Actualités of Tuesday, 14 October 2025

Source: www.camerounweb.com

Les messages codés repérés dans le discours d'Issa Tchiroma

Issa Tchiroma a fait la sortie tant attendue par les Camerounais après l’élection présidentielle qu’il a très probablement gagnée. Alex Kamta, le chroniqueur décrypte le discours de celui qu’il appelle « le président élu », Issa Tchiroma Bakary. La rédaction de CamerounWeb relaie son décryptage.

1- un discours de rupture dans un climat de peur

Dans un Cameroun verrouillé depuis plus de quatre décennies par la peur, la censure et la confiscation du pouvoir, le discours d’Issa Tchiroma Bakary résonne comme un séisme politique. Calme mais tranchant, ferme mais rassembleur, ce texte prononcé à la veille d’un basculement historique rompt avec la rhétorique d’allégeance qui a longtemps figé la vie publique camerounaise.

Là où certains candidats se sont contentés de remercier le chef de l’État pour le climat apaisé du scrutin, Tchiroma, lui, remercie le peuple ; cette entité politique que le régime avait méthodiquement effacée du vocabulaire républicain. C’est plus qu’une victoire électorale : c’est une victoire lexicale.

2- La revanche morale du peuple camerounais

Le discours s’inscrit dans un moment inédit : celui d’un peuple qui a osé voter contre la peur. Les électeurs, frustrés par des décennies de promesses creuses, se sont mués en observateurs, scrutateurs, et garants de leurs propres voix. Quand Tchiroma parle de « courage », il ne flatte pas, il décrit une insurrection silencieuse, méthodique, citoyenne.

Ce ton du peuple qui se redresse tranche radicalement avec le paternalisme politique du RDPC, où chaque victoire est attribuée à « la magnanimité du chef ». Ici, l’auteur du changement, c’est la nation.

3- Une diplomatie intérieure : apaiser sans plier

Le président élu ne tombe pas dans le piège de la confrontation frontale. Face aux menaces du ministre de l’Administration territoriale, aux provocations des organes de propagande et à la militarisation des villes, il répond par un ton mesuré : « Je suis en sécurité et en santé ».

Cette phrase, sobre, est d’une puissance politique rare. Elle marque une résistance morale : le candidat du peuple n’est pas traqué ; c’est le système qui tremble.

4- L'appel à la République contre l'État

En saluant les forces de défense et de sécurité, Tchiroma réintroduit la distinction fondamentale entre l’État et la République. Il invite les militaires à se souvenir qu’ils servent une nation, pas un individu.

Dans un pays où la confusion entre fidélité politique et loyauté républicaine a entretenu la dictature, cette nuance devient révolutionnaire. Il ne dénonce pas les soldats : il les libère symboliquement de la peur d’obéir à l’injustice.

5- Le coup de fil manquant : symbole d'un duel d'histoire

Enfin, Tchiroma fixe les termes du duel : non pas un affrontement de partis, mais un test de grandeur. « Le peuple a choisi, et ce choix doit être respecté ».

En demandant un simple coup de fil de félicitations de Paul Biya, il offre au président sortant l’ultime chance d’entrer dans l’histoire par la porte de la dignité. Ce n’est pas un défi ; c’est une invitation à la postérité.

6- En guise de conclusion : la République contre la peur

Dans un pays où chaque élection se terminait par une « victoire écrite d’avance », Issa Tchiroma Bakary a renversé la grammaire du pouvoir : désormais, ce sont les procès-verbaux du peuple qui écrivent l’histoire, et non les communiqués du RDPC lus par le Conseil constitutionnel.

Son discours n’est pas celui d’un homme enivré par le succès, mais celui d’un président conscient que la transition ne se fera pas seulement dans les urnes, elle se fera dans les consciences.

Le Cameroun vient d’ouvrir un nouveau chapitre : celui où la parole présidentielle ne descend plus du palais d’Etoudi, mais vient du peuple.