Jeune Afrique révèle la stratégie inédite de collecte massive de procès-verbaux mise en place par l'opposant pour asseoir sa légitimité face aux résultats officiels
Sept ans après la contestation avortée de Maurice Kamto, Issa Tchiroma Bakary a perfectionné la méthode. Selon des révélations exclusives de Jeune Afrique, le candidat du FSNC a déployé une stratégie sophistiquée de collecte de procès-verbaux directement à la sortie des bureaux de vote, tirant les enseignements de l'échec de son prédécesseur en 2018.
"Nous savions que, en 2018, Maurice Kamto s'était proclamé vainqueur comme nous mais sans disposer de suffisamment de PV comme base pour justifier une victoire chiffrée indiscutable. C'est pour cela que nous avons fait ce travail de collecte", confie à Jeune Afrique un proche de l'ancien ministre de la Communication.
Cette reconnaissance explicite d'une faille dans la stratégie de Kamto éclaire d'un jour nouveau la contestation actuelle. En 2018, le leader du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC) s'était proclamé vainqueur sans pouvoir produire de preuves documentaires massives pour étayer ses revendications. Une faiblesse que le pouvoir et la communauté internationale avaient exploitée pour légitimer la victoire de Paul Biya.
Jeune Afrique a pu établir que les équipes de Tchiroma Bakary ont orchestré une véritable opération de renseignement électoral. Grâce au soutien d'activistes de la société civile et de partis politiques alliés, le FSNC a mobilisé ses représentants pour récupérer le maximum de procès-verbaux directement à la sortie des bureaux de vote, avant qu'ils ne transitent par les différentes commissions de recensement.
L'objectif : constituer une base de données incontestable, à l'abri des "éventuelles fraudes ultérieures, intégrées ensuite par les commissions de recensement des votes successives", selon les termes utilisés par l'opposition auprès de Jeune Afrique.
Selon les informations exclusives obtenues par Jeune Afrique, les équipes d'Issa Tchiroma Bakary ne disposent certes pas de la totalité des procès-verbaux issus des 30 000 bureaux de vote que compte le Cameroun. "Mais ils affirment en détenir environ 70 à 80%, en s'étant concentrés sur les zones densément peuplées", révèle notre enquête.
Cette stratégie de ciblage géographique rappelle celle utilisée dans les scrutins américains, où remporter les États les plus peuplés peut suffire à gagner l'élection. En se concentrant sur les départements à forte densité démographique, Tchiroma Bakary a optimisé ses ressources humaines et financières limitées.
Jeune Afrique révèle que l'Union pour le changement (UPC), coalition soutenant Tchiroma Bakary, a mis ces procès-verbaux "à la disposition du public sur les réseaux sociaux et sur une plateforme dédiée". À partir de ces documents, l'UPC place son candidat en tête avec 62% des voix, un écart considérable avec les 35,19% que lui attribuent les résultats officiels.
Cette transparence numérique constitue une innovation majeure dans la contestation électorale africaine. Plutôt que de simplement dénoncer des fraudes, l'opposition produit des preuves documentaires accessibles à tous, transformant chaque citoyen en potentiel vérificateur des résultats.
Pour Issa Tchiroma Bakary, Jeune Afrique a pu le constater, "seuls ces PV – qui auraient été épargnés par d'éventuelles fraudes ultérieures – peuvent donner une idée précise de ce qu'il appelle la 'vérité des urnes'."
Cette notion de "vérité des urnes" opposée aux résultats officiels structure toute sa stratégie de contestation. "Nous publions la vérité et nous demandons désormais aux Camerounais et à la communauté internationale de la défendre", explique le proche de l'opposant dans ses propos recueillis par Jeune Afrique.
Cette stratégie explique pourquoi Issa Tchiroma Bakary n'a pas déposé de recours devant le Conseil constitutionnel, contrairement à Maurice Kamto en 2018. Selon les informations de Jeune Afrique, l'opposant "refuse de valider a priori les chiffres provisoires sur lesquels celui-ci statuera."
Un choix tactique audacieux qui rompt avec les pratiques habituelles. Plutôt que de légitimer une institution qu'il juge inféodée au pouvoir – le Conseil constitutionnel est dirigé par Clément Atangana, "décrit par l'opposition comme inféodé au RDPC" selon Jeune Afrique – Tchiroma Bakary préfère construire sa légitimité en dehors du système institutionnel.
Jeune Afrique rappelle qu'il y a sept ans, "la totalité des recours déposés par l'opposition avait été rejetée par le Conseil constitutionnel". Cette année, certaines demandes – celles de Joshua Osih et du Social Democratic Front (SDF) – ont même déjà été retirées avant d'être examinées, signe du peu d'espoir placé dans cette instance.
L'approche de Tchiroma Bakary représente donc une évolution stratégique majeure : au lieu de perdre du temps et de la crédibilité dans des recours voués à l'échec, il construit directement une légitimité populaire fondée sur des preuves documentaires accessibles à tous.
Jeune Afrique révèle que le candidat du FSNC "a multiplié, depuis le 12 octobre, les appels en ce sens, au peuple en son ensemble, comme aux forces de sécurité ou aux partenaires étrangers du Cameroun."
Cette stratégie de communication multidirectionnelle vise à créer une pression maximale sur le système institutionnel camerounais, en mobilisant simultanément l'opinion publique nationale, les forces de sécurité dont le ralliement pourrait être décisif, et la communauté internationale souvent réticente à remettre en cause les résultats officiels.
L'innovation stratégique de Tchiroma Bakary pourrait faire école en Afrique. En combinant collecte massive de preuves documentaires, transparence numérique et communication tous azimuts, l'opposant camerounais invente peut-être une nouvelle forme de contestation électorale, plus difficile à ignorer que les simples proclamations de victoire.
Comme le constate Jeune Afrique, cette approche permet à Tchiroma Bakary de revendiquer non seulement une victoire morale, mais une légitimité chiffrée et documentée. Reste à savoir si cette légitimité suffira à ébranler la "légalité institutionnelle" dont dispose Paul Biya, au pouvoir depuis 1982.
Les législatives de 2026 pourraient constituer le premier test de cette stratégie. Si l'opposition parvient à mobiliser massivement en s'appuyant sur cette "vérité des urnes" établie lors de la présidentielle, le paysage politique camerounais pourrait connaître une reconfiguration majeure.