de leur faire des recommandations relèvent d’un pur procès en sorcellerie. L’histoire nous le dira. On ne perd rien à attendre.

Les griefs formulés à l’encontre de Amnesty international sur la part belle aux victimes de l’armée ne sont-ils pas pertinents, à votre avis ?

Existe-t-il les centres de tortures au Cameroun ? DGRE (services secrets, ndlr), SED (bureaux du patron de la gendarmerie nationale, ndlr) et autres ? le droit à la liberté d’associations et de manifestations est-il effectif au Cameroun ? Les prisons sont-elles pléthoriques ? Que dit la loi N° N°2014/028 du 23 décembre 2014 portant « répression des actes de terrorisme » en particulier l’article 2 alinéa1. Tout cela n’est-il pas connu de nous tous ? Moi- même j’ai été refoulée à la DGRE alors que je voulais simplement rendre visite à M. Aboubakary SIDDIKI et à Me Harissou qui arrêtés avaient subi les tortures et les traitements inhumains et dégradants dans ce centre de détention.Aussi, j’étais présente le jour où le journaliste Ahmed ABBA a été déféré à la prison principale de Kondengui à Yaoundé, enchaînés avec au moins 20 jeunes présumés ‘’Boko Haram’’il avait perdu l’usage de la parole, les plaies béantes sur les pieds enchaînés, j’ai vu un autre jeune de moins de 20 ans supposé ‘’Boko Haram’’ ne s’exprimant ni en français ni en anglais qui avait presque perdu la vue. Tous venaient de la DGRE, amochés, de vraies loques humaines, traumatisés. Je mets quiconque au défi pour me le démentir. Il faut que cela soit clair une fois pour toute. Nos forces de sécurité se battent et nous les félicitons. Néanmoins, nous devons admettre que certains d’entre eux, surtout les éléments du Bataillon d’Intervention Rapide (BIR) ne se soucient pas tout le temps de la protection des populations dans cette guerre injuste. Si on le dit, c’est pour leur permettre de prendre conscience de la gravité de leurs actes en vue de de s’améliorer. Très souvent, ils utilisent tous les moyens de tortures pour obtenir les aveux des supposés terroristes ‘’Boko Haram’’. Nous devons avec notre dernière énergie condamner ces actes de tortures, ces traitements inhumains et dégradants alors que le Cameroun est signataire du protocole consultatif des Nations Unies contre la torture.

Autre chose, nous devons apprendre de nos erreurs et de nos turpitudes. Dans le cadre du ratissage des villages Magdeme et Doublé où certaines forces de sécurité avaient commis des exactions et qui a valu au REDHAC et « à ses des chefs de file’’, dixit le porte parole du gouvernement, un appel à leur lynchage. En plus des instructions du président de la République sanctionnant le chef de file (commandant de brigade de gendarmerie responsable de ces massacres, ndlr) les courageux juges du tribunal de Maroua ont dit le droit. En effet, le 13 juin 2017, ils ont libéré 47 des rescapés détenus depuis 2015 à la prison de Maroua. C’est l’occasion ici de rendre hommage à ces vaillants juges qui ont démontré que nous avons le droit de continuer le combat pour une justice pour tous et équitable.

En janvier 2015, le REDHAC a publié un rapport sur les violations des droits humains à l’Extrême-Nord dans le cadre de la lutte contre Boko Haram, à quand la prochaine publication ?

Ces rapports ne sont pas les produits de nos imaginations. Ce sont les résultats des enquêtes de terrain. Celles-ci sont en cours. Après avoir bouclé les enquêtes, leur traitement, le rapport sera publié. Nous ne travaillons pas avec légèreté. Il s’agit quand d’un sujet très délicat qui nécessite beaucoup de rigueur. Mais en attendant notre rapport, vous devez savoir que c’est le REDHAC qui a fait appel à Amnesty international lorsque notre propre gouvernement par la voix de son porte parole a demandé au peuple de nous lyncher, ‘’les 2 chefs de file du REDHAC’’. Depuis cette date, nous travaillons en étroite collaboration avec Amnesty International. Consciente que les gouvernements africains ont une tendance à restreindre les libertés fondamentales dans leurs pays et à violer les droits humains en période de paix, il était normal qu’avec la montée du terrorisme en Afrique, la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (CADHP) soit plus préoccupée.

Ainsi, pour assurer la protection des droits humains dans la lutte contre le terrorisme, elle a adopté à sa 56e session ordinaire à Banjul, en Gambie (21 avril au 7 mai 2015) un document très important intitulé : ‘’ Principes et directives sur les droits de l’homme et les peuples dans la lutte contre le terrorisme en Afrique ‘’ qui doivent guider les Etats confrontés à la guerre contre le terrorisme de veiller à la protection des droits humains dans la guerre contre le terrorisme. Ce document qui est vivement conseillé à tous ceux qui bavardent se trouve sur le site de la CADHP (www.achrpr.org). En tant qu’organisation ayant un statut d’observateur auprès de la CADHP, nous avons l’obligation d’enquêter, de documenter, de publier et de diffuser les résultats de nos enquêtes de ces violations et aussi de faire les recommandations pertinentes à l’Etat partie en l’occurrence la République du Cameroun, et celle du Tchad. Nous y veillerons.