Actualités of Wednesday, 11 June 2025

Source: Edouard Bokagné

Pouvoir: ce que Paul Biya pense de Maurice Kamto

Maurice Kamto et Paul Biya Maurice Kamto et Paul Biya

On sait à peu près ce que Maurice Kamto pense de Paul Biya. Il a souvent prononcé son nom. Il en a parlé. On possède de nombreux enregistrements qui sont d'ailleurs autant de contradictions. Mais l'inverse ?

Que pense Biya de lui ?

C'est assez complexe à imaginer : Biya ne parle pas souvent. Et parle très peu des gens. Peut- être est-ce un caractère. (Qui, pour un Bulu, est plutôt surprenant). Ou alors est-ce les silences présidentiels qu'il a érigés en méthode de gouvernement...

Est-ce intéressant - ou même utile - à imaginer ? Essayons de nous le figurer.
Il serait insensé de croire que Paul Biya n'ait pas d'opinion sur les êtres qui font l'actualité. Je l'ai entendu, lors d'un discours, (il parlait du covid-19), déclarer au sujet du port du masque : « il m'a été donné de constater »... Il sait donc observer.

L'une de ses prérogatives constitutionnelles est de nommer aux emplois civils et militaires. Il a littéralement créé Kamto administrativement : d'abord comme doyen de faculté ; puis, comme ministre délégué. Doyen, c'est usuellement sur la proposition du ministère de tutelle des universités. Il y a trop de décanats pour qu'il s'y intéresse particulièrement.

Son attention sur Kamto a été attirée par une allusion d'un autre professeur d'université qui était son conseiller des affaires économiques. Il possédait à ce moment sur sa table, un gros dossier: Bakassi, piloté par son ministre de la justice, Douala Moutoume. Kamto entre dans l'équipe dès les débuts à ce qu'on dit.
Kamto pour lui, à ce moment, (c'est ironique), n'est qu'un pion sur son échiquier. Bakassi comme dossier fut une affaire compliquée qu'il a manœuvrée. Les jujubards du MRC n'en voient que les contours juridiques. Ils ignorent même que ces contours puisaient aux sciences historiques, géographiques, à la diplomatie de l'IRIC et à la sociologie.

Et plus encore que c'était d'abord une affaire politique avec un soubassement militaire. Que Kamto n'était rien au déclic de la question à la Maison Blanche avec George Bush Junior et le vote camerounais au Conseil de Sécurité de l'ONU. Il n'était même pas là. C'est entre les membres permanents de ce conseil que la délégation des accords de Greentree qui nous restitue Bakassi est organisée.
Kamto, comme ministre, est intimement lié à cette commission dont il n'était absolument personne lorsqu'elle fut créée. L'idée de l'y insérer n'a rien à voir avec l'intention de le remercier. Son rôle s'avérait plutôt pratique et était centré sur ses lumières juridiques. Il était chargé de nos intérêts nationaux dans tout le processus de rétrocession.

Pourquoi lui et pas un autre membre de l'équipe juridique ? D'abord cette équipe n'avait pas beaucoup de Camerounais. Ensuite, ceux qui s'y trouvaient, soit avaient des engagements qui ne rendaient pas l'entrée au gouvernement attrayant, soit y avaient déjà siégé et occupé des postes beaucoup plus importants que ministre délégué et donc, se seraient sentis dévalorisés. Kamto, n'ayant pas mieux, ne pouvait pas refuser.

Il est fort possible que son caractère personnel ait joué. C'est d'un homme assez posé dont on avait besoin dans une chose à discuter et à partager. Voilà comment l'homme entre au gouvernement. Il y a eu son utilité. Il y a fait son temps. Il ne s'y est pas fait beaucoup d'amis. (Il ne s'en est même pas faits du tout).
Paul Biya l'a-t-il observé pendant ce temps ? Je le crois. Biya observe beaucoup. Et il voit tout. Il a vu la part qu'il a prise dans la constitution du suprémacisme bamiléké sur lequel le MRC est adossé. C'est important de savoir comment cette affaire est née. Cette histoire n'est pas seulement un parti. C'est d'abord une idée.

L'idée naît longtemps - très longtemps - avant Kamto. Elle est au départ une conscience de soi idéologique qui se cristallise au cours du maquis en pays bamiléké, aux années 1960- 1971. Le fief de cette conscience est au Moungo et son principal héraut est Mgr Dongmo, l'évêque de Nkongsamba.

