Derrière les sourires de façade et les poignées de main protocolaires, une guerre sourde oppose depuis trois décennies les deux poids lourds politiques du septentrion camerounais. Les révélations exclusives de Jeune Afrique lèvent le voile sur une rivalité historique entre Issa Tchiroma Bakary et Bello Bouba Maïgari qui pourrait bien coûter la victoire à l'opposition face à Paul Biya.
Selon les informations exclusives obtenues par Jeune Afrique, la fracture entre les deux hommes remonte à 1992, bien avant leurs récentes démissions gouvernementales. Tchiroma Bakary, alors cadre influent de l'UNDP de Bouba Maïgari, est menacé d'exclusion avec Hamadou Moustapha pour avoir accepté d'entrer au gouvernement.
Jeune Afrique révèle que Bouba Maïgari y voit alors "une manœuvre du pouvoir visant à affaiblir son parti". La rupture devient consommée en janvier 1995 lorsque les deux hommes, définitivement exclus de l'UNDP, créent l'Alliance nationale pour la démocratie et le progrès (ANDP), se présentant comme "l'héritier authentique" de l'UNDP et contestant ouvertement l'autorité de leur ancien mentor.
L'investigation menée par Jeune Afrique dans l'entourage des deux candidats révèle des approches diamétralement opposées. Concernant Bouba Maïgari, ses proches confient au magazine qu'il a présenté sa candidature "sous la pression de sa base". Une source proche assure à Jeune Afrique : "S'il ne démissionnait pas, il courrait le risque de voir son parti, déjà radicalisé et très déçu par Paul Biya, se vider au profit du FSNC qui pouvait canaliser ces frustrations."
Du côté de Tchiroma Bakary, Jeune Afrique recueille une version différente. Les partisans du président du FSNC assurent au magazine que son entrée au gouvernement relevait de "la pure stratégie politique". "Il ne s'agissait pas d'un ralliement loyal, mais d'un repli tactique", confie une source au sein du parti à Jeune Afrique, ajoutant que Tchiroma "n'a jamais aimé Paul Biya".
Jeune Afrique révèle également les critiques internes au sein de l'opposition du Nord. À la différence d'autres figures comme Marafa Hamidou Yaya, dont les caciques du FSNC jugent qu'il a "manqué de prudence" en choisissant l'affrontement ouvert, Tchiroma aurait, selon les confidences recueillies par Jeune Afrique, déployé pendant toutes ces années une "tactique plus subtile".
Cette approche différenciée explique, selon l'analyse de Jeune Afrique, pourquoi les deux hommes entretiennent aujourd'hui "une méfiance réciproque" qui rend leur alliance quasi impossible malgré les enjeux électoraux.
L'enquête de Jeune Afrique souligne l'ironie de cette situation : les deux hommes sont originaires du septentrion, "un ensemble de trois régions qui concentre près de la moitié de l'électorat". Leur alliance aurait donc "électoralement du poids, tout en ouvrant la voie au ralliement d'autres candidats de l'opposition".
Mais comme le constate Jeune Afrique, cette division historique, nourrie de rancœurs personnelles et de calculs politiques contradictoires, offre finalement le plus beau des cadeaux au président sortant Paul Biya, qui peut compter sur la fragmentation de ses opposants pour conserver le pouvoir.