Actualités of Wednesday, 16 July 2025

Source: www.camerounweb.com

Le ciel tombe sur la tête de Cavaye Yeguie Djibril

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Cameroun : Intronisation du président de l'Assemblée nationale comme chef traditionnel - Une controverse qui révèle les dérives institutionnelles
Jean Michel Nintcheu dénonce une "désacralisation" des institutions républicaines après la cérémonie organisée au Palais des Verres Paul Biya


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Une cérémonie d'intronisation organisée dans l'enceinte de l'Assemblée nationale camerounaise enflamme le débat politique. L'élévation de Cavaye Yeguie Djibril au rang de chef traditionnel de 1er degré suscite l'indignation de l'opposition qui y voit une violation des principes républicains.

Le 14 juillet 2025, l'Assemblée nationale camerounaise a été le théâtre d'une cérémonie qui divise. Cavaye Yeguie Djibril, président de l'Assemblée nationale depuis plus de trois décennies, a reçu des mains du ministre de l'Administration territoriale Paul Atanga Nji l'acte présidentiel qui l'élève au rang de chef traditionnel de 1er degré de la chefferie de MADA, qu'il dirige depuis 54 ans.

Cette élévation, présentée par le ministère de l'Administration territoriale (Minat) comme "une reconnaissance nationale" pour ses "bons et loyaux services rendus à l'État et à la Nation", s'est déroulée dans la salle des banquets du palais des Verres Paul Biya. Le communiqué officiel souligne notamment sa contribution "à la promotion de la paix, du développement local" et "à la préservation des traditions, us et coutumes de l'ensemble des populations de l'arrondissement de Tokombéré, département du Mayo Sava".
Cavaye Yeguie Djibril, qui occupe également la fonction de président d'honneur du Conseil national des chefs traditionnels du Cameroun, voit ainsi reconnu officiellement son statut de Lamido de Mada, conjuguant pouvoir politique moderne et autorité traditionnelle.

Cette cérémonie a provoqué une vive réaction du député Jean Michel Nintcheu (SDF), qui dans une déclaration publique intitulée "Halte à la désacralisation des institutions républicaines", dénonce une violation des principes fondamentaux de la République.

"L'Assemblée nationale est le lieu où siègent les députés qui représentent la nation. C'est par conséquent une institution du peuple", martèle le député de l'opposition. Il s'interroge sur la légitimité d'utiliser cette institution pour "servir de cadre d'intronisation d'un chef traditionnel", estimant que cette cérémonie "pouvait se faire dans son domicile ou dans le village dont il est le chef traditionnel".
Un débat sur la laïcité des institutions
La critique de Jean Michel Nintcheu soulève des questions fondamentales sur la séparation entre pouvoir républicain et autorité traditionnelle. Le député dénonce particulièrement la présence du ministre Paul Atanga Nji lors de cette cérémonie, s'interrogeant sur sa compréhension des principes républicains.
"Cette violation des locaux de l'Assemblée nationale est indigeste, inadmissible et inacceptable", déclare-t-il, qualifiant l'événement d'atteinte à la sacralité des institutions d'État.

Le député Nintcheu élargit sa critique à d'autres pratiques qu'il juge contraires aux principes républicains. Il épingle notamment Ferdinand Ngoh Ngoh, secrétaire général de la présidence, qui a récemment reçu au Palais de l'unité des jeunes venus offrir une contribution financière au candidat du RDPC pour la campagne présidentielle.

"Les institutions républicaines ne sauraient être utilisées à des fins partisanes et clivantes", insiste-t-il, appelant à ce que "la République soit au-dessus de tous les camerounais, sans exception".


Cette controverse illustre les défis du Cameroun dans la gestion du dualisme entre institutions républicaines et autorités traditionnelles. Le pays reconnaît officiellement les chefferies traditionnelles, qui jouent un rôle important dans la gouvernance locale et la préservation culturelle.
Cependant, la superposition des fonctions - Cavaye Yeguie Djibril étant à la fois président de l'Assemblée nationale et chef traditionnel - soulève des questions sur la compatibilité entre ces deux types d'autorité et leurs impacts sur la gouvernance démocratique.

Au-delà de la controverse, cette cérémonie révèle les enjeux de pouvoir au Cameroun. La reconnaissance officielle du statut traditionnel de Cavaye Yeguie Djibril peut être interprétée comme un renforcement de sa position dans l'architecture du pouvoir, particulièrement dans un contexte électoral.
Pour Jean Michel Nintcheu, ces "agissements démentiels" ne seraient que "le chant de cygne" d'un système qu'il qualifie de "dérive monarchique des institutions". Il appelle à "mettre fin à ce spectacle grotesque et répugnant en République".
Cette controverse s'inscrit dans un débat plus large sur la modernisation des institutions camerounaises et l'équilibre entre respect des traditions et principes républicains, questionnant la cohérence du système politique du pays à l'approche de l'élection présidentielle d'octobre 2025.