Entre continuité prévisible et risque d'explosion sociale, le président camerounais prépare son septième casting gouvernemental. Enquête exclusive.
Depuis sa prestation de serment le 6 novembre, Paul Biya s'attèle à ce qui est devenu un rituel immuable de son règne : le remaniement post-électoral de son gouvernement. Mais cette fois, l'exercice s'annonce périlleux. À presque 93 ans, le président camerounais pourra-t-il encore surprendre ? Une enquête exclusive de Jeune Afrique révèle les enjeux et les lignes de fracture de ce casting très attendu.
Jeune Afrique a analysé l'ensemble des remaniements post-électoraux depuis l'accession de Paul Biya au pouvoir. Notre investigation établit un constat sans appel : le président "pratique avec parcimonie" cet exercice, mais "l'utilise régulièrement pour répondre aux attentes de la population, en particulier après les scrutins importants".
Les révélations de Jeune Afrique montrent que ce rituel s'est répété après chacune des présidentielles remportées par Biya : 1988, 1992, 1997, 2004, 2011 et 2019. À chaque fois, le même schéma : quelques semaines après la proclamation des résultats, un décret présidentiel chamboule – ou confirme – la composition du gouvernement.
Mais selon les sources de Jeune Afrique, ce septième remaniement post-électoral intervient dans un contexte inédit : une contestation persistante, incarnée par Issa Tchiroma Bakary réfugié au Nigeria, et des attentes populaires immenses après une campagne particulièrement tendue.
Les révélations de Jeune Afrique indiquent que "l'absence de grosse surprise" caractérise historiquement les remaniements de Paul Biya. Le président "a le plus souvent misé sur la continuité, même lorsqu'il proposait une ouverture, relative, à l'opposition".
Cette option impliquerait le maintien de Joseph Dion Ngute à la primature, de Laurent Esso à la Justice, de Joseph Beti Assomo à la Défense et de Paul Atanga Nji à l'Administration territoriale. Les "survivants" identifiés par Jeune Afrique – Jacques Fame Ndongo à l'Enseignement supérieur, Louis Paul Motaze aux Finances, René Emmanuel Sadi à la Communication – conserveraient également leurs portefeuilles.
Jeune Afrique rappelle que Biya a déjà pratiqué "l'ouverture, relative, à l'opposition" en 1992, en intégrant des dissidents de l'UNDP. Notre enquête révèle que cette stratégie pourrait être réactivée pour apaiser les tensions post-électorales.
Des sources proches de la présidence, contactées par Jeune Afrique, évoquent la possible nomination de figures issues des partis ayant participé au scrutin. Mais cette ouverture, si elle se concrétise, concernerait des portefeuilles secondaires, jamais les ministères régaliens qui "restent sous étroit contrôle présidentiel".
Une troisième voie, révélée par Jeune Afrique, consisterait à injecter du sang neuf tout en préservant l'architecture du pouvoir. Cette hypothèse s'appuie sur le précédent de 2004, quand Biya avait remplacé Peter Mafany Musonge par Ephraïm Inoni, "un technocrate réputé loyal".
Selon nos informations, plusieurs noms de hauts fonctionnaires et de diplomates circuleraient dans les couloirs de la présidence. Mais Jeune Afrique note que ces profils techniques ont toujours été choisis pour leur "loyauté" plus que pour leur capacité de réforme.
Les révélations de Jeune Afrique indiquent que Joseph Dion Ngute, Premier ministre depuis janvier 2019, n'a "concerné aucun ministère régalien" lors de son mandat. Nommé dans "une volonté d'apaisement des régions anglophones en guerre", il n'a jamais vraiment pesé sur les décisions stratégiques.
Notre enquête montre que sa reconduction, bien que probable, n'est pas garantie. Le précédent de Philémon Yang, écarté après dix ans de service, rappelle que même les Premiers ministres anglophones les plus dociles peuvent être sacrifiés.
René Emmanuel Sadi, 74 ans, occupe la Communication depuis 2019. Jeune Afrique a établi qu'il avait été "récompensé pour avoir été en première ligne, avec le RDPC, dans la campagne pour la réélection de Biya". Mais son âge et la nécessité de moderniser la communication gouvernementale pourraient justifier son remplacement.
Nos sources révèlent que plusieurs noms circulent, dont celui de jeunes cadres du RDPC formés aux techniques de communication digitale. Un changement symbolique qui permettrait à Biya de donner l'illusion du renouveau sans toucher aux leviers du pouvoir.
