Actualités of Wednesday, 5 November 2025
Source: www.camerounweb.com
Des conseillers présidentiels transformés en soldats du web
Dans les arcanes du pouvoir camerounais, une nouvelle forme de communication politique s'est imposée. Jeune Afrique révèle comment les plus hauts conseillers de la présidence se sont mués en activistes numériques pour contrer l'opposition d'Issa Tchiroma Bakary.
Charles Atangana Manda incarne cette mutation. Conseiller auprès du directeur du cabinet civil de Paul Biya, Samuel Mvondo Ayolo, il ne se contente plus de la diplomatie feutrée des palais. Selon les informations exclusives obtenues par Jeune Afrique, Manda pilote désormais une véritable cellule de riposte numérique, inondant les « boucles WhatsApp » de messages en majuscule, reprenant les éléments de langage des activistes pro-Biya.
« Le Cameroun s'est réveillé ce matin comme à l'accoutumée, sous l'intense activité de ses vaillantes populations ! » martèle-t-il dans ces groupes de discussion devenus champs de bataille. Une stratégie qui marque un tournant : pour la première fois, des officiels de ce rang s'affichent ouvertement comme combattants de première ligne dans la guerre de l'information.
Jeune Afrique a pu documenter la stratégie déployée par le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC). Le parti au pouvoir, longtemps critiqué pour son retard dans la bataille numérique, a manifestement tiré les leçons des crises précédentes.
Jacques Fame Ndongo, ministre et secrétaire général à la communication du RDPC, coordonne cette riposte. Son objectif, révèle Jeune Afrique : dénoncer systématiquement les « fake news » de l'opposition et imposer un contre-récit en temps réel. « Un flux d'informations mensongères susceptibles de désorienter l'opinion publique », martèle le communiqué du parti, obtenu par nos soins.
Cette doctrine repose sur un réseau d'« activistes-journalistes », figures hybrides du journalisme et de la communication politique. Raoul Christophe Bia et Bruno Bidjang, officiellement reporters mais proches des cercles du pouvoir selon nos informations, inondent Facebook de contenus pro-régime. « À Bata Nlongkak, ça vit fort avec les bouchons », « À Bafoussam, mes beaux sont versés dehors aujourd'hui, on dirait un défilé du 20 mai » : leurs publications visent à démontrer que le pays fonctionne normalement.
Jeune Afrique révèle une tactique inédite : le RDPC pratique désormais ce qu'on pourrait appeler du « fact-checking inversé ». Face à la vidéo d'une boutique incendiée, diffusée par Paul Chouta et présentée comme la sanction d'un commerçant n'ayant pas respecté la « ville morte », Bia rétorque qu'il s'agit « d'un problème d'électricité ». Le tout ponctué de moqueries : « Bande de mentairs ! »
Cette guerre de vérifications croisées crée un brouillard informationnel que Jeune Afrique a pu constater sur le terrain numérique : chaque camp produit ses « preuves », chaque image est contestée, chaque chiffre démenti. Boris Bertolt affirme un taux de suivi des villes mortes à « 78 % sur l'ensemble du territoire national ». Le RDPC rétorque que « toutes les villes camerounaises sont mortes… de rire ce matin ».
L'enquête de Jeune Afrique met en lumière le rôle central de WhatsApp dans cette stratégie. Contrairement à Facebook ou X, plus visibles et contrôlables, les « boucles WhatsApp » permettent une diffusion virale et ciblée, difficile à tracer et à contrer.
Ces groupes de discussion sont devenus le canal privilégié pour toucher les relais d'opinion, les leaders communautaires et les militants de base. Charles Atangana Manda y déploie une communication directe, sans filtre éditorial, créant une proximité inédite entre le sommet de l'État et les sympathisants du régime.
Cette mutation témoigne d'une professionnalisation de la communication présidentielle camerounaise, qui mise désormais sur la réactivité et l'omniprésence numérique plutôt que sur les canaux traditionnels. Un changement de doctrine que Jeune Afrique est le premier média à documenter dans ses détails opérationnels.