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Actualités of Wednesday, 8 June 2022

Source: www.bbc.com

Psychologie : comment l'auto-illusion nous amène à croire à nos propres mensonges

Les expériences sont souvent très complexes. Les expériences sont souvent très complexes.

Le secteur des médias regorge aujourd'hui de personnes qui ont vécu dans le mensonge. Il y a Elizabeth Holmes, l'entrepreneuse en biotechnologie, qui a été déclarée en 2015 la plus jeune et la plus riche femme milliardaire self-made. Elle risque aujourd'hui vingt ans de prison pour fraude.

Il y a ensuite Anna Sorokin, alias Anna Delvey, qui s'est fait passer pour une héritière allemande et a ensuite escroqué la haute société new-yorkaise de centaines de milliers de dollars. Et Shimon Hayut, alias Simon Leviev, le soi-disant escroc de Tinder.

Ce qui caractérise toutes ces personnes, ce ne sont pas seulement les mensonges qu'elles ont racontés aux autres, mais aussi les mensonges qu'elles ont dû se raconter à elles-mêmes.

Chacun d'entre elles pensait que ses actes étaient justifiables d'une manière ou d'une autre et, contre toute attente, qu'elle ne serait jamais démasquée.

À maintes reprises, elles ont semblé nier la réalité - et ont entraîné les autres dans leurs arnaques.

On pourrait espérer que ce type de comportement est un phénomène relativement rare, limité à quelques situations extrêmes. Mais l'auto-tromperie est incroyablement courante et pourrait avoir évolué pour apporter certains avantages personnels.

Nous nous mentons à nous-mêmes pour protéger l'image que nous avons de nous-mêmes, ce qui nous permet d'agir de manière immorale tout en gardant la conscience tranquille.

Selon les dernières recherches, l'auto-déception pourrait même avoir évolué pour nous aider à persuader les autres ; si nous commençons à croire à nos propres mensonges, il est beaucoup plus facile d'amener les autres à y croire aussi.

Cette recherche pourrait expliquer des comportements douteux dans de nombreux domaines de la vie - bien au-delà des cas d'escroquerie qui ont fait les gros titres des médias durant ces dernières années.

En comprenant les différents facteurs qui contribuent à l'auto-illusion, nous pouvons essayer de repérer les cas où elle peut influencer nos propres décisions et empêcher ces illusions de nous égarer.

Protéger l'ego

N'importe quel psychologue vous dira qu'étudier l'auto-illusion de manière scientifique est un véritable casse-tête.

Vous ne pouvez pas simplement demander à quelqu'un s'il se trompe lui-même, car cela se passe en dehors de la conscience.

Par conséquent, les expériences sont souvent très complexes.

Commençons par les recherches de Zoë Chance, professeure associée de marketing à l'université de Yale.

Dans une étude menée en 2011, elle montre que de nombreuses personnes se trompent inconsciemment sur elles-mêmes pour renforcer leur ego.

Un groupe de participants a été invité à passer un test de QI (le QI, ou quotient intellectuel, est le résultat d'un test psychométrique. Il donne une indication quantitative de l'intelligence d'un être humain), avec une liste de réponses imprimée en bas de la page.

Comme on pouvait s'y attendre, ces personnes ont obtenu des résultats considérablement meilleurs que ceux d'un groupe témoin qui n'avait pas la réponse.

Elles ne semblaient toutefois pas se rendre compte à quel point elles s'étaient fiées à l'"antisèche", puisqu'elles ont prédit qu'elles obtiendraient d'aussi bons résultats lors d'un second test comportant une centaine de questions supplémentaires, sans le corrigé.

D'une manière ou d'une autre, elles s'étaient trompées en pensant qu'elles connaissaient les solutions aux problèmes sans avoir besoin d'aide.

Pour s'assurer de cette conclusion, Chance a répété toute l'expérience avec un nouveau groupe de participants.

Cette fois-ci, cependant, les participants ont reçu une récompense financière pour avoir prédit avec exactitude leurs résultats au deuxième test ; tout excès de confiance serait sanctionné.

Si les participants étaient conscients de leur comportement, on pourrait s'attendre à ce que cette incitation réduise leur excès de confiance.

En réalité, cette incitation n'a guère eu d'effet sur la confiance en soi exagérée des participants ; ils se sont encore trompés en se croyant plus intelligents qu'ils ne l'étaient, même s'ils savaient qu'ils allaient perdre de l'argent.

Cela suggère que les croyances étaient authentiques et profondément ancrées - et étonnamment solides.

Il n'est pas difficile de voir comment cela pourrait s'appliquer dans la vie réelle. Un scientifique peut avoir le sentiment que ses résultats sont réels, malgré l'utilisation de données frauduleuses ; un étudiant peut croire qu'il a obtenu sa place dans une université prestigieuse, même s'il a triché à un examen.

La sincérité morale

Le recours à l'auto-tromperie pour améliorer l'image de soi a maintenant été observé dans de nombreux autres contextes.

Par exemple, Uri Gneezy, professeur d'économie à l'université de Californie à San Diego, a récemment montré qu'il pouvait nous aider à justifier d'éventuels conflits d'intérêts dans notre travail.