Ce n'est pas en ces débuts du suprémacisme. Plutôt, la cristallisation du ressenti peut-être d'une exclusion ou d'une discrimination. C'était la guerre. Les Bamiléké en ont souffert. (Il faut reconnaître qu'ils ont aussi fait souffrir). Quoi qu'il en soit, bien après le maquis, cet idéal a prospéré : un peu à la manière du sionisme juif.

Le sionisme, (la grande idée de la domination de ce peuple dans sa nation), est intimement connecté au travail d'intellectuels juifs qui ont produit un fond de pensée orienté. Ç'a été la même chose de ce côté. Ce n'est pas la peine de faire la revue de littérature consacrée qui crée littéralement un hégémonisme bamiléké. Nous savons tous qu'elle existe et ce qu'elle a été.

Tous les Bamiléké n'en ont pas nécessairement pris connaissance. Et pour l'avoir fait, tous n'y ont pas forcément adhéré. Et même ceux qui s'y sont versés, ne l'ont ni fait de la même façon, ni pour les mêmes raisons. Quand le MRC se crée, au départ, il se veut une alternative crédible de l'opposition destinée à remplacer le SDF passablement usé.

Or depuis 1990, ce SDF avait été infesté, (entre autres mécontents), d'une frange importante de Bamiléké urbanisés. Spontanément, il sont devenus des recrues putatives du MRC. À partir de ce moment, la logique commandait que le leadership de ce parti fût bamiléké. L'intention étant de prendre le pouvoir, ce chef devint un personnage représentatif d'un construit idéologique.

Cette image propagandiste de Kamto a très certainement analysée dans les biais des services spécialisés. Il est indubitable que Paul Biya l'a. Il sait à quel moment elle s'est créée. Il a su quand Kamto fut contacté pour prendre la tête du MRC et comment il l'a été. Il connaît parfaitement le projet. Rien ne lui est caché.
Mais il n'en parle jamais. Pourquoi d'ailleurs en parler ? Pour quelqu'un comme lui qui a traversé le temps, vu et fait l'histoire, su de quoi le pouvoir est constitué ; pour lui qui voit dans le noir et qui, depuis si longtemps, tient tout le pays dans sa main ; pour lui qui sait qui est le vrai ennemi, qu'il soit à découvert ou caché ; pour Paul Biya, à dire vrai, Kamto est tout à fait insignifiant. Totalement.

Je me suis intéressé à son avis sur lui lors du vote de 2018. Vous serez étonnés : il l'a donné. Pas comme vous croyez. (Savez-vous écouter) ? Voici ce qu'il a dit, interrogé au sortir de l'isoloir : « je suis agréablement surpris de la maturité que les Camerounais ont manifestée » (et puis, son petit sourire ironique en coin), je souhaite qu'elle puisse continuer.

Il est remonté dans sa voiture et son cortège est reparti pour Étoudi. Son ironie fut justifiée. Tout était fini quand Kamto s'est réveillé. La suite, vous la connaissez : la bataille de Don Quichotte contre les moulins à vent. Du pipi dans le pantalon ici, les ânes montés de la Montée de l'Âne pour chercher un consensuel qu'on n'a jamais trouvé...

Le Monopoly (ou le njambo) de Survivole... La case Allez tout droit en prison... Les bobbi tanap et les sans caleçons... Les députés qu'on achète au marché... L'ironie du président était parfaitement justifiée. Il y a tout plein de ces drôleries : je ne peux pas toutes les citer.

Vous avez eu la toute dernière hier. On l'a emballé et ramené manu militari à Yaoundé. Il a défilé en triomphe et les siens crient qu'il a gagné. Biya ? Lui, ne dit rien. Il regarde seulement. On lui a dit que Kamto lui a offert sa protection. Il a dû hocher la tête.

Et il a ôté ses pieds de ses pantoufles et les a posés sur le tapis et dit à sa compagne... Sers-moi le reste de nnam ngon. Demain on va à Mvomeka. La femme a dit: oui, Massa.

Que pense Biya de Kamto ? J'en ai une (toute petite) idée : que ça va être particulièrement difficile qu'il soit encore son rival à une élection. Quand Biya voit une difficulté, ce sera difficile. Croyez-moi.