Actualités of Tuesday, 30 September 2025
Source: www.camerounweb.com
Tapis rouge pour Pierre Castel et Aliko Dangote, porte close pour Célestin Tawamba et ses pairs. Une investigation exclusive de Jeune Afrique dévoile le deux poids deux mesures qui régit les relations entre la présidence camerounaise et le monde des affaires, au détriment des entrepreneurs locaux.
Les caméras de la télévision nationale en sont les témoins privilégiés. Quand un investisseur étranger de renom foule le sol du palais présidentiel, les médias d'État déploient tout l'arsenal du protocole républicain. Jeune Afrique a recensé ces audiences fastueuses qui contrastent cruellement avec l'inaccessibilité dont souffrent les patrons camerounais.
Décembre 2019 : Pierre Castel, le magnat français des boissons, est reçu en grande pompe par Paul Biya. "Force reportages télé", souligne avec amertume un ancien cadre d'organisation patronale interrogé par Jeune Afrique. Deux ans plus tard, en 2021, c'est au tour d'Aliko Dangote, l'homme le plus riche d'Afrique, de bénéficier du même traitement princier.
Ces audiences sont minutieusement orchestrées, largement médiatisées, et aboutissent souvent à des annonces d'investissements qui font la une des journaux. Pendant ce temps, révèle Jeune Afrique, les entrepreneurs camerounais multiplient les courriers "fréquemment déposés au palais d'Etoudi" sans jamais obtenir ne serait-ce qu'un accusé de réception présidentiel.
"Il n'a que faire des organisations patronales. Pourtant, il reçoit avec force reportages télé des investisseurs étrangers dans son palais", s'indigne auprès de Jeune Afrique cet ancien responsable patronal qui a vécu cette discrimination de l'intérieur.
1992-2025 : trente-trois ans sans audience patronale
Jeune Afrique a effectué un travail minutieux de recherche historique pour identifier la dernière fois qu'une délégation de patrons camerounais a franchi les portes du palais présidentiel. Le résultat est édifiant : il faut remonter à 1992, soit il y a trente-trois ans.
Cette année-là, le contexte était explosif. "Le pouvoir vacillait à la suite de la forte poussée démocratique mettant le pays en quasi-insurrection", rappelle Jeune Afrique. C'est dans cette configuration de crise que Paul Biya consentit enfin à recevoir des entrepreneurs locaux, menés par Victor Fotso, décrit par Jeune Afrique comme "son ami" et "acteur de premier plan de l'industrie et de la finance", décédé depuis en 2000.
Mais cette audience n'avait rien d'une concertation économique ordinaire. C'est à l'issue de cette rencontre que "les Camerounais apprirent la tenue de l'élection présidentielle en octobre de cette année-là", révèle Jeune Afrique. Les patrons servaient donc de faire-valoir à une annonce politique majeure, pas d'interlocuteurs économiques légitimes.
Depuis cette date, plus rien. Trente-trois années de silence présidentiel envers ceux qui constituent pourtant "le moteur de la croissance, de l'emploi et de la transformation structurelle", pour reprendre les termes utilisés par Célestin Tawamba dans son appel récent cité par Jeune Afrique.
Douala 2011 : des promesses qui n'engagent que ceux qui y croient
Un seul épisode fait exception dans ce désert de dialogue : 2011, à Douala, lors d'une étape de campagne électorale. Jeune Afrique a recueilli le témoignage d'un patron qui garde un souvenir amer de cette rencontre de façade.
Paul Biya avait effectivement accepté de recevoir les mouvements patronaux dans la capitale économique. "Il nous avait assuré avoir écouté nos doléances et que des réponses y seraient apportées", confie à Jeune Afrique ce chef d'entreprise, patron d'un groupe local membre du Gecam.
Mais quatorze ans plus tard, le bilan est sans appel : "Pour l'essentiel, nous les attendons toujours", ironise-t-il auprès de Jeune Afrique. Cette rencontre n'était qu'une opération de communication électorale, pas le début d'un véritable dialogue. Les promesses présidentielles se sont envolées sitôt le scrutin passé.
Jeune Afrique révèle ainsi que cette audience de Douala illustre parfaitement "la relation distante que le dirigeant camerounais, âgé de 92 ans et à la tête du pays depuis 1982, entretient avec les milieux d'affaires locaux." Distance qui se transforme en mépris quand on la compare au traitement réservé aux investisseurs étrangers.
