Actualités of Monday, 7 July 2025

Source: La nouvelle N°828 du 7 juillet 2025

Tribunal : les conséquences terribles de la décision d’Issa Tchiroma

Tribunal de l’histoire Tribunal de l’histoire

Aucun juge ne saurait annuler le retrait délibéré ou provoqué des membres d’un gouvernement, fussent-ils d’éminentes personnalités. Des politistes, voire des constitutionnalistes, pourraient bien se pencher sur l’acte légal de la démission politique, mais ce serait comme peigner la girafe ou pisser dans un violon. En réalité, nul n’est irremplaçable ni obligé d’œuvrer au sein d'un gouvernement.

C’est dans un contexte similaire que des observateurs de l'arène politique camerounaise ont appris la démission du ministre Issa Tchiroma Bakary, alias It Bakary. L’un de ses proches, le journaliste Georges Alain Boyomo, l'assimile au « phœnix », l'oiseau mythique de l’antiquité gréco-romaine, doté d’une superbe longévité et capable de renaître de ses cendres. Si le controversé politicien prénommé n’était pas pétri d’hypocrisie, son diagnostic aurait été l’amnésie. En effet, dans sa « Lettre aux Camerounais », procédé estimable de communication politique emprunté aux présidents français, le démissionnaire « phœnix » fustige à boulets rouges les « désastres » d’un gouvernement auquel il a longtemps appartenu et les « élans de progrès, étouffés des décennies durant » par un régime qu'il a servi et dont il s'est servi pendant moult années.

D’abord comme ministre des Transports (1992-1996), puis comme ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement (2009- 2019), et enfin comme ministre de l’Emploi et de la formation professionnelle de 2019 jusqu'à la récente dérobade, « préparée depuis des mois » pour se présenter à la présidentielle de 2025. Leadership versatile et instable. Le natif de la belle ville septentrionale de Garoua n’avait-il pas déjà fait partie d’une coalition de l’opposition nationale lors de l'élection présidentielle de 2004 ? Il avait alors demandé aux votants de « chasser Paul Biya du pouvoir », pour élire à sa place Adamou Ndam Njoya, de l’Union démocratique du Cameroun (Udc).

Il s'y entêta, malgré le soutien ferme apporté au chef d’Etat sortant par le président de son parti, Bello Bouba Maigari, et par la direction de l’Union nationale pour la démocratie et le progrès (Undp) qu’il avait réintégrée, après quelques années d’insignifiance au sein de l’Alliance nationale pour la démocratie et le progrès (Andp). Le verdict des urnes fut net et sans appel : 70,92 % des voix au leader du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc), 17,40 % au « chairman » du Front social-démocrate (Fsd), 4,48 % au président de l’Udc et 7,2 % aux autres candidats concurrents. En quittant à nouveau l’Undp pour faire enregistrer, en 2007, le Front pour le salut national du Cameroun (Fsnc), Issa Tchiroma Bakary a, une fois de plus, fait preuve de leadership versatile et instable, traits de personnalité qui caractérisent inlassablement ses déclarations successives, ses actions contradictoires et ses considérations antinomiques.

En octobre 2018, Maurice Kamto, président du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (Mrc), prétendait avoir « reçu mission de tirer et de marquer le pénalty ». Le putatif buteur du coup de pied de réparation, que l’ancien ministre semble dorénavant couvrir d’amabilités, fut déclaré « hors-la-loi ». Et, a fortiori, Issa Tchiroma Bakary ajouta ceci à son intention : « Quiconque se met en travers des institutions nationales rencontrera naturellement la rigueur de la loi, parce que la force appartient à la loi ».

