Actualités of Monday, 27 October 2025
Source: www.camerounweb.com
La localité de Mandjou, dans le département du Lom-et-Djerem (région de l'Est), a basculé dans la violence ce lundi après l'annonce de la victoire de Paul Biya. Véhicules officiels incendiés, sous-préfecture en flammes : la contestation post-électorale prend une tournure inquiétante.
Au lendemain de la proclamation officielle des résultats par le Conseil constitutionnel, Mandjou est devenue le symbole de la contestation violente qui menace le Cameroun. Des partisans d'Issa Tchiroma Bakary, refusant d'accepter ce qu'ils qualifient de résultats "tronqués", ont transformé cette ville de l'Est en théâtre d'affrontements.
Le bilan matériel est lourd : un car de police et un véhicule des sapeurs-pompiers ont été réduits en cendres par les manifestants en colère. Mais c'est l'incendie des locaux de la sous-préfecture qui marque un tournant symbolique inquiétant. S'en prendre aux symboles de l'autorité de l'État témoigne d'un niveau de radicalisation rarement atteint lors des précédentes crises post-électorales au Cameroun.
Si Mandjou s'enflamme, ce n'est probablement pas un hasard. La ville se situe dans la région de l'Est, où Paul Biya a officiellement obtenu 73,88% des voix selon le Conseil constitutionnel. Pourtant, la violence de la contestation suggère que ces chiffres ne reflètent peut-être pas l'opinion d'une partie significative de la population locale, ou du moins d'une frange déterminée à ne pas les accepter.
Le département du Lom-et-Djerem pourrait constituer une poche de résistance dans une région traditionnellement favorable au président sortant. Cette configuration géographique rend la situation d'autant plus explosive : les partisans de Tchiroma Bakary s'estiment doublement lésés, à la fois au niveau national et dans leur propre circonscription.
Face à la dégradation rapide de la situation, les autorités ont tenté une approche en deux temps. Le préfet du Lom-et-Djerem s'est personnellement déplacé à Mandjou pour tenter d'apaiser les tensions et ouvrir un dialogue avec les manifestants. Une initiative courageuse, mais qui s'est soldée par un échec cuisant.
Devant l'impossibilité de ramener le calme par la négociation, les forces de sécurité, renforcées par un détachement militaire, ont été déployées massivement. C'est finalement la présence militaire qui a permis de disperser les attroupements et d'instaurer un "calme relatif" dans la localité.
Ce "calme relatif" est en réalité un silence sous contrainte, maintenu par la force des armes. Une situation fragile qui pourrait se détériorer à nouveau à tout moment.
Les événements de Mandjou ne sont probablement que le début d'une vague de contestations qui pourrait déferler sur l'ensemble du pays. Issa Tchiroma Bakary a annoncé une stratégie de mobilisation "de la rue aux tribunaux". Même si l'article 50 de la Constitution ferme la porte aux recours juridiques, la rue, elle, reste ouverte.
Des manifestations sont attendues dans d'autres bastions de l'opposition : Douala, la capitale économique où Tchiroma aurait obtenu plus de 64% selon ses chiffres, Garoua dans le Nord, et l'ensemble de la région de l'Ouest. Si chacune de ces villes connaît le même niveau de violence qu'à Mandjou, le Cameroun pourrait plonger dans une crise sécuritaire majeure.
Le paradoxe de la situation actuelle est que la répression, même si elle rétablit temporairement l'ordre, risque de renforcer le sentiment d'injustice parmi les partisans de l'opposition. Chaque intervention militaire, chaque manifestant arrêté, chaque blessé devient un nouveau grief qui alimente la contestation.
Les images de la sous-préfecture en flammes circulent déjà sur les réseaux sociaux, transformant Mandjou en symbole de la résistance populaire pour certains, du chaos et de l'anarchie pour d'autres. Cette bataille des narratifs est tout aussi importante que les affrontements sur le terrain.
Ces violences rappellent la crise post-électorale de 2018, lorsque Maurice Kamto avait contesté sa défaite. À l'époque, des manifestations avaient été violemment réprimées, faisant plusieurs morts. Kamto lui-même avait été arrêté et emprisonné pendant plusieurs mois avant d'être libéré sous pression internationale.
Issa Tchiroma Bakary, qui a tiré les leçons de cet échec, semble déterminé à ne pas suivre le même chemin. Mais la violence spontanée de Mandjou montre que la contestation pourrait lui échapper et prendre une tournure incontrôlable.
À l'heure où Mandjou panse ses blessures sous surveillance militaire, une question obsède les observateurs : cette ville sera-t-elle un cas isolé ou le premier domino d'une série de soulèvements à travers le pays ?
La réponse dépendra de la capacité du pouvoir à proposer une issue politique à la crise, au-delà de la simple répression. Elle dépendra aussi de la stratégie d'Issa Tchiroma Bakary : saura-t-il canaliser la colère de ses partisans ou perdra-t-il le contrôle d'un mouvement de contestation qu'il a lui-même initié ?