Actualités of Wednesday, 13 August 2025

Source: www.camerounweb.com

Présidentielle camerounaise : l'opposition face au dilemme des "deux ministres", un cadeau pour Paul Biya

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Yaoundé, 14 août 2025 - L'opposition camerounaise se trouve dans une situation paradoxale qui pourrait faire le jeu du président sortant Paul Biya. Incapable de s'accorder sur un candidat consensuel face au chef de l'État nonagénaire, elle hésite désormais entre deux anciens ministres de ce même Paul Biya : Issa Tchiroma Bakary et Bello Bouba Maïgari. Un embarras du choix qui révèle les contradictions profondes d'une opposition en quête d'alternative crédible.


Issa Tchiroma Bakary, président du Front pour le Salut National du Cameroun (FSNC), et Bello Bouba Maïgari, patron de l'Union Nationale pour la Démocratie et le Progrès (UNDP), ont un point commun troublant : tous deux ont servi loyalement Paul Biya pendant des décennies avant de rejoindre les rangs de l'opposition.


Tchiroma, ancien ministre de la Communication puis des Arts et de la Culture, a longtemps été l'un des porte-parole les plus zélés du régime. Bouba Maïgari, quant à lui, a occupé de hautes fonctions gouvernementales et reste, selon de nombreux observateurs, dans une proximité assumée avec le pouvoir en place.

Cette situation crée un malaise palpable au sein de l'opposition. Comment crédibiliser un discours de rupture avec des hommes qui ont été, pendant des années, les artisans ou les complices du système qu'ils prétendent aujourd'hui combattre ?

"C'est le syndrome des convertis de la dernière heure", confie un militant de l'opposition sous couvert d'anonymat. "Comment faire confiance à ceux qui nous ont gouvernés hier pour nous promettre le changement demain ?"


Les récentes tentatives de coalition à Foumban puis à Yaoundé ont tourné au fiasco, révélant l'ampleur du problème. Réunis du 2 au 10 août, les leaders de l'opposition n'ont abouti qu'à un communiqué creux réaffirmant "la nécessité d'une candidature consensuelle" sans aucun mécanisme concret.


Les tensions ont culminé le 9 août lors de la réunion de Yaoundé, quand Issa Tchiroma Bakary a quitté la table des négociations, dénonçant un "double jeu" de certains participants. La proposition d'un vote à bulletin secret pour désigner le candidat unique a été perçue comme une manœuvre suspecte, certains soupçonnant même une infiltration du pouvoir dans ces discussions.

Paradoxalement, c'est Maurice Kamto, exclu de la course présidentielle, qui cristallise tous les espoirs et toutes les stratégies. Son soutien potentiel à l'un des candidats pourrait s'avérer décisif, mais l'ancien président du MRC reste dans l'expectative.


Tchiroma mise sur un ralliement du camp de "Douala-APC" (Alliance pour le changement), proche de Kamto, mais celui-ci reste divisé entre plusieurs options : soutien à Bouba Maïgari, ralliement à Tchiroma, ou boycott pur et simple.




Bello Bouba Maïgari entretient une relation particulière avec le pouvoir. Sa récente rencontre avec le ministre Henri Eyebe Ayissi a conforté son image de proximité avec la majorité. Lui-même revendique ne pas avoir "rompu le pacte" qui l'unit au chef de l'État.

Cette posture ambiguë explique la méfiance de certains opposants qui y voient une candidature de complaisance destinée à diviser l'opposition plutôt qu'à la rassembler. "En 1992 puis en 1997, il avait déjà fait le jeu de Paul Biya", rappellent ses détracteurs.

Cette fragmentation de l'opposition autour de deux anciens serviteurs du régime ressemble à un piège parfait pour Paul Biya. En laissant ses anciens ministres se disputer les suffrages d'opposition, le président sortant s'assure mécaniquement d'une victoire confortable.

"Paul Biya n'a même plus besoin de diviser pour régner, l'opposition se charge de le faire elle-même", analyse un observateur politique. "Avoir deux de ses anciens ministres comme principaux challengers, c'est le rêve de tout président sortant."


Les négociations se poursuivent pour tenter de constituer deux blocs distincts : d'un côté une alliance Bouba Maïgari-Akere Muna-Cabral Libii, de l'autre une coalition autour de Tchiroma avec l'espoir d'un ralliement de Kamto.
Mais cette bipolarisation de l'opposition autour de deux "hommes du sérail" interroge sur la capacité réelle de changement qu'elle peut porter. Comment convaincre les électeurs de la nécessité d'une alternance quand les alternatives proposées sont d'anciens cadres du système en place ?

À 92 ans, Paul Biya peut contempler avec satisfaction le spectacle offert par une opposition incapable de se renouveler et de proposer une vraie rupture. En face de lui, ce ne sont pas des révolutionnaires qui se dressent, mais ses propres anciens collaborateurs dans un combat fratricide.
Cette situation conforte la stratégie du président sortant qui peut se présenter comme le garant de la stabilité face à des opposants divisés et peu crédibles dans leur volonté de changement.

Au-delà des calculs tactiques et des ambitions personnelles, c'est la question de l'identité même de l'opposition camerounaise qui se pose. Entre la tentation du compromis avec d'anciens cadres du régime et l'exigence d'une rupture authentique, elle peine à tracer sa voie.

Joshua Osih du Social Democratic Front, remarquablement absent des discussions, incarne peut-être une autre voie, celle d'une opposition assumée qui refuse les compromissions avec l'ancien monde.

Mais en l'état actuel, l'embarras du choix entre Tchiroma et Bouba Maïgari ressemble davantage à un cadeau empoisonné qu'à une réelle opportunité d'alternance pour l'opposition camerounaise.