La démission d'Issa Tchiroma Bakary du RDPC ne relève ni de la révolution ni du courage idéologique, mais d'un calcul de survie politique dans un contexte de fin de règne. Ancien ministre de la Communication et porte-voix du déni, Tchiroma opère sa mue à quelques mois de l'échéance présidentielle, révélant les fissures profondes qui lézardent l'édifice du pouvoir. Son revirement s'inscrit dans une recomposition stratégique du Septentrion camerounais, région historiquement déterminante dans les transitions politiques majeures. Entre réflexe d'autodéfense régionale face aux velléités dynastiques du clan du Centre-Sud et repositionnement tactique avant la bataille électorale, cette défection annonce-t-elle l'implosion programmée du château de cartes RDPC ?
Tchiroma veut nous aider à mettre en cage le monstre qu’il a nourri ? Très bien, pourquoi pas...
Je le dis de suite exactement comme je le pense en prenant le risque de me tromper. La démission d’Issa Tchiroma Bakary n’est pas une révolution. Ce n’est pas non plus, à mes yeux, un acte de bravoure idéologique. C’est, disons-le honnêtement, une mutation de survie, un repositionnement calculé dans un paysage politique où l’odeur de la fin se fait de plus en plus tenace. Son passage par le Ministère de la Communication aura été celui d’un porte-voix du déni. Dès lors, comment interpréter ce brusque changement de ton, cette sortie spectaculaire de l’ombre pour se placer, à quelques mois de l’échéance présidentielle, dans une posture d’indépendance ?
La réponse tient dans une évidence que beaucoup au sommet redoutent désormais : le château de cartes RDPC est en train de s’écrouler, non pas sous l'effet d’un coup de force extérieur, mais par implosion lente, à feu doux, depuis ses propres périphéries qui ont un réel poids politique. Je ne parle pas du PADDEC, de Foo Dzaketompoug et des partis à deux militants de Bedzigui ou du MAPART de Celestinho, Maire de Douala 0. Je ne parle pas de ces partis fantômes, mais plutôt de ceux qui ont un vrai ancrage local et une base militante active.
Ceux qui connaissent l’histoire politique du Cameroun ou qui, à défaut de l'avoir connue, l'ont lue comme moi, savent que le Grand Nord a toujours joué un rôle déterminant dans les transitions majeures. Déjà en 1958, lorsque la guerre de leadership entre André Mbida et Ahmadou Ahidjo atteint son paroxysme, c’est l’alliance nordiste, renforcée par un retrait stratégique de ministres septentrionaux du gouvernement, qui propulse Ahidjo au pouvoir. Trente ans plus tard, en 1983, la tentative d’Ahidjo de reprendre la main échoue non pas à Yaoundé, mais parce que les poids lourds du Nord , Bello Bouba, Ousmane Mey, Mbombo Njoya refusent de quitter le gouvernement Biya. Ce sont ces équilibres silencieux, ce jeu d’alliances tacites, qui ont toujours façonné l’architecture du pouvoir.
La sortie de Tchiroma, et les signaux faibles envoyés par d’autres figures comme Bello Bouba ou les cercles proches d’Ousmane Mey, laissent entrevoir une recomposition profonde dans le Septentrion. Loin d’un simple règlement de comptes avec Biya, c’est un réflexe d’auto-préservation régionaliste, dans un contexte où les élites du Nord perçoivent une tentative de captation dynastique du pouvoir par le clan du Centre-Sud.
En vérité, à mes yeux, ce n’est pas tant ce que Tchiroma dit qui importe, mais le moment où il le dit, et surtout les non-dits que sa démarche révèle. Son revirement coïncide étrangement avec les rumeurs persistantes d’un projet de révision constitutionnelle pour instaurer un poste de vice-président, un tremplin déguisé pour Franck Biya.
Une telle initiative, à quelques mois d’une élection cruciale, témoigne moins d’un projet structuré que d’une panique installée. Le pouvoir, qui jusque-là régnait par la force de l’habitude et la peur entretenue, montre désormais ses fissures : il anticipe sa propre fin et tente de verrouiller la sortie.
Mais ce verrouillage autoritaire pourrait bien avoir l’effet inverse. Car chaque nouvelle candidature issue du Nord, loin d’affaiblir l’opposition, réduit l’hégémonie électorale du RDPC dans ses zones traditionnellement acquises. Plus de candidatures signifie plus de regards extérieurs, plus d’équipes sur le terrain, plus de vigilance contre les fraudes. Là où le régime avait l’habitude de bourrer les urnes à ciel ouvert, la lumière s’invite désormais dans les coulisses.
Donc, il faut être cynique, ou stratège, ou les deux à la fois, pour comprendre la beauté ironique de ce moment : dans certaines circonscriptions, ce sont d’anciens architectes de la tricherie électorale qui vont, de facto, devenir les garants de la transparence. Pas par vertu, mais par intérêt bien senti. Et cela tombe à point nommé pour le MRC. Car si la percée spectaculaire du Pr. Kamto dans le Septentrion lors de la présidentielle passée a surpris le pouvoir, le réveil politique actuel dans cette zone risque d’achever ce qu’il reste de la fausse invincibilité du RDPC.
Dans un pays où le Nord a trop souvent été considéré comme une réserve passive de voix à triturer, le basculement stratégique actuel est un séisme politique silencieux. Les abeilles d'Atanga Bandit, qui s’acharnaient encore récemment sur les militants du MRC à Douala ou Bafoussam, vont devoir apprendre une dure leçon : on ne brutalise pas aussi facilement un Tchiroma à Garoua, ni un Bello à Ngaoundéré. La répression ciblée risque de révéler crûment le double standard du pouvoir.
Et pendant que certains s’acharnent à faire la chasse aux militants pacifiques, le brasier se propage dans leurs propres cuisines politiques. Ce n’est pas un "front ethnique" qui émerge, il n’en est nullement question. Ce qui se lève, c’est un réflexe d’autodéfense politique régionalisé, mû par le sentiment que le pouvoir tente une confiscation monarchique, au mépris même de ses vieilles alliances.
Le Cameroun entre dans une zone de turbulence où les anciens codes ne tiennent plus. Et dans ce chaos ordonné, chaque candidature qui vient troubler l’ordre préétabli est un caillou dans la chaussure du RDPC. Un caillou qui, à force d’accumulation, pourrait bien provoquer la chute.
Issa Tchiroma n’est pas un repenti. Il n’est pas un exemple moral. Mais il est le symptôme d’un système en fin de cycle. Et dans les systèmes malades, même les cellules cancéreuses finissent par signaler que le corps s’effondre.
Donc, mes gens , le rythme est très bon. Il est excellent même . Car quand même les piliers du temple commencent à fuir, ce n’est plus qu’une question de temps avant que le toit s’effondre.
Pour paraphraser le titre de mon texte : si Tchiroma veut nous aider à mettre en cage le monstre qu’il a nourri ? Très bien, pourquoi pas… On discutera de son cas particulier au calme, plus tard. Mais seulement quand le monstre et ses autres créatures seront effectivement en cage.
Julie Foka