Une génération d'entrepreneurs ignorée par le pouvoir
Célestin Tawamba, James Onobiono, Christophe Eken, Ekoko Mukete... Ces noms résonnent dans tout le tissu économique camerounais. Patrons de groupes locaux influents, présidents d'organisations patronales, créateurs d'emplois. Pourtant, Jeune Afrique révèle que Paul Biya "ne connaît pas la nouvelle génération d'entrepreneurs camerounais, pas plus qu'il ne fait d'effort pour se rapprocher d'eux."
Cette ignorance n'est pas involontaire. Elle relève d'un choix délibéré, comme l'a démontré l'épisode romain de 2017 que Jeune Afrique détaille dans son enquête. Lors de ce forum économique Cameroun-Italie, les patrons camerounais ont fait partie de la délégation officielle, mais ont été purement et simplement ignorés durant tout le séjour.
Un invité présent dans la suite présidentielle confie à Jeune Afrique : toutes ces figures du patronat local ont assisté en spectateurs à "une simple interlocution de quelques minutes du chef de l'État au patronat transalpin", sans jamais bénéficier eux-mêmes "ni de mot ni d'audience durant tout le séjour à Rome."
Cette nouvelle génération d'entrepreneurs, qui n'a connu que Paul Biya comme président, se retrouve ainsi dans une situation paradoxale : ils créent la richesse du pays, paient leurs impôts, génèrent des emplois, mais ne peuvent jamais discuter directement avec celui qui définit les grandes orientations économiques.
Les lignes 65 et 94 : quand l'État nourrit le soupçon
Si Paul Biya maintient cette distance avec le patronat local, ce n'est pas uniquement par désintérêt. Jeune Afrique révèle l'existence d'une méfiance réciproque, alimentée notamment par les fameuses "lignes 65 et 94 du budget."
Un analyste économique interrogé par Jeune Afrique explique que de nombreux patrons "ont très largement profité des largesses de l'État à travers" ces lignes budgétaires. Il s'agit de "ressources logées aux ministères des Finances et de l'Économie pour soutenir les entreprises", précise Jeune Afrique.
Le problème ? Cette manne financière distribuée de manière opaque a créé un système de dépendance et de clientélisme. Certains entrepreneurs "peinent à se mettre en conformité avec les exigences règlementaires ou fiscales", note Jeune Afrique citant le même analyste, "il y a de quoi se montrer quelque peu suspicieux."
Cette révélation de Jeune Afrique met en lumière un cercle vicieux : faute de dialogue institutionnalisé, certains patrons cherchent des arrangements via ces canaux budgétaires parallèles, ce qui renforce la méfiance présidentielle et justifie le maintien de la distance. Un système qui profite peut-être à quelques-uns, mais pénalise l'ensemble du secteur privé camerounais.
De Siaka à Tawamba : quand la CCIMA garde ses privilèges
L'histoire récente du patronat camerounais, telle que racontée par Jeune Afrique, révèle aussi pourquoi la relation avec la présidence reste figée. Tout commence avec André Siaka, patron des Brasseries du Cameroun (groupe Castel), qui prend la tête du Gicam en 1993.
Cet "ingénieur centralien", selon les termes de Jeune Afrique, transforme l'organisation : il la "camerounise" et "renforce sa présence et son rayonnement dans l'espace public." Résultat : "le palais d'Etoudi commence à intégrer André Siaka dans la délégation officielle accompagnant Paul Biya dans certaines de ses visites à l'étranger."
Un privilège considérable, mais Jeune Afrique révèle qu'il était "jusque-là uniquement réservé au patron de la Chambre de commerce, Christophe Eken, et avant lui son prédécesseur Claude Juimo Monthé." Autrement dit, même l'ouverture timide vers le Gicam n'a jamais vraiment remis en cause la suprématie de la CCIMA dans l'esprit présidentiel.
Aujourd'hui, Christophe Eken, "en poste depuis 2008", continue d'être "systématiquement érigé en porte-parole du secteur privé", rapporte Jeune Afrique. C'est lui qui "prononce le mot de bienvenue lors des sessions" des grandes rencontres gouvernement-secteur privé, que ce soit le Comité interministériel élargi au secteur privé (CIESP) ou le Cameroon Business Forum (CBF) lancé en 2010.