Dans une étude menée en 2020, Gneezy a demandé à des participants d'endosser le rôle de conseillers en investissement ou de clients.

Les conseillers se voyaient proposer deux opportunités différentes, chacune comportant des risques et des bénéfices.

Ils étaient également informés qu'ils recevraient une commission si le client optait pour l'un des deux investissements.

Dans une série d'essais, les conseillers ont été informés de cette récompense potentielle au tout début de l'expérience, avant qu'ils ne commencent à examiner les options.

Alors qu'ils choisissaient ostensiblement le meilleur choix pour le client, ils étaient beaucoup plus susceptibles d'opter pour le choix qui leur était favorable.

Dans les autres essais, cependant, les conseillers n'ont été informés de cette récompense potentielle qu'après avoir eu le temps de peser le pour et le contre de chaque option.

Peu d'entre eux ont choisi de laisser la récompense influencer leur décision ; ils sont restés fidèles à leur objectif, qui était de donner les meilleurs conseils au client.

Pour Gneezy, le fait que la connaissance des avantages personnels n'ait influencé la décision des participants que dans le premier scénario suggère que leur auto-illusion était inconsciente ; elle a modifié la façon dont ils calculaient les avantages et les risques sans qu'ils soient conscients du biais, de sorte qu'ils pouvaient avoir le sentiment d'agir encore dans l'intérêt des clients.

Dans le second scénario, il aurait fallu un changement complet d'avis, ce qui aurait été plus difficile à justifier pour eux-mêmes.

"Ils ne pouvaient tout simplement pas se convaincre qu'ils agiraient de manière éthique", dit-il.

De cette façon, l'auto-illusion est un moyen de protéger notre sens de la moralité, dit Gneezy.

"Cela signifie que nous pouvons continuer à nous considérer comme des gens bien", dit-il, même si nos actions semblent indiquer le contraire.

Cette forme d'auto-déception est peut-être plus pertinente pour les conseillers financiers, mais M. Gneezy pense qu'elle pourrait également être importante pour les soins de santé privés.

Malgré ses bonnes intentions, un médecin pourrait se tromper inconsciemment en pensant que le traitement le plus coûteux est le meilleur pour le patient, sans même se rendre compte de son auto-illusion, dit-il.

Se persuader soi-même, persuader les autres

La conséquence la plus surprenante de l'auto-tromperie concerne peut-être nos conversations avec les autres.

Selon cette théorie, l'auto-déception nous permet d'être plus confiants dans ce que nous disons, ce qui nous rend plus persuasifs.

Si vous essayez de vendre un produit douteux, par exemple, vous serez plus convaincant si vous pensez sincèrement qu'il s'agit d'une bonne affaire - même si des preuves suggèrent le contraire.

Cette hypothèse a été proposée pour la première fois il y a plusieurs dizaines d'années, et un article récent de Peter Schwardmann, professeur adjoint d'économie comportementale à l'université Carnegie Mellon (États-Unis), apporte des preuves solides de cette idée.

Comme l'étude de Chance, les premières expériences de Schwardmann ont commencé par un test de QI. Les participants n'ont pas reçu les résultats, mais une fois le test terminé, ils ont dû évaluer en privé la qualité de leurs résultats.

Ils ont ensuite passé un test de persuasion : ils devaient se présenter devant un jury d'employeurs fictifs et convaincre le panel de leurs prouesses intellectuelles - avec une récompense potentielle de 15 euros (16 dollars, 12,80 livres sterling) si les juges pensaient qu'ils étaient parmi les plus intelligents du groupe.

Certaines personnes ont été informées du travail de persuasion à faire avant d'évaluer leur confiance dans leur performance, tandis que d'autres ont été informées après.

Conformément à l'hypothèse, Schwardmann a constaté que cela modifiait l'évaluation de leurs capacités : le fait de savoir au préalable qu'ils allaient devoir convaincre d'autres personnes a entraîné un excès de confiance dans leurs capacités, par rapport à ceux qui n'avaient pas encore été informés.

La nécessité de persuader les autres les avait amenés à penser qu'ils étaient plus intelligents qu'ils ne l'étaient réellement.

Il décrit ce phénomène comme une sorte de "réflexe". Il est important de noter que les expériences de Schwardmann ont montré que la tromperie sur soi était payante : l'excès de confiance infondé augmentait en effet la capacité des personnes à persuader les employeurs fictifs.

Choisir son camp

M. Schwardmann a maintenant observé un processus similaire dans les concours de plaidoirie.

Lors de ces événements, les participants se voient proposer un sujet, puis attribuer au hasard un point de vue à défendre - avant de disposer de quinze minutes pour préparer leurs arguments.

Au cours du débat, ils sont ensuite jugés sur la façon dont ils présentent leurs arguments.

M. Schwardmann a testé les croyances personnelles des participants sur les sujets avant qu'on leur attribue leur position, après qu'ils ont commencé à formuler leurs arguments, et après le débat lui-même.

