Dans son nouvel essai, le journaliste sénégalais Ousmane Ndiaye utilise le Cameroun de Paul Biya pour illustrer sa thèse sur les pseudo-démocraties africaines, où les institutions existent mais ne remplissent pas leur fonction démocratique.
À quelques mois de la présidentielle camerounaise d'octobre, le pays se retrouve sous les feux de la critique internationale. Dans un entretien accordé à Jeune Afrique, le journaliste et analyste politique sénégalais Ousmane Ndiaye a choisi le Cameroun comme illustration parfaite de ce qu'il appelle les "fictions démocratiques" africaines.
"Le Cameroun est un exemple typique de fiction démocratique", affirme sans détour Ousmane Ndiaye, auteur de L'Afrique contre la démocratie – Mythes, déni et péril (Rive neuve – 2025). Pour étayer sa démonstration, il dresse un inventaire critique des institutions camerounaises.
"Il y a un Sénat, il y a une commission nationale électorale indépendante, qui n'est surtout pas indépendante, il y a un Parlement, qui n'est surtout pas un contre-pouvoir ni une instance de contrôle du pouvoir", énumère-t-il, pointant du doigt l'écart entre l'apparence institutionnelle et la réalité du fonctionnement politique.
La personnification du pouvoir sous les "atours de la démocratie"
L'analyse de Ndiaye va au cœur du système camerounais actuel. Il dénonce "une sorte de personnification du pouvoir par un seul homme avec les atours d'une démocratie", une description qui résonne particulièrement avec la situation de Paul Biya, au pouvoir depuis 1982 et candidat à un huitième mandat.
Cette critique intervient dans un contexte où les récents développements autour de la candidature de Maurice Kamto semblent confirmer les dysfonctionnements institutionnels évoqués par l'analyste. L'invalidation controversée du principal opposant par Elecam, pour "pluralité de candidatures" au sein du Manidem, illustre concrètement les limites de l'indépendance des institutions électorales.
L'essai d'Ousmane Ndiaye s'attaque plus largement aux tenants du "relativisme démocratique" qui estiment que la démocratie ne serait pas applicable aux pays africains car trop occidentale. Contre cette vision, il développe une critique des fondements historiques de ces "fictions démocratiques", dont il fait remonter l'origine à la période coloniale.
Le journaliste sénégalais n'épargne pas non plus les "opposants historiques" comme Alpha Condé ou Laurent Gbagbo, coupables selon lui d'avoir "tué l'espoir démocratique en ne mettant pas en place un régime réellement démocratique" une fois arrivés au pouvoir.
Plus préoccupant encore, Ndiaye étend sa critique aux oppositions contemporaines : "Quand, dans l'opposition, dans son propre parti, on n'a pas une gouvernance et une pratique démocratique, quand on arrive au pouvoir, on ne l'aura pas."
Cette observation résonne particulièrement avec la situation camerounaise actuelle, où les révélations sur le "marché" des investitures politiques et l'isolement de Maurice Kamto face à ses difficultés illustrent les dysfonctionnements internes de l'opposition.
L'analyse d'Ousmane Ndiaye arrive à un moment charnière pour le Cameroun. Alors que le pays s'apprête à organiser sa présidentielle d'octobre, les événements récents - invalidation de candidatures, soupçons de manipulation, commerce des étiquettes partisanes - semblent valider sa thèse sur les "fictions démocratiques".
Le diagnostic du journaliste sénégalais pose une question fondamentale : comment sortir de ces simulacres institutionnels pour construire une véritable démocratie ? Pour le Cameroun, qui s'apprête à vivre sa énième élection présidentielle sous Paul Biya, cette interrogation prend une acuité particulière.
Derrière ses formules choc comme "Plus on vote, plus on s'éloigne de la démocratie", Ousmane Ndiaye invite à une réflexion profonde sur la qualité des processus démocratiques africains. Le cas camerounais, avec ses institutions formellement démocratiques mais fonctionnellement défaillantes, offre un terrain d'illustration privilégié pour cette analyse critique.