Actualités of Saturday, 4 October 2025
Source: www.camerounweb.com
Dans une interview sans langue de bois accordée à Jeune Afrique à quelques jours du scrutin du 12 octobre, le célèbre caricaturiste camerounais Nyemb Popoli livre son analyse sans filtre sur l'élection présidentielle et pointe les erreurs stratégiques de l'opposition face à Paul Biya.
À huit jours du scrutin présidentiel camerounais, le créateur du journal satirique Le Popoli ne croit pas à la surprise. Dans des confidences exclusives recueillies par Jeune Afrique, Nyemb Popoli dresse un portrait au vitriol de la scène politique camerounaise et explique pourquoi, selon lui, l'issue du scrutin ne fait aucun doute.
Interrogé par Jeune Afrique sur ses prévisions pour la présidentielle du 12 octobre, le caricaturiste ne mâche pas ses mots : "J'ai le sentiment que nous assistons à une pièce de théâtre : les dés sont pipés, et l'opposition n'arrive pas à s'organiser pour espérer conquérir le pouvoir."
Cette formule choc résume la vision désabusée d'un observateur privilégié de la vie politique camerounaise depuis plus de trois décennies. Pour Nyemb Popoli, le scénario est écrit d'avance, et l'opposition joue un rôle de figurant dans une mise en scène orchestrée par le pouvoir en place.
Dans ses révélations à Jeune Afrique, le patron du Popoli va plus loin et affirme qu'un départ de Paul Biya "serait une surprise". Une déclaration qui contraste avec l'effervescence médiatique autour de cette élection et qui témoigne du scepticisme ambiant dans les milieux journalistiques indépendants.
Les raisons de ce pessimisme ? Nyemb Popoli les explique en détail à Jeune Afrique : l'opposition reste "trop fragmentée et manque de stratégie". Un diagnostic sans appel qui pointe les failles béantes du camp adverse.
C'est sans doute la révélation la plus importante faite par Nyemb Popoli à Jeune Afrique : l'opposition aurait raté le rendez-vous historique en refusant de s'unir. "La meilleure approche aurait été une coalition. Pas forcément un candidat unique, mais au moins une candidature consensuelle, capable de rassembler et de réveiller même les plus sceptiques", analyse-t-il.
Cette stratégie, qui aurait pu changer la donne selon le caricaturiste, n'a jamais vu le jour. Résultat : une opposition éparpillée, incapable de mobiliser suffisamment pour inquiéter sérieusement le pouvoir en place.
Jeune Afrique révèle également que si Nyemb Popoli est connu pour ses caricatures acerbes contre le pouvoir, ses derniers dessins n'ont pas épargné l'opposition. Le 26 septembre, l'une de ses planches mettait en scène Maurice Kamto jetant un regard noir sur Issa Tchiroma Bakary et Bello Bouba Maïgari, représentés en train de se jeter des noms d'oiseaux en arrière-plan.
Cette caricature illustre parfaitement le diagnostic du dessinateur : une opposition plus occupée à régler ses querelles internes qu'à construire une alternative crédible. "S'il se moque plus volontiers du pouvoir que de ses adversaires", précise Jeune Afrique, le caricaturiste n'hésite pas à pointer du doigt les faiblesses du camp opposé à Paul Biya.
Les révélations de Nyemb Popoli à Jeune Afrique s'inscrivent dans un parcours marqué par la résistance. Né en 1968 dans le sud du Cameroun, l'ancien dessinateur du journal Combattant a lancé Le Popoli en 1993 avec Alain Christian Eyoum Ngangué, initialement en partenariat avec Le Messager.
Jeune Afrique révèle que le journal a collaboré avec d'autres titres satiriques africains, comme Le Journal du Jeudi au Burkina Faso ou plusieurs publications sénégalaises. Mais face aux pressions du pouvoir, Le Popoli s'est séparé du Messager en 2003 pour voler de ses propres ailes.
Dans ses confidences à Jeune Afrique, Nyemb Popoli évoque également ses tentatives avortées de diversification. Le caricaturiste a tenté de lancer, en vain, deux autres journaux : Le Moustique déchaîné et La Chauve-souris. Deux projets qui n'ont pas survécu dans l'environnement hostile de la presse camerounaise.
Ces échecs témoignent de la difficulté de maintenir une ligne éditoriale indépendante et critique dans un contexte de pressions multiples, qu'elles soient politiques ou économiques.
Jeune Afrique révèle les origines de la vocation satirique de Nyemb Popoli. "J'ai eu une révélation au lycée, quand mon grand frère m'a ramené un exemplaire du Canard enchaîné. Je suis devenu fan", confie-t-il.
"Ce journal m'a marqué parce qu'il offrait une lecture à la fois sérieuse et décalée, qui informait tout en amusant", poursuit-il dans son entretien avec Jeune Afrique. "J'étais fasciné de voir des personnalités comme François Mitterrand croquées dans ses pages. À l'époque, je rêvais même de dessiner pour le Canard enchaîné."
C'est de ce modèle français que naîtra Le Popoli, adapté au contexte camerounais. "Quand nous avons commencé à publier au Cameroun, mon idée était justement de reproduire un peu cet esprit", explique-t-il à Jeune Afrique.
Jeune Afrique rapporte que l'accueil du public a été immédiat dès le premier numéro. "Les lecteurs se bousculaient devant les kiosques pour acheter Le Popoli. Cet engouement nous a encouragés à continuer", se souvient le caricaturiste.
Trente-deux ans plus tard, malgré les suspensions, les pressions et les difficultés financières, Le Popoli continue de faire rire les Camerounais. Même si, comme le confie son créateur à Jeune Afrique, l'avenir de la liberté de la presse dans le pays reste incertain tant qu'un changement de régime n'interviendra pas.
Les révélations de Nyemb Popoli à Jeune Afrique interviennent à un moment crucial. Le scrutin du 12 octobre dira si le caricaturiste avait raison de parler de "pièce de théâtre" ou si l'opposition parviendra, contre toute attente, à créer la surprise.
Une chose est certaine : quelle que soit l'issue du vote, Le Popoli continuera de croquer les puissants avec son humour grinçant. Car comme le dit sa devise : "Rira bien qui lira le premier".