Jeune Afrique révèle que le gouvernement veut que l'investisseur indien investisse dans la transformation de la bauxite en alumine pour compléter la chaîne de valeur
De la bauxite à l'aluminium, en passant par l'alumine : le gouvernement camerounais rêve d'une filière complètement intégrée. Jeune Afrique révèle en exclusivité que les autorités font pression sur Gagan Gupta pour qu'il investisse dans le segment manquant de cette chaîne de valeur. L'investisseur indien, déjà présent dans l'extraction et la logistique, pourrait devenir l'architecte d'une filière aluminium 100% camerounaise.
Selon des informations exclusives obtenues par Jeune Afrique, "la transformation de la bauxite en alumine constitue actuellement le chaînon manquant pour une intégration complète de notre filière industrielle", confie un haut responsable de la fonction publique camerounaise. Cette alumine sert ensuite de matière première à Alucam pour fabriquer des barres d'aluminium destinées à l'exportation et au marché local.
Actuellement, le Cameroun importe l'alumine nécessaire à Alucam, créant une dépendance extérieure coûteuse alors même que le pays s'apprête à exploiter ses propres gisements de bauxite à Minim-Martap, dans le nord du pays.
Jeune Afrique a pu établir que Gagan Gupta contrôle déjà, via ses différentes entités, plusieurs segments de la filière aluminium camerounaise. À travers Eagle Eye Asset Holding, véhicule d'Africa Minerals and Metals Processing Platform (A2MP), branche minière d'Equitane, l'investisseur indien détient depuis mai 2025 exactement 54% de l'australienne Canyon Resources qui exploite la bauxite de Minim-Martap.
Nos sources révèlent que Camalco, filiale de Canyon Resources, doit commencer l'exploitation du minerai dès l'année prochaine. Le minerai sera ensuite exporté via le futur terminal qu'Arise doit construire à Douala dans la zone logistique DDLP. Pour sécuriser cette chaîne logistique, Canyon Resources a même acquis 9,1% des parts de Camrail, garantissant le transport ferroviaire du minerai du nord vers le port de Douala.
Jeune Afrique révèle que face à cette omniprésence de Gagan Gupta dans la filière, "le gouvernement souhaite que le groupe investisse aussi dans ce segment" de transformation de la bauxite en alumine, "soit en créant une unité autonome, soit en aidant Alucam à s'y positionner", expose notre source gouvernementale.
Cette demande s'inscrit dans une logique d'optimisation : puisqu'Equitane est "présent, grâce à ses filiales, de part et d'autre de la chaîne de valeur", autant qu'il complète le puzzle en investissant dans le segment intermédiaire manquant.
Les informations exclusives recueillies par Jeune Afrique montrent qu'Alucam, active depuis 1957 au Cameroun, traverse une période critique. L'entreprise, détenue à 79,68% par l'État (les autres actionnaires étant l'AFD à 5,05% et la Société nationale d'investissement à 14,32%), a enregistré une perte de 52,2 milliards de F CFA en 2024.
Cette situation catastrophique découle d'un fonctionnement en sous-capacité depuis l'incendie de 2018 qui a endommagé une partie de ses cuves d'électrolyse. Jeune Afrique a appris qu'Alucam a longtemps imputé ce sinistre à Eneo, l'accusant de fournir une électricité de mauvaise qualité ayant provoqué le départ de feu.
Selon nos informations, la priorité pour Alucam consiste à remettre en état ses équipements pour atteindre la production de 100 000 tonnes annuelles d'aluminium attendue. Ce qui nécessite une recapitalisation dont le modèle n'a toujours pas été arrêté par le comité interministériel mis en place pour se pencher sur l'avenir du producteur.
Jeune Afrique révèle que les investissements d'extension de l'aluminerie "vont nécessiter la présence d'un partenaire stratégique". C'est dans ce contexte que le nom de Gagan Gupta revient avec insistance dans les discussions gouvernementales.
Jeune Afrique a tenté de joindre Arise pour connaître ses intentions sur ce dossier sensible, mais la société "n'a pas donné suite aux sollicitations". Ce silence peut s'interpréter de plusieurs façons : prudence face à un dossier politiquement sensible, négociations en cours avec les autorités, ou simple attente du bon moment pour dévoiler sa stratégie.
L'investisseur indien a probablement conscience que s'engager dans Alucam implique de prendre en charge un passif lourd et des investissements massifs. Mais cela lui offrirait aussi le contrôle complet d'une filière stratégique, de l'extraction de la bauxite à la production d'aluminium fini.
Au-delà d'Alucam, Jeune Afrique a pu confirmer que le secteur de l'aluminium camerounais connaît une recomposition profonde. Proalu, dernière née du groupe Prometal, doit entrer en activité dans quelques mois. Cette entreprise, spécialisée dans la fabrication de matériaux à base d'aluminium et de fer, viendra compléter l'offre en aval de la chaîne.
Avec le lancement de l'exploitation de Minim-Martap prévu en 2026, le Cameroun dispose de tous les ingrédients pour devenir un acteur majeur de la filière aluminium en Afrique centrale. Reste à savoir si Gagan Gupta acceptera de jouer le rôle d'intégrateur que lui propose le gouvernement.
Les révélations de Jeune Afrique mettent en lumière l'ambition camerounaise de créer une filière aluminium souveraine et totalement intégrée sur son territoire. Actuellement, le pays exporte de la bauxite brute et importe de l'alumine, perdant au passage une grande partie de la valeur ajoutée.
En convainquant Gagan Gupta d'investir dans la transformation de la bauxite en alumine, soit directement, soit en partenariat avec Alucam, Yaoundé pourrait boucler la boucle et capter l'ensemble de la valeur créée par cette filière stratégique.
Ce dossier constitue un test grandeur nature de la stratégie d'industrialisation du Cameroun. Le pays peut-il convaincre un investisseur privé étranger d'investir des centaines de millions de dollars dans une industrie lourde nécessitant une énergie abondante et fiable, alors même que les problèmes d'Alucam sont en partie liés à la qualité de l'électricité fournie par Eneo ?
Jeune Afrique a pu constater que malgré les sollicitations gouvernementales, aucune décision n'a encore été prise. Les prochains mois seront cruciaux pour déterminer si le Cameroun réussira à créer cette filière aluminium intégrée qui pourrait transformer son économie industrielle.