Dans une lettre pastorale retentissante, Mgr Paul Lontsie-Keune invite les fidèles à "aider le Chef de l'État à prendre sa retraite"
Dans une prise de position d'une rare audace politique, l'évêque de Bafoussam, Monseigneur Paul Lontsie-Keune, vient de publier une lettre pastorale appelant explicitement à l'alternance démocratique au Cameroun. Ce message, intitulé "Le peuple murmure... nous nous interrogeons", constitue l'une des interventions les plus directes du clergé catholique dans le débat électoral camerounais.
Dans sa lettre pastorale datée du 30 juillet 2025, Mgr Lontsie-Keune dresse un constat sévère de la situation politique camerounaise. Reprenant la formule biblique "Le peuple murmure", l'évêque fait écho aux préoccupations grandissantes des Camerounais face à la perspective d'un nouveau mandat présidentiel.
"La clameur du peuple camerounais grandit (Jr. Ex 3,9) et est parvenue jusqu'à nous", écrit le prélat, établissant un parallèle biblique avec l'oppression du peuple d'Israël en Égypte. Cette référence théologique donne une dimension spirituelle à sa critique de la gouvernance actuelle.
L'aspect le plus saisissant de cette lettre pastorale réside dans l'appel explicite à voter contre le parti au pouvoir. "Sur un ton paternel, le prélat invite le peuple de Dieu à aider le Chef de l'État à prendre sa retraite en votant contre le RDPC le 12 octobre prochain", selon les termes utilisés par l'évêque.
Cette formulation, à la fois respectueuse et ferme, traduit la volonté du clergé de s'impliquer activement dans le processus démocratique tout en maintenant un langage mesuré. L'expression "aider le Chef de l'État à prendre sa retraite" révèle une approche diplomatique mais néanmoins claire dans ses intentions.
Au-delà de l'appel à l'alternance, Mgr Lontsie-Keune s'attaque aux dysfonctionnements du système électoral camerounais. Il dénonce notamment "les restrictions systématiques des libertés publiques", "les comportements d'intimidations et d'interdictions" et "une certaine fragilité démocratique".
L'évêque pointe particulièrement du doigt la gestion des candidatures à la présidentielle, notant que "83 candidatures ont été enregistrées" mais que beaucoup ont été écartées, soulevant des questions sur "la vitalité démocratique" du processus.
Dans un passage particulièrement significatif, l'autorité religieuse interpelle directement le Conseil Constitutionnel : "Nous en appelons à la verité et à la liberté de conscience des membres du Conseil Constitutionnel et à leur sens de responsabilité devant le peuple camerounais, devant l'histoire et devant Dieu, qui est le Juge suprême."
Cette intervention directe dans le processus judiciaire électoral marque une escalade dans l'engagement politique du clergé camerounais. L'évêque exhorte l'institution à "convoquer la justice et l'impartialité dans le cadre du traitement des requêtes des candidats écartés".
Mgr Lontsie-Keune justifie son intervention par des considérations théologiques profondes. Il proclame que "la paix durable se construit sur des fondations solides et fortifiées d'un véritable État de droit où règnent la justice et la vérité".
L'évêque établit un lien direct entre la foi chrétienne et l'engagement civique, affirmant que "l'alternance en démocratie est un très grand bien pour une nation car elle permet le renouvellement pacifique du pouvoir".
Une position qui fait écho aux préoccupations sociales
La lettre pastorale ne se limite pas aux aspects politiques mais aborde également les préoccupations socio-économiques des fidèles. L'évêque évoque "les débats passionnés portant sur la possibilité pour les uns et les autres de porter, selon les exigences de la loi, leur candidature pour briguer la magistrature suprême".
Cette approche globale témoigne d'une vision pastorale qui englobe les dimensions spirituelles, sociales et politiques de la vie des fidèles.
Cette prise de position de l'évêque de Bafoussam constitue un précédent remarquable dans l'histoire récente de l'Église catholique camerounaise. Rarement le clergé s'était exprimé de manière aussi directe sur les enjeux électoraux, préférant traditionnellement des approches plus nuancées.
L'engagement de Mgr Lontsie-Keune pourrait encourager d'autres autorités religieuses à s'exprimer plus ouvertement sur les questions de gouvernance et de démocratie.
Cette lettre pastorale risque de susciter des réactions importantes tant dans les milieux politiques que religieux. Elle positionne l'Église catholique comme un acteur direct du débat démocratique, ce qui pourrait redéfinir son rôle dans la société camerounaise.
L'appel explicite à l'alternance démocratique lancé par l'évêque de Bafoussam marque ainsi un tournant dans l'engagement politique du clergé camerounais, quelques mois avant un scrutin présidentiel qui s'annonce déjà comme l'un des plus disputés de l'histoire récente du pays.