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Actualités of Monday, 1 February 2016

Source: Le jour

Rencontre Atangana Mebara - Paul Biya à Genève (Extrait)

Jean-Marie Atangana Mebara Jean-Marie Atangana Mebara

Le secrétaire général de la présidence de la République au Cameroun. Entre mythes, textes et réalités », Paris L’Harmattan, janvier 2016. Pp 130-134
EST-CE TOUT CE QUE VOUS AVEZ RECU COMME INITIATION DE LA PART DU PRESIDENT ?
Non, bien sûr. J’ai eu le privilège de ce que je pourrais appeler une « initiation accélérée » pendant deux jours à Genève en Suisse.

COMMENT CELA ?
Quelques semaines après mon entrée en fonction, le Chef de l’État est parti en voyage privé à Genève. Et y étant, il m’a instruit d’aller l’y retrouver. J’ai donc quitté Yaoundé, deux jours après cette instruction. L’Aide de camp m’avait prévenu que le Chef de l’État avait instruit le Chef d’État Major Particulier de mettre à ma disposition l’avion présidentiel, le G 11.

VOUS ARRIVEZ DONC GENEVE…?
J’ai été accueilli par une équipe de fonctionnaires de notre ambassade sur place, conduite par le Chargé d’Affaires et par des éléments de la sécurité présidentielle, qui travaillent généralement avec l’Aide de Camp. Ils ont effectué toutes les formalités de police et de douanes et puis nous sommes partis pour l’Hôtel Intercontinental. J’ai été installé dans une suite junior, trois ou quatre étages en dessous des appartements présidentiels. Tout de suite après mon installation, j’ai reçu un appel de l’Aide de camp, le Capitaine de vaisseau Joseph FOUDA, que tout le monde, y compris le Chef de l’État, appelait Colonel. Il m’a souhaité la bienvenue et m’a indiqué que le Chef de l’État me recevra le lendemain matin. Et de fait, aux alentours de 10h30, l’Aide de Camp m’a appelé pour me demander de monter.

ET ALORS ?
Je suis donc monté à l’étage des appartements du Président. J’ai attendu quelques minutes dans une pièce, puis l’Aide de camp m’a accompagné et introduit dans le salon des appartements présidentiels. J’ai trouvé le Président debout, m’attendant. Il m’a tendu une main que j’ai trouvée chaleureuse, tout en m’invitant à prendre place dans un des fauteuils à côté du canapé qu’il occupait.

EN QUOI A-T-ELLE CONSISTE ?
Pour l’essentiel, le Président m’a parlé des hommes ; il m’a posé des questions sur ma connaissance de mes deux adjoints, et sur chacun, il m’a donné des « conseils » sur la manière de le gérer pour en obtenir le meilleur. Il m’a aussi parlé des relations avec le gouvernement, en relevant qu’il avait noté, quand j’étais au Ministère de l’Enseignement Supérieur, que j’avais bien compris la nature présidentiel du régime. Il m’a notamment indiqué que mes bonnes relations avec le Premier Ministre MUSONGE Peter me seraient utiles dans la gestion des relations entre la Présidence et le gouvernement. Il s’est attardé sur les problèmes qui semblaient le préoccuper.
Il y a eu notamment :

la situation économique du pays, sous programme d’ajustement avec les institutions de Bretton-Woods ; ensuite le dossier de Bakassi dont la Cour Internationale de La Haye avait été saisie ; les lourdeurs et lenteurs de la machine administrative, en soulignant au passage qu’il comptait sur mon expérience à l’Institut de management pour introduire plus d’efficacité. Enfin le Président est revenu sur les hommes dans l’appareil étatique, pour notamment attirer mon attention sur certains individus qu’il me déconseillait de fréquenter, parce que selon lui, ils « sont dangereux ». Je dois avouer qu’à l’époque je ne comprenais pas que ces mêmes personnalités, jugées dangereuses, soient maintenues à des fonctions importantes de l’État.

VOUS L’AVEZ COMPRIS PLUS TARD ?
J’ai surtout retenu qu’il me conseillait d’être très vigilant avec ces personnes, à ne pas me laisser embobiner par leurs simagrées, leurs sourires et leurs gestes de gentillesse de façade. J’ai compris plus tard que lui le Président était le seul qui pouvait gérer ces personnes parce qu’il les connaissait de longue date.

POUVEZ-VOUS NOUS DONNER QUELQUES NOMS ?
D’abord je dois préciser que ces personnes dont le Président m’a parlé n’étaient pas plus de deux. Ensuite vous comprenez que je ne puisse pas donner de noms. Je puis seulement vous révéler que dans l’exercice de mes fonctions, j’ai découvert, à mes dépens, la dangerosité de l’une de ces personnes.  

QU’EST-CE QUI VOUS A FRAPPE EN ECOUTANT LE PRESIDENT ?
J’étais surtout frappé par sa connaissance et sa mémoire des dossiers et des hommes. Vous savez, on ne s’attend pas toujours à voir un Chef de l’État parler des dossiers sans document. Et puis, je l’ai trouvé à la fois pédagogue et comme désireux de me donner, rapidement, tous les outils nécessaires au plein accomplissement de ma mission. À certains moments de ces échanges, en l’observant bien dans cette tenue simple qu’il arborait, je lui ai même trouvé des élans paternels. Il m’a appris qu’il tenait un carnet secret dans lequel il relevait les noms des hauts fonctionnaires qui lui étaient signalés de manière particulièrement positive ; et il m’a recommandé d’en faire autant. Pendant tout le temps qu’a duré l’entretien (si je peux ainsi qualifier cette véritable leçon), il n’a pas ouvert un seul document ; moi j’ai pris des notes, beaucoup de notes.

ET COMBIEN DE TEMPS A DURE CETTE « LEÇON » ?
Un peu plus de deux heures. Nous avons eu une brève interruption avec l’entrée dans la pièce de son épouse.

AH BON ?
Naturellement à son entrée je me suis levé, prêt à sortir pour les laisser seuls. Après avoir demandé à son épouse, « Tu connais mon Secrétaire Général ? », et qu’elle m’ait tendu la main en répondant « Bien sûr », le Président m’a demandé de m’asseoir. Ils ont échangé quelques mots et puis Madame s’est retirée.