Actualités of Monday, 23 June 2025

Source: www.camerounweb.com

Présidentielle 2025 : quand la diaspora transforme Paris en tribunal politique

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La Brigade Anti-Sardinards impose son catéchisme démocratique aux candidats présidentiels : entre interrogatoire citoyen et mise à l'épreuve morale
Dans les salons feutrés de la diaspora camerounaise parisienne, le 22 juin 2025 restera comme une date marquante de la campagne présidentielle. Ce jour-là, Me Akere Muna, candidat du parti Univers, s'est retrouvé face à un jury improvisé mais redoutable : la Brigade Anti-Sardinards (BAS) France. Loin des meetings traditionnels et des discours convenus, cette rencontre a pris des allures d'examen de passage démocratique, révélant les nouveaux codes de la politique camerounaise à l'ère de la diaspora militante.

La Brigade Anti-Sardinards, née dans les rues de Douala et Yaoundé comme mouvement de contestation, a trouvé en France une seconde jeunesse. Loin de se contenter du rôle traditionnel d'opposant, elle s'érige désormais en "gardienne des consciences", s'octroyant le droit d'interroger et de juger les prétendants à la magistrature suprême.

Cette évolution n'est pas anodine. Elle témoigne de la maturité politique croissante de la diaspora camerounaise, qui refuse désormais d'être spectatrice des joutes électorales nationales. En transformant une simple rencontre avec Akere Muna en véritable tribunal citoyen, la BAS France redéfinit les règles du jeu politique camerounais.

L'organisation, qui compte plusieurs milliers d'adhérents en France, puise sa légitimité dans son histoire de résistance au régime Biya. Mais aujourd'hui, elle ambitionne de dépasser ce rôle pour devenir une force de proposition et de contrôle démocratique. Une ambition qui ne manque pas d'audace, mais qui reflète les aspirations d'une jeunesse camerounaise de l'extérieur en quête de changement.

Pour Me Akere Muna, cette rencontre parisienne constituait bien plus qu'un simple contact avec ses compatriotes de l'étranger. Face aux membres de la BAS, l'avocat de renom s'est retrouvé dans une situation inédite : celle de justifier non seulement son programme, mais surtout sa conception de la démocratie et de l'alternance politique.

Les questions posées par la BAS dépassent largement le cadre électoral classique. En demandant au candidat s'il serait "prêt à défendre, avec courage et loyauté, celui qui sera élu, pourvu qu'il ait été véritablement choisi par le peuple", l'organisation touche au cœur du problème démocratique camerounais : l'acceptation de la défaite électorale.

Cette interrogation révèle la méfiance profonde de la société civile envers une classe politique habituée aux contestations post-électorales et aux remises en cause systématiques des résultats. La BAS, en posant cette question, interpelle directement Akere Muna sur sa maturité démocratique et sa capacité à placer l'intérêt national au-dessus de ses ambitions personnelles.
Le défi de l'unité post-électorale
L'insistance de la BAS sur la notion de loyauté envers "l'élu du peuple" met en lumière l'une des principales faiblesses du système politique camerounais : l'incapacité des perdants d'élections à reconnaître leur défaite et à œuvrer pour l'unité nationale. Cette question, apparemment simple, cache en réalité un enjeu majeur pour l'avenir démocratique du pays.
En exigeant d'Akere Muna qu'il s'engage publiquement à soutenir son vainqueur potentiel, la BAS tente de rompre avec une tradition politique camerounaise marquée par les contestations systématiques et les crises post-électorales. Cette démarche, si elle était adoptée par l'ensemble des candidats, pourrait révolutionner la culture politique nationale.

L'approche de la BAS s'inspire manifestement des meilleures pratiques démocratiques internationales, où la reconnaissance de la défaite par les candidats malheureux constitue un pilier fondamental de la stabilité institutionnelle. En important cette exigence dans le débat politique camerounais, l'organisation contribue à élever le niveau du débat démocratique.

Cette rencontre parisienne illustre parfaitement la montée en puissance de la diaspora camerounaise comme acteur politique incontournable. Forte de ses moyens financiers, de son niveau d'éducation élevé et de sa connaissance des systèmes démocratiques occidentaux, elle s'impose progressivement comme un contre-pouvoir face aux élites politiques traditionnelles.