Conformément à l'idée selon laquelle l'auto-illusion a évolué pour nous aider à persuader les autres, il a constaté que les opinions personnelles des participants avaient considérablement changé après qu'on leur a dit quel côté du débat ils devraient défendre.

"Leurs convictions personnelles se sont orientées vers le côté qu'on leur avait indiqué quinze minutes auparavant, afin de s'aligner sur leurs objectifs de persuasion", explique M. Schwardmann.

Après le débat, les participants ont également eu la possibilité d'allouer de petites sommes d'argent à des œuvres de charité, choisies parmi une longue liste d'organisations potentielles.

M. Schwardmann a constaté qu'ils étaient beaucoup plus enclins à choisir des organisations qui s'alignaient sur la position de leur argument - même si elles avaient été choisies au hasard au départ.

Nombre de nos opinions peuvent avoir été formées de cette manière.

En politique, il se peut qu'un militant à qui l'on demande de s'exprimer sur un point particulier en vienne à se persuader que c'est la seule façon de voir les choses, non pas parce qu'il a soigneusement évalué les faits, mais simplement parce qu'on lui a demandé de présenter cet argument.

M. Schwardmann soupçonne d'ailleurs ce processus d'être à l'origine d'une grande partie de la polarisation politique que nous observons aujourd'hui.

La folie des grandeurs

De toute façon, notre cerveau peut nous faire croire des choses qui ne sont pas vraies. L'auto-illusion nous permet de gonfler l'opinion que nous avons de nos propres capacités, de sorte que nous nous croyons plus intelligents que tous ceux qui nous entourent.

Elle nous permet de négliger les répercussions de nos actions sur les autres, de sorte que nous croyons que nous agissons généralement de manière morale.

Et en nous trompant sur la véracité de nos croyances, nous faisons preuve d'une plus grande conviction dans nos opinions - ce qui peut nous aider à persuader les autres.

Nous ne pourrons jamais savoir ce qui se passait réellement dans l'esprit d'Elizabeth Holmes, d'Anna Sorokin, de Shimon Hayut et d'autres fraudeurs, mais il est facile de spéculer sur la façon dont certains de ces mécanismes ont pu entrer en jeu.

À tout le moins, ces escrocs semblent avoir eu une opinion anormalement élevée de leurs propres capacités et de leur droit d'obtenir ce qu'ils voulaient - et ils ont volontiers ignoré les implications éthiques potentielles de ce qu'ils faisaient.

Mme Holmes, en particulier, semble avoir cru en son produit, et a tenté de justifier son utilisation de données trompeuses. Malgré toutes les preuves du contraire, elle a déclaré lors de son procès que "les grandes entreprises de matériel médical comme Siemens pourraient facilement reproduire ce que nous avions fait". M. Hayut, quant à lui, continue d'affirmer qu'il est "le plus grand gentleman", qui n'a rien fait de mal.

M. Schwardmann admet qu'il est possible pour certains fraudeurs d'habiter des mensonges incroyablement élaborés. Il fait remarquer que certains montrent même une sorte de colère vertueuse lorsqu'ils sont interrogés, ce qui pourrait être difficile à simuler.

"C'est peut-être le signe qu'ils croient vraiment à leur propre mensonge", dit-il.

Il est révélateur que le désir de statut social semble accroître la tendance à l'autodérision. Lorsque les gens se sentent menacés par les autres, par exemple, ils sont plus susceptibles de gonfler la perception qu'ils ont de leurs propres capacités.

Il se peut que plus l'enjeu est important, plus les mensonges que nous sommes capables de nous raconter sont grands.

Le plus souvent, notre auto-illusion peut être bénigne - elle nous permet d'avoir un peu plus confiance en nous que de raison.

Mais il est toujours utile d'être conscient de ces tendances, surtout si nous prenons des décisions qui peuvent changer notre vie.

Vous ne voulez pas vous tromper sur les risques de faire des économies dans votre emploi actuel, ou sur les chances de succès d'un changement de carrière aventureux, par exemple.

Un bon moyen d'éliminer toutes sortes de préjugés est de "considérer le contraire" de vos conclusions. La technique est aussi simple qu'elle en a l'air : vous essayez de trouver toutes les raisons pour lesquelles votre conviction pourrait être fausse, comme si vous vous interrogiez vous-même.

De multiples études ont montré que cela nous amène à réfléchir de manière plus analytique à une situation. Dans les tests de laboratoire, ce raisonnement systématique s'avère bien plus efficace que de simplement dire aux gens de "penser rationnellement".

Cela n'est possible que si vous êtes capable d'accepter vos défauts, bien sûr. La première étape consiste à reconnaître le problème.

Peut-être pensez-vous que vous n'avez pas besoin de ce conseil ; l'aveuglement ne touche que les autres, alors que vous êtes parfaitement honnête avec vous-même.

Si c'est le cas, c'est peut-être votre plus grande illusion.

David Robson, écrivain scientifique, est l'auteur de "The Expectation Effect : How Your Mindset Can Transform Your Life", publié par Canongate (Royaume-Uni) et Henry Holt (États-Unis) début 2022.