Présidentielle de 2025

Candidat obsédé désormais par la prochaine présidentielle de 2025, le fondateur du Fsnc a choisi le slogan « Le peuple au pouvoir / We are the power », qui rappelle étrangement l’idée clé de John Fru Ndi, au cœur de la campagne à la magistrature suprême de 1992, et qu’Issa Tchiroma Bakary avait, à l’époque, platement dénigrée. Il n’est pas exclu que cette accroche soit percutante dans le cadre du marketing politique. Le message est court, mémorable et peut marquer les esprits. En somme, il s’agit d’une sorte d’imitation exaltante du slogan « Le pouvoir au peuple/ Power to the people » du Fsd, mais mieux traduit dans la langue de Shakespeare et mis en contexte lors de la première présidentielle pluraliste de l’histoire du Cameroun. Nonobstant, se faisant passer pour le sauveur des populations oubliées et méprisées, qui étoufferaient et souffriraient jusqu’au paroxysme du désespoir, dans un « pays dirigé par une même vision, un même système » depuis des décennies, le ministre démissionnaire n’est pas avare de dramatisations. Il y déroule sans vergogne son projet « de tourner la page » contre une situation de malheur qui aurait atteint sa limite, poussée à son point le plus élevé, à son intensité maximale, à son comble, à son apogée. L’exagération est telle que l’on se surprend à se demander s’il y subsiste encore une forme de vie supportable, en dépit de difficultés indéniables. Or, tout excès de langage politique qui tend à amplifier de fâcheux auspices, peut avoir des conséquences imprévisibles.

Double tartufferie pernicieuse

De fait, la ficelle est grosse. Si grosse qu’elle trahit une double tartufferie pernicieuse ! La première tartufferie consiste à se présenter comme le candidat des désespérés, alors que celui qui s’en prévaut, immensément fortuné, respire dans l’atmosphère du système douillet qu’il critique à présent. Peut-il vraiment sans rire se transformer en porte-parole des petits et des sans-grades, lui qui a tant usé de privilèges devant la déférence de ces humbles ? Le second volet de la tartufferie est la vision annoncée, à grand renfort d’assertions subjectives et de promesses fallacieuses. Comprenons-nous bien. Il ne s’agit pas de dire qu’Issa Tchiroma Bakary est pire que d’autres postulants déclarés.

Il s’agit simplement de montrer que les postulats de son engagement présidentiel sont bâtis sur des assises fragiles et des caricatures fréquentes en politicardie alimentaire. En jetant son froc aux orties par sa démission, il ne semble pas avoir qualité de se gargariser d’oripeaux protecteurs des pauvres, ni de vitupérer contre ceux qui, sans être parfaits, ont pu apporter, contre vents et marées, le multipartisme, la stabilité politique et la continuité institutionnelle qui font souvent défaut en Afrique. Une question s’impose finalement à l’esprit : la démission et la candidature d’Issa Tchiroma Bakary sont-elles véritablement un « coup dur » et une « faille » dans la muraille du pouvoir en place ? Le doute est permis ! Selon Philippe Geluck, « il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis ». Soit ! Mais le désentêtement couramment intéressé peut aussi confiner à la stupidité, y compris dans le camp d’autres candidats autoproclamés. Si, à coup d’inconstances, le changement d’avis ne répondait qu’au souci de ne pas paraître « imbécile », le leader du Fsnc serait-il pour autant devenu plus sincère aux yeux de tous après maintes équivoques et volte-face ? Rien n’est si sûr ! Il y a néanmoins lieu de lui reconnaître la volonté de saisir la balle au bond de l'ultime tour présidentiel de son ère politique en déclin et le courage de se priver d'agréments d'un portefeuille ministériel, aiguillonnés par la perspective d’un laborieux concours d'accès à l'hypothétique magistrature suprême.

Effets de l’ambivalence politique

La démarche du démissionnaire « phœnix » est légale, car conforme au droit, mais politiquement et moralement illégitime par les biais de l’exonération systématique de ses responsabilités et de la stigmatisation déloyale de ses nouveaux adversaires du régime auquel il a participé à fond. Toutefois, les effets de l’ambivalence politique sont difficilement délébiles sur le registre des vicissitudes, des péripéties et des frivolités comportementales. Et comme il y a toujours un stade où il s’agit de boucler périodiquement les comptes politiques, le solde des opérations peut se manifester à travers la perte de crédibilité, la démobilisation partisane, la démotivation citoyenne ou le manque de confiance élective. « Qui vivra verra », dirait une vieille sagesse populaire, transmise de génération en génération. Hormis les supercheries frauduleuses et les tartufferies pernicieuses, nul ne sait prédire le futur avec certitude, car ses facteurs principaux sont intrinsèquement aléatoires et variablement probables. Seul l’avenir permettra de mettre fin aux spéculations éveillées et, le cas échéant, de connaître le jugement qui sera réservé à Issa Tchiroma Bakary au tribunal de l’Histoire !