L’élection d’Éric Gervais NDO à la tête du Conseil régional du Sud suscite des réflexions au sein de l’opinion publique. Longtemps considérée comme acquise aux barons du régime de Paul Biya, le Sud a totalement déjoué les plans du Comité central du RDPC qui a voulu imposer le très controversé Bikoro Alo’o Antoine. Ce séisme politique dans un bastion réputé imprenable est-il un simple accroc ou un signal politique majeur ?
C’est à cette question que tente de réponde Adrien Macaire Lemdja dans la réflexion dont la rédaction de CamerounWeb vous propose, ci-dessous, l’intégralité.
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RDPC ET FRONDE DU SUD : SIMPLE ACCROC OU SIGNAL POLITIQUE MAJEUR ?
Un séisme politique dans un bastion réputé imprenable.
La mise en place des exécutifs régionaux à l’issue des élections régionales a globalement confirmé les résultats attendus et donnant la majorité au Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC) sur l’échiquier politique national, puisque ces élections avaient lieu avant les municipales qui auraient pu modifier la donne au regard du scrutin présidentiel très disputé du 12 Octobre dernier.
Dans neuf régions sur dix, les consignes de la hiérarchie du parti, matérialisées par les fameuses listes transmises sous « pli fermé », ont été respectées sans résistance notable.
Mais dans la région du Sud, considérée depuis des décennies comme le « socle granitique » du RDPC et région natale du Président de la République, le scénario attendu a déraillé.
Refusant de valider une liste imposée d’en haut, les conseillers régionaux RDPC ont exigé un vote démocratique, conformément aux textes internes du parti.
À l’issue du scrutin, M. Éric Gervais NDO a été élu président du Conseil régional, reléguant M. Bikoro Alo’o Antoine, pourtant pressenti par la hiérarchie, au rang de battu.
Un simple incident de parcours ou le symptôme d’un malaise politique plus profond au sein du camp présidentiel ?
Les ressorts profonds d’une fronde inattendue.
L’épisode du Sud ne saurait être réduit à une querelle de personnes ou à une ambition contrariée. Il révèle avant tout une fatigue croissante du modèle de gouvernance partisane centralisée, fondé sur l’investiture descendante et la discipline quasi mécanique.
Pour de nombreux observateurs, la fronde des conseillers régionaux traduit une revendication de légitimité locale. « Les élus veulent désormais peser sur les choix qui engagent leur territoire.
Ils estiment que leur ancrage et leur proximité avec les populations leur confèrent une légitimité que les décisions prises à Yaoundé ne prennent pas toujours en compte », analyse un politologue de l’université de Yaoundé II.
Le modèle du « pli fermé », longtemps perçu comme un gage de cohésion et d’efficacité, apparaît aujourd’hui à bout de souffle, notamment dans un contexte de décentralisation accrue.
La discipline partisane, pilier du RDPC, se heurte à une réalité nouvelle : des élus de plus en plus conscients de leur poids politique et de leur capacité de nuisance.
Centre contre périphérie : une tension structurelle.
La crise du Sud met en lumière une tension récurrente entre le centre décisionnel et les dynamiques locales. Déjà, lors des municipales de 2020, des signaux faibles avaient émergé, notamment à Sangmélima et Bengbis. Dans la région de l’Est, un candidat non investi avait bravé les consignes avant d’être sanctionné par les urnes.
Le cas du Dja-et-Lobo, longtemps présenté comme « le cœur du réacteur » du parti, avait également alimenté les débats internes sur l’érosion de l’autorité des instances centrales. Avec la Mvila, cette défiance franchit un cap symbolique.
« Quand la contestation vient du cœur historique du pouvoir, elle prend une dimension nationale », souligne un cadre du RDPC, sous couvert d’anonymat.
Avis croisés : discipline ou démocratie interne ?
Les analyses divergent quant à l’interprétation de cet épisode.
Pour certains analystes électoraux, il s’agit d’un rappel salutaire des principes démocratiques : « Les textes du RDPC prévoient le vote lorsque le consensus n’est pas trouvé. Les conseillers n’ont fait qu’exercer un droit statutaire », estime un spécialiste des processus électoraux.
D’autres, en revanche, y voient une faille dangereuse. « Le RDPC a bâti sa longévité sur la discipline. Si chacun commence à interpréter les règles selon ses intérêts, le parti risque une fragmentation progressive », avertit un ancien ministre.
Entre ces deux lectures se dessine un dilemme central : comment concilier autorité partisane et aspiration démocratique sans fragiliser l’édifice ?
Les risques pour le camp présidentiel.
À court terme, le principal danger réside dans une contagion de l’indiscipline. Si l’exemple du Sud fait école, d’autres régions pourraient être tentées de contester les investitures lors des prochaines municipales et législatives prévues en 2026.
À moyen terme, le RDPC s’expose à :
• Une fragilisation de son discours d’unité et de cohésion ;
• Une multiplication de candidatures dissidentes ou indépendantes ;
• Une démobilisation de la base militante, lassée des arbitrages perçus comme injustes ou déconnectés du terrain.
Dans un contexte national déjà marqué par des tensions sociales, des contestations post-électorales et une attente fébrile autour d’un remaniement ministériel, le parti au pouvoir pouvait difficilement se permettre un tel coup de semonce interne.
Quelles options stratégiques pour le RDPC ?
Face à cette situation, plusieurs pistes s’imposent si le RDPC souhaite réduire l’onde de choc.
1. Réformer ou assouplir le processus d’investiture, en intégrant davantage les élus et les structures locales dans la prise de décision ;
2. Renforcer le dialogue interne, afin de canaliser frustrations et ambitions avant qu’elles ne dégénèrent en fronde ouverte ;
3. Valoriser la démocratie partisane sans renoncer à la discipline, en clarifiant les règles et leurs modalités d’application ;
4. Repositionner le parti autour d’un discours plus inclusif, capable de restaurer la confiance entre la base et la hiérarchie.
Un avertissement sans frais ?
L’épisode du Conseil régional du Sud apparaît comme un avertissement politique sérieux, mais encore réversible. Il rappelle que même les bastions réputés les plus solides ne sont pas à l’abri de secousses lorsque les équilibres internes se fissurent.
Pour le RDPC, l’enjeu dépasse largement la désignation d’un exécutif régional. Il s’agit de savoir si le parti saura s’adapter aux mutations politiques et sociologiques du Cameroun contemporain, ou s’il persistera dans un modèle qui montre des signes d’essoufflement.
La question reste ouverte : le RDPC choisira-t-il l’adaptation stratégique ou s’exposera-t-il à une érosion progressive de son pouvoir à l’approche des prochaines échéances électorales ?