Le ministère de l'Emploi : le trou noir laissé par Tchiroma
La démission d'Issa Tchiroma Bakary pour se présenter à la présidentielle crée un vide au ministère de l'Emploi. Jeune Afrique rappelle que ce portefeuille avait été confié à l'ancien ministre de la Communication en 2019, dans ce qui ressemblait à "une rétrogradation".
L'enquête de Jeune Afrique révèle que ce poste pourrait devenir un test : Biya nommera-t-il un autre nordiste pour signifier que la dissidence de Tchiroma ne remet pas en cause sa stratégie de cooptation du Septentrion ? Ou privilégiera-t-il un profil d'une autre région, actant ainsi la rupture avec les élites du Nord ?
Jeune Afrique a analysé les six remaniements précédents et constate une constante : "l'utilisation des anglophones comme fusible politique". Depuis 1992, la primature est systématiquement confiée à un anglophone dans les moments de tension avec les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest.
Nos révélations montrent que cette stratégie a ses limites : malgré la présence de Dion Ngute à Matignon depuis 2019, la crise anglophone n'a pas trouvé d'issue. Le prochain remaniement devra donc donner des gages supplémentaires aux anglophones, sans pour autant leur accorder un réel pouvoir décisionnel.
L'investigation de Jeune Afrique établit que Paul Biya a toujours veillé à "consolider les équilibres régionaux au sein du RDPC". Mais la dissidence de Tchiroma Bakary et le départ, en 2019, d'Amadou Ali – deux poids lourds du Septentrion – ont fragilisé cette architecture.
Notre enquête révèle que le président devra trouver de nouvelles figures nordistes crédibles, capables de maintenir l'illusion d'une représentation équitable. Mais le "vivier des notables septentrionaux prêts à le servir" s'est considérablement réduit, selon nos sources.
Jeune Afrique révèle que le prochain remaniement sera scruté à l'aune de la rivalité entre Ferdinand Ngoh Ngoh, ministre d'État au secrétariat général de la présidence, et Samuel Mvondo Ayolo, directeur du cabinet civil. Ces "clans qui se querellent" depuis plusieurs années attendent chacun leurs récompenses.
Selon nos informations, Ngoh Ngoh pousserait plusieurs de ses protégés pour des postes ministériels, tandis que Mvondo Ayolo chercherait à placer ses propres hommes. Le président devra arbitrer entre ces deux barons sans froisser aucun des deux, sous peine de déstabiliser son propre système de pouvoir.
Jeune Afrique a recueilli les réactions de plusieurs opposants et observateurs du régime. Leur diagnostic est unanime : Paul Biya est "incapable de faire tomber la pression née de la présidentielle du 12 octobre dernier".
Ces détracteurs, révèle notre enquête, s'appuient sur quarante-trois ans de pratique du pouvoir pour affirmer que le président ne surprendra personne. Les précédents plaident en leur faveur : aucun des remaniements analysés par Jeune Afrique n'a jamais bouleversé l'architecture du pouvoir camerounais.
L'équation impossible à 93 ans
Les révélations de Jeune Afrique posent la question centrale : "À presque 93 ans, Paul Biya surprendra-t-il les Camerounais ?" L'âge du président, le plus âgé en fonction en Afrique, constitue désormais un facteur incontournable.
Notre investigation montre que chaque remaniement est désormais analysé comme potentiellement le dernier. Les nominations à venir seront donc scrutées non seulement pour ce qu'elles disent du présent, mais surtout pour ce qu'elles révèlent de la succession. Qui Biya place-t-il en position de force ? Quels clans favorise-t-il ?
Jeune Afrique conclut que ce septième remaniement post-électoral représente bien plus qu'un simple ajustement technique. Il dira si Paul Biya, après quarante-trois ans de règne, est encore capable de lire son époque et de répondre aux attentes d'une population camerounaise de plus en plus impatiente.
Ou si, comme le craignent ses détracteurs, il se contentera une fois de plus de la "continuité" qui a marqué l'ensemble de son règne. Dans quelques jours, peut-être quelques semaines, le suspense sera levé. Mais selon l'analyse de Jeune Afrique, une certitude s'impose : quelle que soit la composition du nouveau gouvernement, les vrais détenteurs du pouvoir resteront les mêmes, dans l'ombre du palais présidentiel.









