Actualités of Tuesday, 21 October 2025

Source: www.camerounweb.com

Présidentielle camerounaise : avec 35%, Tchiroma Bakary réalise un "score historique" que "le pouvoir lui-même lui reconnaît"

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Jeune Afrique révèle que même avec les chiffres officiels, l'opposant égale la performance de John Fru Ndi en 1992 et fait 2,5 fois mieux que Maurice Kamto en 2018


Au-delà de la bataille des chiffres entre résultats officiels et procès-verbaux de l'opposition, un fait demeure incontestable : Issa Tchiroma Bakary vient de réaliser une performance électorale historique au Cameroun. Selon une analyse exclusive de Jeune Afrique, même en s'en tenant aux résultats officiels qui lui attribuent 35,19% des suffrages, l'opposant a franchi un seuil symbolique majeur dans le paysage politique camerounais.


"Même si l'on prend en compte les chiffres officiels, Tchiroma Bakary est à 35%. C'est le score de John Fru Ndi en 1992 et c'est deux fois et demie celui de Maurice Kamto en 2018", révèle à Jeune Afrique un opposant proche du dossier électoral.


Cette comparaison historique est lourde de sens. En 1992, John Fru Ndi, leader du Social Democratic Front (SDF), avait réalisé la meilleure performance d'un opposant face à Paul Biya, dans une élection largement contestée mais qui avait marqué les esprits. Trente-trois ans plus tard, Issa Tchiroma Bakary égale cette performance, confirmant l'existence d'une vague de fond dans l'électorat camerounais.


Jeune Afrique a pu établir que le score officiel de Tchiroma Bakary (35,19%) représente exactement 2,5 fois celui obtenu par Maurice Kamto en 2018. Le leader du MRC avait alors recueilli environ 14% des suffrages selon les chiffres officiels, bien qu'il se soit proclamé vainqueur.


Cette progression spectaculaire témoigne d'une dynamique nouvelle dans l'opposition camerounaise. Là où Kamto avait cristallisé le vote contestataire dans quelques bastions urbains, Tchiroma Bakary semble avoir réussi à élargir la base électorale de l'opposition, notamment dans le Nord et le Littoral.


Dans une formule révélée par Jeune Afrique, un opposant va jusqu'à affirmer : "Dans le contexte camerounais, le pouvoir lui-même lui reconnaît une victoire." Cette déclaration paradoxale mérite d'être décryptée.


En attribuant officiellement 35,19% des voix à Tchiroma Bakary, soit 1 622 627 suffrages, le système électoral camerounais reconnaît implicitement qu'un tiers de l'électorat a voté contre Paul Biya. Un niveau de contestation jamais atteint depuis trois décennies, qui fragilise considérablement la légitimité du président sortant, même s'il conserve la majorité.


Jeune Afrique analyse cette situation comme un bras de fer entre deux formes de pouvoir. "Paul Biya dispose de la légalité institutionnelle, derrière laquelle se retranchent souvent la communauté internationale et même une partie de l'opposition. Ce sera encore davantage le cas lorsque le Conseil constitutionnel aura, sauf incroyable surprise, confirmé sa victoire. C'est tout l'avantage d'être un président sortant au pouvoir depuis 1982", résume un politologue camerounais dans des propos recueillis par Jeune Afrique.
Mais le chercheur poursuit avec une observation cruciale : "En face, Issa Tchiroma Bakary a réussi à avoir une forme de légitimité populaire. Il a mis un chiffre sur la vague qu'il a suscitée et qui était bien visible."


Selon les révélations de Jeune Afrique, cette "vague" dont parle le politologue ne relève pas de la simple impression. Les résultats détaillés région par région montrent que Tchiroma Bakary l'emporte dans le Littoral, poumon économique du pays, et dans l'Adamaoua, sa région d'origine. Il réalise également des scores significatifs dans l'Ouest et le Nord, deux régions traditionnellement contestataires.


Cette géographie électorale dessine les contours d'une opposition structurée, ancrée territorialement, capable de mobiliser massivement dans les zones urbaines et rurales. Une évolution majeure par rapport aux scrutins précédents où l'opposition restait cantonnée à quelques poches de résistance.


Jeune Afrique révèle que "selon plusieurs indiscrétions, l'annonce devrait être faite le 23 ou le 24" octobre par le Conseil constitutionnel, qui dispose jusqu'au 26 pour proclamer les résultats définitifs.


Ces résultats définitifs devraient confirmer la victoire de Paul Biya avec 53,66% des voix, soit 2 474 179 suffrages, selon les chiffres provisoires transmis par la Commission nationale de recensement des votes le 20 octobre. Le président sortant devancerait ainsi Issa Tchiroma Bakary de plus de 850 000 voix.

Jeune Afrique a pu constater que "avec un RDPC affaibli, beaucoup pensent déjà aux prochaines législatives, qui auront lieu en 2026." Cette projection vers le scrutin législatif témoigne d'une prise de conscience : même si Tchiroma Bakary n'accède pas à la présidence, sa performance électorale a durablement modifié les rapports de force.


Le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), parti au pouvoir depuis 1966 (d'abord sous le nom d'Union nationale camerounaise), pourrait pour la première fois de son histoire perdre sa majorité absolue à l'Assemblée nationale si l'opposition parvient à capitaliser sur cette dynamique.


Selon les informations de Jeune Afrique, "son fief de Garoua est très surveillé, comme Douala ou l'Ouest, dans l'éventualité d'une contestation par la rue." Cette mobilisation sécuritaire préventive témoigne de l'inquiétude des autorités face au potentiel de mobilisation de l'opposition.


Garoua, capitale du Nord et terre d'origine de Tchiroma Bakary, Douala, métropole économique où l'opposition a réalisé un score significatif, et l'Ouest, région historiquement contestataire, constituent les trois points névralgiques où pourrait s'exprimer la frustration des électeurs de l'opposant.


Jeune Afrique note que "la politique pourrait aussi reprendre ses droits" après cette phase post-électorale tendue. Avec un score historique de 35%, Tchiroma Bakary dispose désormais d'un poids politique considérable, qui pourrait le transformer en interlocuteur incontournable pour le pouvoir.


La question est de savoir si Paul Biya, fort de sa légalité institutionnelle, choisira la voie de la répression ou celle de la négociation avec une opposition qui peut désormais se prévaloir d'une légitimité populaire chiffrée. Le traitement réservé aux contestations dans les jours qui viennent donnera le ton pour les cinq prochaines années.


Au-delà du Cameroun, ce face-à-face entre légalité et légitimité observé par Jeune Afrique pourrait faire école sur le continent. Dans de nombreux pays africains, des opposants contesteront les résultats officiels en brandissant leurs propres décomptes. La manière dont le Cameroun gérera cette situation post-électorale inédite sera scrutée avec attention par les autres capitales africaines.


La performance historique de Tchiroma Bakary, reconnue même par les chiffres officiels, prouve qu'une opposition peut désormais franchir le seuil symbolique du tiers de l'électorat, créant ainsi une situation politique nouvelle où le vainqueur légal ne peut plus ignorer la légitimité populaire de son principal adversaire.