La capacité de la BAS à organiser une telle rencontre et à faire entendre sa voix témoigne de cette nouvelle donne. Les candidats à la présidentielle ne peuvent plus se contenter de courtiser les électeurs du territoire national ; ils doivent également convaincre une diaspora exigeante et politiquement mature.
Cette évolution transforme profondément les codes de la campagne présidentielle. Paris, Londres, Bruxelles deviennent des étapes obligées pour tout candidat sérieux, au même titre que Douala, Yaoundé ou Garoua. Une internationalisation de la politique camerounaise qui n'est pas sans conséquences sur les enjeux et les méthodes de gouvernance.

En qualifiant ses questions d'"épreuve de lucidité et de responsabilité", la BAS élève le débat au niveau des grands principes démocratiques. Cette démarche dépasse largement le cadre partisan pour toucher aux fondements mêmes de l'exercice du pouvoir dans une démocratie.

L'organisation semble vouloir établir une nouvelle norme : celle du candidat responsable, capable de dépasser ses ambitions personnelles pour servir l'intérêt général. Une exigence qui, si elle était généralisée, pourrait contribuer à assainir le climat politique camerounais.

Cette approche révèle également la sophistication croissante du discours de la société civile camerounaise. Loin des slogans simplistes, la BAS développe une réflexion politique nuancée qui force le respect, même de ses adversaires. Une maturité qui contraste avec les postures souvent caricaturales des acteurs politiques traditionnels.

Pour Akere Muna, répondre aux questions de la BAS constituait un exercice délicat. Accepter publiquement de soutenir un adversaire victorieux peut être perçu comme un signe de faiblesse ou de manque de conviction. Refuser, en revanche, l'exposerait aux critiques sur son attachement démocratique.
Cette situation illustre parfaitement les nouveaux défis auxquels font face les candidats à la présidentielle camerounaise. Ils ne peuvent plus se contenter de promettre monts et merveilles ; ils doivent également démontrer leur maturité démocratique et leur capacité à transcender les clivages partisans.
L'approche de la BAS force ainsi les candidats à sortir de leur zone de confort et à aborder des questions qu'ils préféreraient éviter. Une contribution positive au débat démocratique, même si elle peut parfois sembler intrusive ou moralisatrice.

L'initiative de la BAS s'inscrit dans une tendance plus large de démocratisation du contrôle citoyen. Les organisations de la société civile, tant au Cameroun qu'en diaspora, refusent désormais de laisser le monopole du débat politique aux seuls partis et candidats.
Cette évolution, observable dans de nombreux pays africains, témoigne d'une maturité démocratique croissante des sociétés civiles. Elle contribue à enrichir le débat public et à élever le niveau d'exigence envers les dirigeants politiques.
Pour le Cameroun, cette dynamique pourrait représenter un tournant majeur dans l'évolution de sa culture politique. Elle force les acteurs traditionnels à repenser leurs méthodes et leurs discours, contribuant ainsi à l'amélioration de la qualité du débat démocratique.

Malgré ses aspects positifs, l'initiative de la BAS soulève également des questions sur la légitimité de la diaspora à "examiner" les candidats nationaux. Cette démarche, aussi louable soit-elle, peut être perçue comme une forme d'ingérence externe dans les affaires politiques nationales.
Par ailleurs, le caractère quelque peu solennel et moralisateur de l'exercice peut nuire à sa crédibilité. La politique, même démocratique, reste un art du possible qui ne se résume pas toujours aux grands principes moraux. Une réalité que la BAS, dans son idéalisme militant, semble parfois oublier.
Ces limites n'enlèvent rien à la valeur de l'initiative, mais elles rappellent la nécessité de maintenir un équilibre entre exigence démocratique et pragmatisme politique. Un défi que devront relever tous les acteurs de la société civile camerounaise dans les années à venir.

Cette rencontre parisienne pourrait marquer un tournant dans la campagne présidentielle de 2025. Elle établit un précédent qui contraindra probablement les autres candidats à se plier au même exercice, sous peine de paraître fuir le débat démocratique.

L'initiative de la BAS pourrait ainsi contribuer à élever le niveau de la campagne, en forçant les candidats à aborder des questions de fond plutôt que de se contenter de promesses électorales classiques. Une évolution qui bénéficierait à l'ensemble du processus démocratique camerounais.

Reste à voir si cette démarche sera adoptée par d'autres organisations de la société civile et si elle parviendra à s'imposer comme une nouvelle norme du jeu politique camerounais. L'avenir le dira, mais le signal envoyé depuis Paris est déjà fort : la diaspora entend peser sur l'avenir politique de son pays d'origine.