Actualités of Monday, 10 November 2025
Source: L'Indépendant n°980
Selon Aristote, « un dictateur est celui qui pour cueillir un fruit, coupe l’arbre ». Après la présidentielle d’octobre 1992 où le chef de l’État bat Fru Ndi d’une courte tête, le scrutin du 12 octobre dernier, a créé un séisme dans le landernau politique. Celui qui il y a quelques mois encore était le ministre du président sortant, a brillamment claqué la porte du gouvernement en surfant sur la vague des déçus du renouveau et un besoin pressant de tourner la page d’un pouvoir long de 43 ans.
Le choc créé par la disqualification de Maurice Kamto, les bulles puantes d’une corruption rampante et endémique, le pillage névrotique des biens publics qui laissent sur le bas de côté de la route ces masses laborieuses désabusées, ont contribué à saper les fondements du renouveau originel.
Une bande d’arrivistes s’engraissent de la misère du peuple en paradant et en étalant ostensiblement les biens volés comme une prime et l’éloge du vice au détriment de la vertu. Alors que ceux qui nous gouvernent sont tous issus du prolétariat urbain et rural, et ont été scolarisés grâce à la solidarité nationale en profitant de l’école comme un ascenseur social, si tôt aux affaires, ils ont brouillé toutes les règles du mérite républicain.
Ils ont foulé aux pieds le culte de l’effort et inversé l’échelle des valeurs. Le Cameroun a basculé brutalement dans une société de castes et de clans. Voyant le président être chaque jour enfermé dans sa tour d’ivoire, et déconnecté de son peuple par une garde prétorienne obnubilée par les ors, les lambris et les privilèges du pouvoir, le peule a rogné son frein. La récente élection présidentielle marque un tournant décisif dans le rejet d’une élite ventriloque et pantouflarde.
C’est un divorce lamentable entre gouvernants et gouvernés, du fait de longues années d’attentes et de promesses non tenues. Mettre toutes ces grognes post-électorales encore perceptibles sous le compte des « politiciens irresponsables » et se bomber le torse de faire régner l’ordre envers et contre tout, serait faire fausse route. Les larves couvent encore.
Le volcan pourrait exploser à tout moment. Les premiers actes du chef de l’État seront donc particulièrement scrutés. Il pourrait donner un signal fort par des mesures de décrispation à même de restaurer un nouveau contrat social. Au rang de ces mesures, figurent : la libération des prisonniers politiques issus des contestations électorales de 2018 et de 2025, une véritable lutte contre la corruption au-delà de quelques arrestations sélectives, la gestion équitable des fruits de la croissance, une redistribution des cartes gouvernementales, un mouvement de grande amplitude à la tête des entreprises publiques, une décentralisation avec un réel transfert des ressources vers les collectivités territoriales décentralisées, une réforme de la loi fondamentale et du code électoral et un devoir de redevabilité des élus et autres gouvernants à l’endroit des gouvernés.
La démocratie c’est la liberté de choisir ses gouvernants et de pouvoir tout aussi librement les révoquer. Lorsque le peuple se dit que les dés sont pipés, et que son vote compte pour du beurre, il y a fatalement cette montée de la violence et de la défiance. Issa Tchiroma n’y est donc pour rien. Il a tout simplement fait flèche de tout bois, se revêtant de la tunique du justicier et de redresseur de torts. Il a concentré à la fois les aspirations et les frustrations du peuple. Ces mots d’Etienne Lantier, le meneur de la grève dans Germinal d’Émile Zola, résonnent comme une piqûre de rappel : « La misère conduit le peuple à la révolution et la révolution conduit le peuple à la misère ».
Depuis les émeutes dites de la faim de 2008, les gouvernants ne semblent pas avoir pris la juste mesure de ce malaise généralisé. Le désespoir jeune, la relégation des femmes, l’exclusion de tous ces petits et autres sans grades dont le combat farouche dans les petits métiers de la débrouille justifie la résilience camerounaise, conforte l’arrogance d’une élite qui chaque jour, nous conduit à l’impasse.