Cette situation crée "un entre-deux qui perdure aujourd'hui", conclut Jeune Afrique, "entretenu par un pouvoir décidé à limiter l'influence de la principale organisation patronale et de la sphère économique camerounaise."
Jeune Afrique ne cache pas non plus les faiblesses du patronat lui-même. "Le secteur privé doit redoubler d'efforts pour consolider une crédibilité si chèrement acquise", affirme un analyste cité par le magazine panafricain, "en faisant référence aux soubresauts ayant émaillé le passage du Gicam au Gecam."
Ces turbulences internes, que Jeune Afrique évoque sans les détailler, ont fourni au pouvoir un prétexte supplémentaire pour maintenir sa distance. Comment dialoguer avec un interlocuteur qui peine lui-même à affirmer sa légitimité et son unité ?
Mais Jeune Afrique révèle aussi un problème plus structurel : pendant longtemps, le Gicam est "demeuré un syndicat à la projection très limitée, essentiellement dominé par les filiales de multinationales et leurs dirigeants, français pour la plupart." Même si André Siaka a entamé la camerounisation dans les années 1990, l'image d'une organisation au service des intérêts franco-français persiste encore dans certains cercles du pouvoir.
2020 : la lettre de trop qui n'a jamais eu de réponse
L'épisode peut-être le plus révélateur de cette indifférence présidentielle envers le patronat local date de 2020. Jeune Afrique reconstitue cette affaire qui en dit long sur l'impossibilité du dialogue.
Célestin Tawamba, alors président du Gicam, se trouve en conflit ouvert avec Modeste Mopa Fatoing, le tout-puissant patron de l'administration fiscale, "à propos d'un contentieux fiscal impliquant les Brasseries du Cameroun (groupe Castel)", rapporte Jeune Afrique.
La tension monte. Tawamba décide de porter le dossier au plus haut niveau et adresse à Paul Biya "une violente charge contre" le directeur des impôts. Une lettre au président de la République, ce n'est pas anodin. C'est un acte fort, un appel direct au premier magistrat pour qu'il arbitre un conflit majeur touchant un groupe français puissant implanté au Cameroun.
Le verdict tombe, ou plutôt ne tombe pas. Jeune Afrique révèle que cette missive est tout simplement "restée sans réponse." Aucun accusé de réception, aucun arbitrage, aucune suite. Le silence absolu.
Cette révélation de Jeune Afrique est capitale : même quand un patron local s'adresse directement au chef de l'État pour un dossier sensible impliquant des intérêts français (donc potentiellement capable d'attirer l'attention présidentielle), la réponse est le néant. Un message clair envoyé au patronat : vous ne comptez pas.
Présidentielle 2025 : un appel voué à l'échec ?
À un mois et demi de l'élection présidentielle du 12 octobre 2025, Célestin Tawamba a lancé il y a quelques semaines "un appel pour un sursaut économique" aux candidats, dont Paul Biya. Dans ce texte cité par Jeune Afrique, le président du Gecam plaide pour que "les priorités des entreprises de toutes tailles et de tous secteurs d'activité" soient "prises en compte de manière concrète et ambitieuse."
Mais les patrons camerounais se font peu d'illusions. "Nous ne nous faisons pas d'illusions puisqu'il ne l'a jamais fait lors des sept campagnes précédentes", ironise auprès de Jeune Afrique le patron d'un groupe local membre du Gecam.
Cette résignation, Jeune Afrique la documente méthodiquement : sept campagnes électorales sans jamais qu'un candidat Paul Biya n'expose sa vision économique aux organisations patronales. Sept victoires électorales qui n'ont jamais donné lieu à un engagement programmatique face au secteur privé local.
La huitième campagne, celle de 2025, ne dérogera probablement pas à cette règle. "Les chances de voir le président sortant et candidat à un huitième mandat exposer sa vision économique pour les sept prochaines années au patronat sont quasi nulles", constate Jeune Afrique.
Pendant ce temps, les investisseurs étrangers continuent de défiler dans les salons dorés du palais d'Etoudi, sous l'œil des caméras. Un paradoxe camerounais que Jeune Afrique met en lumière : un pays qui célèbre ceux qui viennent investir de l'extérieur, mais ignore ceux qui créent la richesse de l'intérieur.