Un climat de tension extrême s'est installé au Cameroun au lendemain de l'élection présidentielle du 12 octobre. Selon des sources sécuritaires, un coup d'État serait en gestation, rappelant le scénario qui a secoué le Gabon en août 2023.
Le Cameroun retient son souffle. Quarante-huit heures après un scrutin présidentiel marqué par des violences à Garoua et une bataille acharnée pour le contrôle des résultats, des sources de haut niveau au sein de l'appareil sécuritaire font remonter une information capitale : un coup d'État serait en gestation.
Cette révélation intervient dans un contexte de tensions maximales entre le pouvoir de Paul Biya et une opposition galvanisée par les premières tendances donnant Issa Tchiroma Bakary en tête dans plusieurs régions. Les similitudes avec le Gabon voisin sont troublantes.
En août 2023, quelques heures après l'annonce de la réélection contestée d'Ali Bongo Ondimba, l'armée gabonaise prenait le pouvoir, mettant fin à plus de 55 ans de règne de la dynastie Bongo. Les militaires avaient invoqué la nécessité de "préserver la paix" face à une élection qu'ils qualifiaient de "frauduleuse".
Le parallèle avec la situation camerounaise actuelle est saisissant. Comme au Gabon, le scrutin du 12 octobre est entaché de soupçons de fraude. Comme au Gabon, l'opposition refuse de reconnaître une éventuelle victoire du président sortant. Comme au Gabon, la tension entre forces de sécurité et population atteint un point de rupture.
Plusieurs éléments alimentent ces rumeurs de putsch. D'abord, les mouvements inhabituels de troupes observés autour de la capitale. Ensuite, le ton exceptionnellement menaçant adopté par le ministre de l'Administration territoriale Paul Atanga Nji, qui a évoqué un "casus belli" et promis "la rigueur de la loi sans complaisance".
À Garoua, théâtre d'affrontements dimanche, la situation reste explosive. Issa Tchiroma Bakary demeure sous étroite surveillance dans sa résidence, tandis que ses partisans refusent de se disperser. Les forces de l'ordre, après avoir tiré des sommations, se sont repliées – un geste interprété par certains observateurs comme un signe de divisions au sein de l'appareil sécuritaire.
L'armée camerounaise, traditionnellement fidèle au président Biya au pouvoir depuis 1982, observe un silence troublant. Aucun communiqué officiel n'a été publié depuis la clôture du scrutin. Ce mutisme contraste avec les déclarations tonitruantes du ministre de l'Administration territoriale et nourrit les spéculations.
"L'armée camerounaise n'est pas imperméable aux tensions sociales", confie sous anonymat un officier supérieur en poste à Yaoundé. "Beaucoup de militaires ont des familles qui souffrent. Ils voient ce qui se passe dans le pays. Le Gabon a montré qu'une intervention était possible."
Sur le terrain numérique, la guerre fait rage. Des procès-verbaux favorables à Tchiroma Bakary inondent les réseaux sociaux, relayés par la diaspora camerounaise. En face, les officines du RDPC, le parti au pouvoir, publient leurs propres chiffres montrant une large victoire de Paul Biya.
Cette bataille pour le contrôle du narratif rappelle également le Gabon, où la publication précipitée de résultats contestés avait précipité l'intervention militaire. Au Cameroun, Paul Atanga Nji a menacé de poursuivre quiconque publierait des résultats via des "plateformes illégales" – une tentative désespérée de reprendre le contrôle de l'information.
Les chancelleries occidentales suivent la situation avec une attention extrême. Plusieurs ambassades auraient mis en place des cellules de crise. La France, ancien colonisateur et partenaire historique du Cameroun, aurait établi des contacts discrets avec différents acteurs de la scène politique et militaire camerounaise.
L'Union africaine, qui avait condamné le coup d'État au Gabon tout en reconnaissant les "dysfonctionnements" du processus électoral, se retrouve face à un dilemme similaire. Comment réagir si l'armée camerounaise devait intervenir au nom de la "défense de la démocratie" ?
Elections Cameroon (Elecam), l'organisme chargé de la gestion du scrutin, fait face à une pression sans précédent. En 2018, l'instance avait mis une semaine avant de publier des résultats provisoires. Cette fois, chaque heure de silence alimente les rumeurs et accroît la tension.
Erik Essousse, le directeur général d'Elecam, devait prendre la parole publiquement, mais son intervention a été reportée sine die. Ce nouveau retard ne fait qu'aggraver la méfiance de l'opposition, qui y voit une manœuvre pour "fabriquer" des résultats favorables à Paul Biya.
Trois scénarios se dessinent pour les prochaines heures. Le premier : Elecam publie des résultats donnant Paul Biya vainqueur, l'opposition conteste, et le pays bascule dans une crise post-électorale de grande ampleur.
Le deuxième : une victoire de Tchiroma Bakary est annoncée, mais le pouvoir refuse de céder, provoquant un bras de fer institutionnel potentiellement explosif.
Le troisième, le plus redouté : face à un blocage total, l'armée intervient "pour sauver le pays du chaos", reproduisant le scénario gabonais. Cette option, impensable il y a encore quelques semaines, est désormais ouvertement évoquée dans les cercles diplomatiques et sécuritaires.
Dans le camp de Tchiroma Bakary, l'ambiance oscille entre euphorie et angoisse. "Nous avons gagné, les résultats sont là", affirme Alice Nkom, avocate et activiste proche de l'opposant. "Mais nous savons que le pouvoir ne nous laissera pas la victoire facilement. Nous sommes préparés à tous les scénarios."
Cabral Libii, autre candidat de l'opposition, a appelé au calme tout en demandant à Elecam de "respecter le verdict des urnes". Joshua Osih, de son côté, a dénoncé des "tentatives de manipulation à grande échelle" et appelé la communauté internationale à être "vigilante".
Le Cameroun se trouve à un carrefour historique. Après des décennies de stabilité autoritaire sous Paul Biya, le pays pourrait basculer dans l'inconnu. Le spectre d'un coup d'État militaire, longtemps considéré comme improbable, se matérialise progressivement.
Les heures qui viennent seront décisives. Entre une opposition déterminée à faire valoir ce qu'elle considère comme sa victoire, un pouvoir arc-bouté sur ses positions, et une armée dont les intentions restent mystérieuses, le Cameroun retient son souffle.
Le Gabon a montré qu'un coup d'État post-électoral était possible en Afrique centrale. Le Cameroun sera-t-il le prochain domino à tomber ? La réponse viendra peut-être plus tôt que prévu.